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Notes du cours AS/FR 3130 6.0: Sémantique et lexicologie du français / French Semantics and Lexicology

Notes sur Aurélien Sauvageot, Portrait du vocabulaire français, «Mots primaires et mots secondaires (89-101)

Résumé:

  • Les mots primaires sont des bases lexicales, non décomposables en unités lexicales ou morphologiques plus petites. Les mots secondaires sont formés à partir de ces bases lexicales par les procédés de dérivation et composition. La dérivation consiste à ajouter un ou plusieurs affixes (préfixes, infixes, ou suffixes) à une base lexicale.
  • Il est usuel de différencier les affixes qui forment des verbes et ceux qui forment des noms, mais cette distinction est sans portée pratique.
  • Touchant les verbes, l’auteur déclare que la suffixation n’est plus très productive en français. À quelques exceptions près (vivre ~ vivoter, lire ~ lisoter, baver ~ bavasser, rêver ~ rêvasser, écrire ~ écrivailler, etc.), le français ne forme pas par suffixation beaucoup de verbes nouveaux. C’est sans doute parce que, chez le verbe, la suffixation est réservée surtout à des fonctions grammaticales, exprimées par des désinences verbales (= des morphèmes liés de type -ons, -ez, -ions, -iez, -ais, -is, -as, -erai, -eras, etc.)
  • Ainsi, la majorité des verbes nouveaux se forment par préfixation. Ce qui plus est, les nouveaux verbes appartiennent pratiquement tous à la première conjugaison. Ils se forment majoritairement à partir de bases nominales ou adjectivales: atome > atomiser, colonie > coloniser, personnel > personnaliser, politique > politiser, miniature > miniaturiser, Congo > congoliser, télévision > téléviser, automate > automatiser. Le suffixe verbal -iser comporte la nuance «changer d’état, transformer en un autre état»: islam-iser, métall-iser, miniatur-iser, vaporiser, climat-iser, homogéné-iser, agon-iser, etc. Le suffixe -ifier signifie «mettre dans l’état signifié par la base lexicale»: boni-fier, glori-fier, grati-fier, mysti-fier, horri-fier, gazéi-fier et *universi-fier. De nouveau, il s’agit d’un verbe exprimant un changement d’état.
  • Ces deux catégories verbales, dont les bases lexicales sont plus ou moins fidèles à la forme latine ou grecque de départ, -ISARE, sont concurrencées par celle en -er, évidemment plus simple, d’où l’idée de changement d’état (= transformation radicale) est absente: structure > structurer, passion > passionner, contact > contacter, supplément > supplémenter, audition > auditionner, vision > visionner, addition > additionner, actif > activer, solution > solutionner.
  • Les emprunts effectués à l’anglais tombent tous dans cette catégorie morphologique: jogger, parquer, checker, surfer, cliquer, cruiser, bommer, slaquer, etc. La petite série isolée amerrir, alunir suit le modèle canonique d’atterrir «se poser sur la terre». Pour les avions, le contraire d’atterrir n’est pas déterrir (et encore moins déterrer), mais décoller ou s’envoler.
  • Quant à la dérivation nominale et adjectivale par suffixation, elle est chose courante, comme le prouvent les exemples en p. 93. C’est sans doute parce que la fonction grammaticale est assurée, pour les noms et les adjectifs, par un ensemble de déterminants (articles, possessifs, démonstratifs) qui expriment le genre et le nombre, la possession, la proximité, etc.
  • Pour cette même raison, plusieurs suffixes nominaux hérités du latin persistent et florissent en français contemporain. Tel est le cas, notamment, de -ARIUM > -ier, -ARIA -ière, où -ier peut désigner un arbre (bananier, palmier, poirier, pommier, dattier, érablier, oranger) ou une personne (troupier, routier, croupier, boucanier, bouvier, chemisier) et -ière un récipient ou un endroit ou pousse des arbres ou des plantes: croupière, soupière, garçonnière, érablière, sapinière, pépinière, bourgeonnière.
  • Dans certains cas, la motivation du terme est parfaitement transparente (papetier, bonnetier, chemisier, savetier), dans d’autres elle a été complètement perdue (papier, cahier, panier, soulier). Même quand la motivation est claire sur le plan de la morphologie, elle ne suffit pas toujours à indiquer la signification exacte du terme. Savez-vous, par exemple, le sens des mots saladier, poudrier, boîtier, onglier, liftier, casier?
