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Cours AS/FR 4150 6.0: Initiation au français canadien / Introduction to Canadian French
Notes sur Denis Dumas, Nos façons de parler

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Denis Dumas, Nos façons de parler, Ch. 2 «Tout ce qui s’écrit oi» (Oy yo yoille!)

Historiquement, ce qui s’écrit oi (foi, roi, loi, toi, moi) a évolué comme suit: [oi > oe > oE > oa > oA] avec les variantes phonétiques [we, wE, wa, wA]. En finale de mot FQ devant un -s qui s’est amuï, on entend [wA] et même [w], bois, trois, pois, poids, doigts, les noix, mois d’août. Selon Dumas, ces mots, tous monosyllabiques et courants, étaient parmi les premiers à connaître l’ouverture de la diphtongue oi en [wa] avec postériorisation en [wA]. En français acadien, tous les termes ayant -oi, -ois, -oix, -oids, -oit en finale de mot se prononcent en [wA], du moins tous les noms et pronoms (La loi, c’est toi et moi!).

L’ouverture [wE > wa] s’est effectuée d’abord et notamment (12-13e siècles) devant les liquides /{, l/, poire, foire, boire, histoire, toile, le/la poêle, la moelle (osseuse) et devant les -s, -z finals de mot (et qui avait pour effet d’allonger la voyelle précédente). Exemples bois, trois, pois, poids, les noix, mois d’août. Dans les dialectes de l’ouest de la France, la diphtongue oi ne s’est pas développée de la même façon. Perdant son [w] initial, elle a donné le résultat [E], comme dans les mots anglais pear, fair. Dans d’autres mots anglais d’origine française, c’est toujours la vieille prononciation du nord-est de la France qui persiste: [oj] foibles, royal, loyal, loiter). Anglais boy [oj] < fr. boyer «stable boy». Par contre, le nom de l’acteur Charles Boyer s’est fait connaître à date récente. Ainsi, il conserve la prononciation du FS [wa]ù [bwaje]. Le mot anglais towel vient du français toile, vraisemblablement selon les étapes suivantes: [twEl > toEl > towEl > tawel > taw«l]. Par contre, le mot anglais toilet conserve plus ou moins intacte sa prononciation du moyen-âge, [tojlEt > tojl«t], alors que le FS normalise la prononciation de ce mot en [wa]: [twalEt].

Double évolution phonétique dans le suffixe -ois/-ais qui désigne des personnes: mots de type Japonais, Montréalais, Polonais, Français, Anglais (autrefois François et Anglois), mais pas tous, p. ex., Suédois, Finnois, Danois, Chinois, Torontois, Québécois. Prononciation du nord-est (p. ex., en Picardie): -ois [wE > wa]. Prononciation de l’ouest (p. ex., en Normandie) -ais [E]. À cause de cette double évolution de la diphtongue écrite oi, beaucoup de jugements sociaux (jugements de valeur) sont attachés à ce petit fait de prononciation.

Pour obtenir un point de comparaison, pensez à la variabilité de la prononciation anglaise ant or aunt, tomato or tomaato, dance or daunce, fathe(r) and mothe(r), witch one or which one. Prince of Wales or Prince of Whales? Certaines de ces variantes sont valorisées sur le plan social, alors que d’autres stigmatisées.

À l’époque de Louis XIV, la seule et «bonne» prononciation socialement valorisée de oi était [we ~ wE] (Louis XIV: Le roè c’est moè!) et les prononciations stigmatisées comme bourgeoise, ouvrière et paysanne étaientt [wa, wA]. Aujourd’hui au Québec, c’est le contraire qui se présente: si l’on prononce oé, oè [we, wE], comme au 17e s. en France, cette prononciation est jugée vulgaire, ouvrière, campagnarde, de mauvais goût, etc. (Ce swer on va bwere, moé pis toé! On va manger des pweres, pis conter des histouères! Ouère c’est crère!). Pourtant, ces variantes dialectales sont bien ancrées dans la prononciation des pronoms personnels (moi, toi, et dans les verbes courants en -oir, avoir, voir, devoir, pouvoir, savoir, recevoir, falloir, boire, surtout dans les formes du présent de l’indicatif (voir les exemples en p. 24).

