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Notes du cours AS/FR 4150 6.0: Initiation au français canadien / Introduction to Canadian French
Notes sur Denis Dumas, Nos façons de parler

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Denis Dumas, Nos façons de parler, Chap. 5 «Les trois mousquetaires qui ne sont que trois: i, u et ou»

Il s’agit des trois voyelles très fermées /i, y, u/ qui, en syllabe ouverte, non entravée, de type CV, se prononcent [i, y, u], et cela dans toutes les variétés de français qui existent. Cependant, suivie de n’importe quelle autre voyelle, les trois premières se convertissent automatiquement en semi-consonne (ou semi-voyelle) [j, ç, w] et se combinent avec la voyelle suivante. Donc, jamais pi-ed, lu-i et ou-est en deux syllabes, toujours [pje, lçi] et [wEst] en une seule syllabe. Il s’agit d’une simplification syllabique.

Cette simplification peut aller plus loin en vernaculaire (français ou québécois): bien > ben [bE)], tiens > tins [tE)], plus > pus [ply > pjy > py], puis > pis [pçi > pi], lui [lçi > çi > i]. On retrouve une trace de la même réduction (perte totale de la semi-consonne) dans la prononciation de plusieurs mots anglais d’origine française: barber, carpenter, draper, Carter, Messer, Mercer < barbier, charpentier, drapier, Cartier, Mercier, etc. Quand la voyelle est autre que /i, y, u/, elle a tendance à disparaître complètement, ce qui élimine une suite VV: *le ami > l’ami, *la amie > l’amie, l’aéroport >*l’éroport, et FQ *su’a ferme > sa: ferme, etc. N. B.: la prononciation canadienne aréoport est un exemple de métathèse (= la seconde voyelle et la consonne suivante changent de place). Cf., sur ce point, l’italien standard areoporto).

La semi-consonne est écrite i, u, ou (oi), ce qui cache sa véritable prononciation dans lierre, suis, persuader, oui, oiseau. On écrit plus rarement w (watt, kiwi) ou y (Yolande, yacht, yoyo, ayant, citoyen, électromyographie, Yémen, cobaye, papaye) et surtout dans des mots d’origine étrangère.

Quoi qu’en dise Dumas, prononcer en deux syllabes les mots nu-age, bu-ée, lou-ange, alou-ette n’est pas usuel ni normatif; il s’agirait d’une prononciation lente ou soignée. Pourtant, une prononciation bisyllabique s’entend parfois alors qu’une frontière morphologique intervient et qu’on prononce avec soin (p. ex., base lexicale + morphème verbal), p. ex., lou-ez, nou-ez, vou-ez, su-ez, pu-ez, mu-ez, pli-ez, cri-ez, li-ez, ri-ez, sci-ez.

Les semi-consonnes /j, ç, w/ se combinent facilement avec une consonne simple qui précède dans la même syllabe (d’hier, lierre, miel, puis, toit, l’oiseau, l’ouate), mais dès que deux ou trois consonnes ouvrent la syllabe, la voyelle pleine /i, y, u/ refait surface. Beaucoup d’exemples en pp. 88-89.

Soleil, éveil et grenouille, bouteille, fille: En fin de syllabe ou en fin de mot, les graphies il et ille représentent souvent la semi-voyelle palatale [j], qui se joint à la voyelle précédente pour former une véritable diphtongue. Avant le 19e s., on prononçait «l mouillé» dans ces mots, c.-à-d. [lj], qu’on représente parfois par le symbole [´ ]. La simplification [lj > j] va même jusqu’à toucher des mots ou [lj] n’est ni final de syllabe ni final de mot, mais intervocalique (soulier, escalier, milieu, milliards, millions); laisser tomber le l au milieu de ces mots, c’est un trait du parler populaire. Évidemment, certains mots se terminant en -il, -ille ne présentent pas le «l mouillé», mais [l], comme dans avril, Brésil, grésil, ville, mille, vil, mil, cil.

