Notes du cours AS/FR 3130 6.0: Sémantique et lexicologie du français / French Semantics and Lexicology
Notes sur Aurélien Sauvageot, «Le problème de l’interrogation» (105-113)
- Résumé: Dans ce chapitre, S. décrit les moyens interrogatifs dont dispose le français et conclut sur une note descriptive: «… il faut rappeler que le langage est fait pour servir de moyen de communication et qu’il n’est pas un objet d’art que l’on peut remiser dans un musée» (p. 111).
- Malgré cette sage affirmation, il déclare qu’il est urgent d’intervenir dans l’interrogation pour y mettre de l’ordre: «L’appareil de nos interrogatifs est à réviser, son fonctionnement doit être réglé.
- Le mieux sera d’y procéder au plus tôt. Autrement, nous n’empêcherons pas le pullulement intempestif de formules inélégantes qui se feront concurrence…» (p. 113). Ici, l’auteur révèle la préférence combien française pour l’ordre et la forme imposés sur la nature par une puissante autorité centrale, alors que la diversité et la redondance sont en effet la norme dans toutes les langues naturelles.
- Sur le plan de la syntaxe historique, l’ordre des éléments phrastiques s’est figé peu à peu pour privilégier les modèles SVO (sujet + verbe + objet) et SVC (sujet + verbe + complément). La structure syntaxique VSO s’en trouve nettement défavorisée: l’interrogation par inversion SV > VS se fait entendre de moins en moins; dans la pratique quotidienne on la remarque surtout chez les verbes dits «auxiliaires». Dans cette perspective générale, établissons une liste des catégories interrogatives les plus courantes:
- L’inversion: elle est limitée au PRO sujets: Viens-tu? Sortirez-vous? Déménages-tu? Est-il arrivé? Jamais: *Viens/vient-Marie? *Sortirez-Jean, *Est-le journal arrivé? L’inversion est bien ancrée dans les auxiliaires être, avoir, faire, dire, aller, venir et les auxiliaires de mode en -oir (savoir, devoir, pouvoir, falloir). Ainsi: Est-il venu? Est-ce vrai? A-t-il fini? Va-t-il venir? Fais-tu tes devoirs? Savez-vous planter des choux? Se peut-il que…? Faut-il répondre? Puisque le shwa de je tombe facilement en fin d’énoncé, l’inversion est plutôt rare à la 1re personne. Les exemples suivants sont du genre des «formules figées». En quoi puis-je vous être utile, Madame? Suis-je folle? Dois-je vous rejoindre? Qu’ai-je à faire ici? Que sais-je? Que vois-je devant mes yeux? À noter que dans tous les cas précités, il s’agit d’une forme verbale se terminant par une voyelle.
- Interrogation totale: Les formules figées est-ce que/qu’est-ce que/qu’est-ce qui... automatisent l’inversion SV > VS: c’est > est-ce, sans qu’il soit nécessaire d’inverser le verbe principal et son pronom sujet. Dans les dialectes, on peut entendre des formules figées sans inversion que c’est que/que c’est-ce qui…, où c’est que/où c’est-ce qui…, quand c’est que/quand c’est-ce qui…, qui ont toujours valeur interrogative.
- Interrogation partielle: On se sert d’un adverbe ou d’un pronom d’interrogation sur lequel porte une montée intonative: Comment, quand, jusque, où, combien, qui, que…. En tête de phrase, l’adverbe simple déclenche l’inversion: Quand le train arrive-t-il? Combien avez-vous payé? Que vous a-t-il dit? Pour éviter l’inversion, on renvoie le terme interrogatif en fin de phrase: Le train arrive quand? Vous avez payé combien? Il vous a dit quoi? L’adverbe interrogatif comporte toujours une montée de la voix.
- Dans un registre non soigné, langue non surveillée, on peut entendre l’interrogation partielle sans inversion: Combien t’as payé? Comment tu t’appelles? Où tu vas? Pourquoi tu dis ça? Quand t’as vu ça? Il s’agit d’une simplification de la syntaxe traditionnelle: on fait disparaître une complexité de la grammaire.
- Interrogation totale: D’après le modèle précédent d’interrogation partielle, on ajoute un terme interrogatif en fin de phrase sans pratiquer d’inversion: Paul va venir, n’est pas? (Variantes: oui? non? hein?).
- Interrogation totale par la modulation de la voix: Ici, on pratique l’interrogation totale par une simple montée de la voix: Paul va venir? Le train arrive? Autrement, ce type de phrase a la même forme qu’une phrase déclarative. Ce mécanisme est limité à l’oral; la langue écrite doit recourir au signe graphique (?) Tout se passe comme si l’on tenait à éviter VS et à généraliser SV comme modèle dominant, ce qui simplifie de beaucoup la syntaxe du verbe. Avec SV, la marque d’interrogation se trouve rejetée en finale de phrase, où elle porte infailliblement une montée intonative, tandis qu’avec VS, la marque d’interrogation figure en début de phrase.
- La tendance générale en français parlé est donc de préférer SV avec marque d’interrogation terminale. La langue littéraire et soignée privilégie encore et toujours VS avec interrogation initiale.
- Exercice: Commentez les exemples suivants au point de vue de l’ordre SV ou VS. Que vois-je? Où allez-vous? Vous allez où? Où vous allez? Déménages-tu? Qui chante? Qui est-ce qui chante? C’est qui qui chante? Est-ce vrai? C’est vrai? C’est-tu vrai? Que dis-tu? Tu dis quoi? Qu’est-ce que tu dis? Peux-tu me dire quelle heure il est? Peux-tu me dire quelle heure est-il? Peux-tu me dire quelle heure qu’il est? Quelle robe veux-tu porter? Laquelle de robe veux-tu porter? Qu’est-ce qu’il veut dire? Je ne sais pas qu’est-ce qu’il veut dire. Qu’est-ce que c’est (que) ça? T’es arrivé combientième? On est le combien?