Anecdotes sociolinguistiques: On raconte qu’à l’époque de la Révolution française, une fileuse avait perdu son rouet «spinning wheel» et elle criait désespérément: Il me faut mon rouet! [{wE] «I need my spinning wheel». Selon l’histoire, on aurait passée la pauvre bonne femme à la guillotine, pour avoir crié: «Il me faut mon roi!» [Cela nous rappelle une histoire de Napoléon en campagne militaire, à qui on avait présenté 1000 prisonniers. «Qu’est-ce qu’on fait avec eux, mon général?» demande le lieutenant. Alors, Napoléon, qui était enrhumé et souffrait d’une toux chronique, se met à tousser et s’exclame: «Ma sacrée toux!» Selon la légende, on a vite fait de fusiller tous les 1000. Anecdote peu plausible, vous me direz, puisque toux se prononce [tu] et le pronom tous se prononce [tus]!]

Dans l’imparfait et le conditionel, les désinences écrites étaient -ois, -oit, -oient, et cela jusqu’au 18e siècle. Derrière cette orthographe se cache deux prononciations possibles, celle du nord-est de la France [wE] et celle de l’est [E], donc j’étois ou j’étais, tu étois ou tu étais, il étoit ou il était, et cela selon le dialecte du locuteur… occidental ou oriental. Dans la majorité des mots, cette variation a été largement éliminée de la langue standard au profit de la forme du nord-est [wE], avec son successeur moderne [wa], p. ex., dans, toi, moi, boire, croire, savoir et toutes leurs formes conjuguées. Chose surprenante, c’est la forme réduite [E] qui est la seule admissible dans les désinences de l’imparfait et du conditionnel, dont l’orthographe actuelle est -ais, -ait, -aient).

La prononciation [E] persiste également dans certains noms, avec une différenciation graphique: les Anglais, les Montréalais, les Antillais, les Japonais, mais les Illinois, les Iroquois, les Danois, les Suédois, le Chinois, etc.

Dumas affirme que dans certains mots la diphtongue oi se comporte comme une voyelle simple, en ce sens qu’elle favorise l’élision (l’oiseau comme l’ami, les oiseaux comme les amis, et non pas b comme le panier, *les/oiseaux comme les/paniers). Dans d’autres mots, d’origines autres que française, la diphtongue oi se comporte comme une suite CV [wa], ce qui empêche l’élision de se produire, p. ex., le ouaouaron, le watt, le wapiti, et non*l’ouaouaron, *l’watt, *l’wapiti.

Problème: Les groupes de trois consonnes (ou deux consonnes + semi-consonne) sont généralement rejetés en français (sauf [st{] (stratégie, strapontin, strié). Ainsi, dans des mots de type crois, croit, proie, ployer, trois, Blois, froid, droit on se trouve confronté à des groupes consonantiques «difficiles à prononcer». Deux solutions s’offrent: traiter la diphtongue [wa, wA] comme si elle était une voyelle simple, ou bien la transformer carrément en voyelle simple (p. ex., [f{wEt > f{Et], [d{wEt > d{Et], et [=Z« k{we > Z« k{e].

Exemples: Fa frette! Filez tout drette!, Je te cré! Pas creyable! Fallait le ouère pour le crère! Cette prononciation provient de l’ouest de la France (Normandie), dont le dialecte régional aura de bonne heure réduit la diphtongue [wE] en [E], et cela dans bien des mots où l’on écrit aujourd’hui oi ou ai. Certains prétendent qu’une partie de la population québécoise, provenant de l’ouest de la France (p. ex., Normandie, Saintonge, Poitou), n’a jamais connu la prononciation diphtonguée de oi. Hypothèse intéressante, mais qui nous oblige à croire que cette même population n’a jamais eu de contacts communicatifs avec des locuteurs provenant de l’Île de France, scénario peu plausible. En fait, le français de Paris a exercé une influence constante sur les dialectes, et cela depuis les alentours de l’an 1000.

Si la diphtongue [wE] est allongée (sous l’accent, dernière syllabe du mot), elle risque fort de s’ouvrir en [waù]. Exemples en bas de la page 26 (parler de Montréal).