Dans la série de mots panier, cordonnier, niaiseux, nièce, nyanyans, la prononciation normative est [ø]. Peut-être par souci d’hypercorrection, certains locuteurs préfèrent prononcer [nj], comme dans panier [pan-je].

Ouverture ou «relâchement» des voyelles /i, y, u/ en [I, Y, U], sons que Dumas figure par les graphies é, eû et ô. Seules peuvent s’ouvrir les voyelles /i, y, u/ brèves. Normalement, cette ouverture se produit dans une syllabe fermée (entravée) de type CVC, alors que la voyelle se trouve être la dernière voyelle audible du mot et porte l’accent tonique. L’ouverture des /i, y, u/ en [I, Y, U] est obligatoire sous l’accent tonique (située dans la dernière syllabe d’un groupe rythmique ou syntaxique).

Donc, jamais d’ouverture dans le cas des voyelles dites «longues par nature» écrites î, û, oû, comme île, flûte, croûte. Rarement d’ouverture non plus dans le cas des /i, y, u/ allongés par une consonne dite allongeante, p. ex., fige, luge, bouge. Autrement dit, une voyelle longue par nature ou allongée par une consonne allongeante ne s’ouvre ni ne se relâche pas.

Quelles sont les consonnes allongeantes? Réponse: Les sonores continues, qui sont relativement faibles sur le plan articulatoire: [v, z, Z, r, R, j]. L’ouverture de /i, y, u/ en [I, Y, U] est rare en syllabe ouverte (= CV): pipi, lit, rue, cru, mou, sous, loup. L’ouverture se fait surtout en syllabe entravée CVC, là où la voyelle est brève en principe, p. ex., Viens vite, ma petite!, admirer la lune, je fume sur les dunes, les boules qui roulent, toutes les routes, pantoute! D’autres exemples d’ouverture de /i, y, u/ à la page 93, en haut. Exemples d’ouverture facultative en CVC non finale de mot: victoire, vulgarité, moustache (deux possibilités). Normalement pas d’ouverture dans les mots fumer, mousser, bouter, louer. Savez-vous pourquoi?

Sur le plan social §2.3, l’ouverture de /i, y, u/ en [I, Y, U] est jugée «neutre» (un indice de statut social ni favorable ni défavorable). L’affrication de /t, d/ se fait devant /i, y/, que la voyelle soit ouverte ou très fermée, p. ex., dire, tuyau, du et disque, tube, duc.

Certains /i, y, u/ s’ouvrent même en CV, syllabe non terminale, mais seulement par anticipation de la voyelle ouverte ou relâchée de la syllabe suivante, voyelle qui figure normalement en CVC. Il s’agit d’une forme d’assimilation (une harmonisation vocalique par anticipation; la première voyelle s’adaptant phonétiquement à la seconde). Exemples en p. 96 en 98 (en haut).
Effets de l’analogie lexicale, dérivationnelle: Les dérivés où /i, y, u/ figurent en CV et ne devraient donc pas s’ouvrir en [I, Y, U], peuvent tout de même subir l’influence du terme de base, souvent un substantif courant et bien connu. Au figuré, le chef de la famille exerce une influence dominante sur les autres membres de la famille morphologique. On trouvera des exemples en p. 98 (milieu).

Les exemples en p. 99 forment une catégorie à part, catégorie ou la voyelle de l’avant-dernière syllabe se différencie de la dernière qui contient le plus souvent une voyelle fermée, soit [i, y, u]. La voyelle de l’avant-dernière syllabe s’affaiblit, le plus souvent en shwa [«]. Exemples où [i, y, u] sont remplacés par shwa dans la pénultième (= avant-dernière) syllabe: minuit, minute, Mimi, Boubou, Loulou, pipi, fifille, toutou, chouchou, doudoune.

Les exemples en haut de 99 sont à interpréter de la même façon (comme exemples d’affaiblissement). C’est une forme de dissimilation phonétique (sentiment du locuteur que les voyelles dans deux syllabes successives ne devraient pas se ressembler, encore moins être identiques); la dissimilation phonétique peut prendre des formes variées: bebail, l’étobus, l’éto, (la ville d’)Ettawa, féminité (non pas *fémininité), on pouvait [pas] passer. Comment prononcera-t­on en FQ la phrase: On va à Ottawa! avec ses cinq «a» de suite?