  • Le suffixe -iste exprime souvent le sens «partisan de» (alliancistes, péquistes, socialistes, capitalistes, syndicalistes), et -ien(ne) est parfois perçu comme son équivalent synonymique: gaulliste ou gaullien, staliniste ou stalinien. Le suffixe -eur indique une personne de sexe mâle (chauffeur, chanteur, danseur, imprimeur, crieur) mais il est concurrencé par d’autre suffixes pouvant exprimer le même sens (machin-iste, dent-iste, lycé-en, Coré-en, Toront-ois, Montréal-ais, mécanic-ien, omnipratic-ien).
  • Le correspondant logique et étymologique de -eur est -euse (chercheuse, chanteuse, chauffeuse), mais cette formation à du mal à s’imposer, sans doute à cause des nuances péjoratives de ce morphème, qui est associé à d’autres bases lexicales moins «nobles» (masseuse, allumeuse, aguicheuse, entraîneuse, danseuse, stripteaseuse). Ce qui fait qu’aucune femme contemporaine ne voudrait se faire appeler une *docteuse, *acteuse,*annonceuse, *gouverneuse, *avocateuse, *médecineuse, *professeuse ou encore *Gouverneuse-générale du Canada.
  • Le FQ contourne le problème en préférant -eure, qui remonte à une prononciation qui existaient déjà avant le 17e siècle, et qui de nos jours a l’avantage considérable de se prononcer de la même façon que -eur: docteure, acteure, annonceure, professeure, même si on ajoute un petit -e terminal pour plaire à l’oeil. De par sa fréquence, -eure pourrait porter préjudice à pas mal d’autres suffixes moins productifs ou actuellement en perte de vitesse (actrice, narratrice, ballerine, speakerine, gouvernante, gonzesse, typesse). Pour ce qui est des formes traditionnelles en -esse (poétesse, mairesse, suissesse, professoresse, doctoresse), on a tendance à préférer une forme moins «marquée» dans le substantif: un/une poète, un/une maire, un/une suisse, un/une professeur(-e), un/une docteur(-e), etc.
  • Certains noms sont obtenus à partir du thème verbal: écouter > l’écoute, embaucher > l’embauche, alors que le thème de certains substantifs sert de base à des verbes dérivés: croûte > croûter, clou > clouter, écorce > écorcer, corps > corser, fête > fêter. Ce qui fait que le sujet parlant normal ne sait si le verbe est dérivé du nom ou vice versa. Le commun des mortels se trouve donc dans l’impossibilité de dire si rêve donne rêver, touche toucher, louche loucher, pousse pousser, ou bien si c’est le contraire qui est vrai.
  • Peu importe! L’essentiel est de savoir qu’une même base lexicale peut donner à la fois des noms et des verbes. Cette ambivalence sur les plans grammatical et morphologique fait que les participes verbaux donnent facilement des adjectifs (écouté, alluré, déhanché) et des substantifs (des estivants, des francisants, des apprenants, des apprentis, des écrits, des imprimés, des imprimantes).
  • L’auteur ne fait pas mention des suffixes -et et -ette (dial. -ot, -otte) — en perte de vitesse — et qui désignent en principe «la petitesse» ou «l’affection» (garçonnet, bâtonnet, mulet, poulet, fillette, douillet-te, serviette, cuisinette, cuvette, fourgonnette, maisonnette, débarbouillette, Ginette, Antoinette, Jeannette, Annette). C’est que de nos jours on a tendance à exprimer les deux concepts par antéposition de l’adjectif petit: petit garçon, petit bâton, petit fils, petite fille, petite cuisine, petite maison.
  • Autre suffixe nominal que l’auteur passe sous silence: -erie. Celui-ci désigne un magasin ou une usine, établissements ou l’on produit ou vend des choses utiles: fonderie, boulangerie, charcuterie, pâtisserie, doguerie, croissanterie, garderie, sandwicherie, lunetterie, jeannerie, mercerie, roberie, épicerie, grocerie (FQ), etc. Lorsqu’il signifie autre chose qu’un établissement de type «commercial ou productif», il peut porter une nuance péjorative: chiennerie, conneries, folleries, nounouneries, vieilleries, poudrerie, etc.
  • Sauvageot résume ses propos en pages 100-101, ce qui prouve qu’il est toujours bon de lire la dernière page avant la première. Lisez son résumé attentivement et soyez prêts à énoncer en classe une ou deux généralités concernant la morphologie des noms et des verbes.

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