Sauvageot5

Notes du cours AS/FR 3130 6.0 Sémantique et lexicologie du français / French Semantics and Lexicology

Notes sur Aurélien Sauvageot, Portrait du vocabulaire français, «L’analyse du mot» (53-59)

  • Résumé: Dans ce chapitre, l’auteur s’intéresse surtout aux alternances qui caractérisent les bases (= thèmes, radicaux) de mots français, vraisemblablement parce que ces alternances constituent une difficulté d’apprentissage autant pour les jeunes francophones que pour les francisants en général.
  • Parfois l’orthographe est d’un certain secours relatif à la prononciation, à condition de bien savoir «épler le mo». Parfois l’orthographe vient à la rescousse: sel/salière, clair/clarté, cher/charité, je vais, nous al-lons, nous ir-ons, je peux, nous pouv-ons, pourr-ons; je veux, nous voul-ons, voudr-ons. D’autres fois, cet appui visuel ne nous aide pas du tout à trouver la bonne prononciation: je fais/nous fais-ons, court/court-e, lourd/lourd-e, peint/peinte. 
  • L’auteur en arrive à conclure que: 1) le français compte beaucoup sur l’alternance des bases lexicales, pour ce qui est de la dérivation suffixale (clou ~ clout-age, clout-er, mer ~ mar-in, pair ~ par-ité, cher ~char-ité), pour ce qui est de la formation du féminin de certains noms et adjectifs (chercheur ~ chercheuse, furieux ~ furieuse) et pour ce qui touche à la conjugaison verbale (je vais, tu vas, nous all-ons, ils vont, j’ir-ai(s), que j’aille; je veux ~ nous voul-ons, ils veul-ent, je voud-rais, que je veuille, etc.). Il affirme que 2) l’alternance des thèmes lexicaux (là où la base lexicale présente deux ou plusieurs formes différentes) est une source constante de gêne et d’embarras. Si tel est le cas pour les francophones, il est d’autant plus vrai pour les francisants.

Critique: L’auteur se contente de constater le problème sans formuler de régles générales qui permettraient de décrire, ou mieux, de prédire les cas d’alternance chez les bases lexicales. Par exemple…

  • Lorsqu’une base (nominale ou adjectivale) présente une forme longue et une forme courte, la forme longue s’utilise au féminin et devant toute voyelle (suffixale) qui fait corps avec la base, p. ex., grosse, grossesse, grosseur, grossiste, grossier, grossièreté [gRos-], vs. gros [gro] (là où il n’y a pas de voyelle suivante).
  • Lorsqu’une base adjectivale présente une forme longue et une forme courte, c’est la forme longue qui sert de base (le plus souvent) à la dérivation des adverbes de manière, p. ex., premier/première > première-ment. Pourtant, il faut remarquer que cela n’est pas généralement le cas des adjectifs en -ent et -ant, à témoin: évidente ~ évidemment, pertinente ~ pertinemment, constante ~ constamment, vaillante ~ vaillamment, instant ~ instamment, récent ~ récemment.
  • Lorsque la forme courte d’une base (nominale ou adjectivale) se termine par une voyelle, on a tendance à ajouter une consonne épenthétique devant toute voyelle suffixale qui suit, p. ex., clou, clouté, clouter, cloutier, clouterie. Notez, p. ex., FS souverain ~ souverain-iste et souveraine-té vs. FQ souveraine-tiste et souveraine-té. Cette stratégie permet d’éviter l’hiatus (une suite de deux voyelles), phénomène généralement rejeté par les parlant français. Pourtant, il y a des exceptions, comme le verbe clouer «planter des clous, assembler au moyen de clous», verbe qui véhicule aussi des sens abstraits, comme p. ex., Il est cloué au lit par la grippe. De même, on peut clouer le bec à qqn, c’est-à-dire le réduire au silence par des remarques définitives.
  • La forme masculine des noms et des adjectifs peut être dérivée de la forme féminine par simple suppression de la consonne terminale, p. ex., lourde ~ lourd, grosse ~ gros, paysanne ~ paysan, conseillère ~ conseiller. Par contre, il est impossible de prédire la forme féminine à partir de la forme masculine — à l’oral, je veux dire.
  • En principe, la grammaire traditionnelle veut que le masculin soit la forme de base, à partir de laquelle on dérive la forme féminine. Dans cette perspective bien enracinée dans la conscience linguistique des francophones, le féminin serait secondaire et soumis au masculin. Sur le plan purement descriptif, c’est exactement le contraire qui se produit. Question sans doute de préjugés bibliques (création d’Adam avant Eve) et de stéréotypes culturels (… le masculin embrasse toujours le féminin!)
  • Lorsque la base lexicale du verbe présente une forme longue et une forme courte, la forme longue est celle des formes du pluriel (à l’indicatif) et de toute autre forme verbale où elle se trouve suivie d’une voyelle (y compris le subjonctif présent: ils sortent, rendent, rompent; je sortais, rendais, rompais; que je sorte, rende, rompe. La forme courte prévaut quand aucune voyelle audible ne suit la base, ce qui est normalement le cas des formes du singulier de l’indicatif présent: je sors, peux, veux, prends, romps, viens.
  • Lorsque la base du verbe présente l’alternance «e ouvert» vs. shwa, le premier paraît dans les formes monosyllabiques (je fais, je fais, il fait, vous faites), un fait, là où la forme est accentuable ou accentuée. Par contre, le shwa paraît dans toutes les formes où la voyelle ne peut pas porter l’accent tonique: nous faisons, nous faisions, vous faisiez, faisable, faisabilité, faiseur, faiseuse.
  • Dans les cas où il y a alternance «e ouvert» vs. zéro: j’épelle, tu épelles, ils épellent, vis-à-vis nous épelons, vous épelez, vous allez épeler des mots, vous avez epelé des mots, il est clair que la voyelle qui disparaît dans la seconde série est inaccentuable (= ne porte jamais l’accent tonique).

Exercice: Vous êtes prof de français langue seconde…, ben oui, votre bonheur est fait! Comment allez-vous expliquer à un/e élève curieux/-se de tout savoir la relation morphologique qui existe entre les mots suivants:
a) bois, boisé, boiserie, boisement
b) mâcher vs. mastiquer mâchoire vs. maxillaire
c) six livres [si], j’en ai six [sis], six amis [siz]
d) il tient ~ ils tiennent, il vient ~ ils viennent
e) ouvrer ~ oeuvrer ~ opérer
f) clair ~ clarté; mer ~ marin
g) je (tu) dis, nous disons, vous dites, il disent et *vous disez (non standard), nous vous contredisons, vous nous contredisez (standard)
h) je (tu) fais, nous faisons, vous faites, ils font et *vous faisez , ils faisent (non standard), nous contrefaisons, vous contrefaisez (standard)
Et, pour terminer, quel serait le substantif désignant celui ou celle qui fait de la contrefaçon? Un contrefaiseur, un contrefaiteur, un contrefaitiste, un contrefacteur, un fausseur, un faux-monnayeur ou bien un faussaire?

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