§2.6 Sans citer de preuves, Dumas affirme que l’ouverture de /i, y, u/ a des antécédents historiques dans les dialectes de France; sans doute qu’il a raison, mais on aimerait bien avoir des détails. Aucune influence apparente de l’anglais où la différence longue ~ brève pool ~ pull, fool ~ full, feel ~ fill, peel ~ pill est fonctionnelle et significative. Autrement dit, la signification du mot anglais change selon que la voyelle est longue et fermée ou brève et ouverte; la structure syllabique ne conditionne en rien la qualité de la voyelle anglaise.

§3.1 Sporadiquement, la voyelle /y/ perd son arrondissement et devient [i], p. ex., dans bas-culottes, député, cutex, curieux, curiosité; on peut bien soupçonner l’influence du [k] précédent. De même, /u/ peut passer à [y] (par hypercorrection?) dans sous-sol [sysl], sous-vêtements, tout de suite [tysçIt], nous-autres [nyzo:t], voire [nizo:t]. Dans l’histoire du français, on peut trouver bien des exemples où les voyelles antérieures arrondies /y, O, ¿/ perdent leur arrondissement et passent à [i, e, E] respectivement; il s’agit là d’un trait de prononciation populaire qui existait déjà aux 16e-17e siècles.

§3.1 /i, y, u/ inaccentués peuvent devenir sourds (dévoisés, désonorisés, chuchotés), surtout quand les consonnes avoisinantes sont sourdes, p. ex., Chi8coutimi, su8pposons, consti8tu8tion, prosti8tu8tion, la ci8té, chu8choter, chu8s-t-allé, chu8s pas capab’. Dans le cas de la désonorisation, la voyelle donne l’impression de disparaître complètement. Le dévoisement (ou la désonorisation) est moins usuelle (mais pas inconnu) quand les consonnes environnantes sont sonores, p. ex., mes i8dées, arri8ver, vi8llage, frigi8daire. L’assourdissement va même jusqu’à toucher la voyelle de c’est et cet(te), surtout devant un mot qui commence par une consonne: c’pas ça que je veux [sE8pAsA], c’t homme, c’t femme [sE8t] ou [st] (surtout au masculin) et [st«] (fém.); ce dernier présente la variante [sta].

§3.1 Dumas affirme que l’explication du comportement des /i, y, u/ réside dans la force de l’accent et dans le rythme du discours (très régulier dans le FS normatif et standardisant (tic-tac, tic-tac, tic-tac), les deux plutôt inégaux en FQ (alternance d’accents forts et faibles, de syllabes fortes et faibles, variabilité dans le rythme). D’un côté, la voyelle des syllabes faiblement accentuées a tendance à s’affaiblir davantage, même à disparaître en FQ. De l’autre, celle des syllabes les plus fortement accentuées reste intacte ou connaît même un développement hypertrophique (= allongement vocalique, avec ou sans diphtongaison), comme dansù As-tu vu ma mère? J’en ai seize! Aimes-tu ça la neige?

En résumé, voici quatre tendances générales concernant les voyelles du FQ:

  1. une syllabe ouverte (CV) a tendance à présenter une voyelle de qualité plutôt fermée;
  2. une syllabe fermée (CVC) a tendance à présenter une voyelle de qualité plutôt ouverte;
  3. une voyelle longue (par nature ou allongée par une consonne allongeante) est une voyelle diphtongable (surtout sous l’accent, en fin de groupe rythmique ou syntaxique);
  4. La voyelle la plus ouverte présente deux timbres en FQ: [A] postérieur dans les cas où elle est longue par nature ou par allongement (château, pâte, hâte, classe, passe, rase, phrase, gaz) et là où elle est située en finale de mot (chat, pas, bas, vas, ça, là, Lina, Canada, Alberta, Ottawa). Dans les autres contextes, on entendra plutôt [a], voyelle centrale.

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