Selon une règle générale de la phonétique française, qui caractérise surtout le français parlé en France, les voyelles moyennes E, EU, O sont distribuées automatiquement: voyelles mi-fermées [e, O, o] en CV (syllabe ouverte), je sais, peu, feu, pot, beau, voyelles mi-ouvertes [E, ¿, ] en CVC (syllabe fermée) sec, sèche, peur, soeur, port, sotte. Cette règle générale est connue sous le nom de Distribution complémentaire. Dans cette perspective distributionnelle, il n’y a absolument rien d’étonnant à ce que la diphtongue oi se prononce [we] en CV (moi, toi, je bois, je crois), [wE] en CVC (ce soir, voir c’est croire, boire, l’histoire).

À noter que les -ais, -ait, -aient, -ès, -et finals de mots se prononcent en principe [E] en FS, mais [e] en FP. Le [E] final de mot peut s’ouvrir en [Q] ou [a] en FQ populaire (toujours en finale de mot). Cela suggère que la prononciation québécoise représente une hypercaractérisation de la voyelle mi-ouverte [E]. Exemples: j’avais, j’aurais, je fais, du lait, c’est parfait!, jamais!, c’est mauvais!, du poulet, un balai, pis c’est vrai! Prononcer les mêmes mots avec [e] dans les syllabes ouvertes fait figure d’innovation populaire, mais c’est une innovation conforme à la règle de Distribution complémentaire.

Ouverture FQ de «e» en finale de mot: E –> Q, a / ____ #

En dépit de la norme du FS, qui veut imposer la prononciation [wa] partout, la tendance du FQ semble être la suivante: [wa] (avec sa principale variante [wA]) en syllabe finale de mot non suivi d’une consonne audible = CV (doigt, loi, fois, pois, bois, poids, reçois). Ailleurs…, et notamment en CVC, [wE] soir, poil, voir, boire, voiture, reçoivent, moisi, boîte, histoire. Dans cette perspective, la prononciation québécoise de moi et toi [mwe] et [twe] fait exception à la règle générale. L’explication la plus plausible serait la suivante: cette paire de mots courants reflète une prononciation populaire datant du 17e siècle, et qui a échappé à la règle québécoise d’«ouverture de e en finale de mot».

Sur un autre plan, il se peut bien qu’il y ait eu interaction constante entre différentes prononciations liées par la morphologie (boire et bois, boit, croire et crois, croit, voir et vois, voit, recevoir et reçois, reçoit), ce qui aurait pu contribuer à une «normalisation» de la prononciation»

Simplification du groupe /vw/: v –> Ø/ _____ w

Exemples, p. 35: voir, voile, voiture, voyons, envoyes donc, avoine, avoir, savoir, devoir (prononciation sans -v- dans le vernaculaire québécois).
Exemples, p. 35 en [wa], toujours sans [v]: voile, voiture, envoyer, avoine, savoir (prononciation mi-québécoise, mi-française)

Maintien du yod (= la semi-voyelle palatale [j]) audible surtout à la fin des verbes dont le radical contient la diphtongue oi: j’envoye, nettoye, je noye, j’employe, (survivance de la prononciation ancienne toujours représentée par l’orthographe). Au présent du subjonctif, ce maintien se justifie par une tendance générale selon laquelle le subjonctif diffère de l’indicatif présent par la présence d’une consonne terminale OU AUTRE SEGMENT audible: je lis (faut que je lise), je me marie (faut que je me marise), je fais (faut que je fasse), je viens (faut que je vienne), je pars (faut que je parte), je sors (faut que je sorte), je lis, ris, scie (faut que je lise, *rise, *scise). Ainsi de suite: faut que je soye, j’aye, je voye, j’envoye, je paye, j’aille, où la palatale terminale [j] est la marque audible du subjonctif présent (à la différence de l’indicatif correspondant qui ne comporte pas de consonne terminale audible (je suis, j’ai, je vois, j’envoie, je paie, je vais, etc.).

Oignon, poignon, moignon, poigne, poignet, poignée, poigner, poignage, poigneur, poignard, empoigner, poignet. Dans toute une série de mots, la graphie ign représente la prononciation [ø], et la voyelle précédente devrait théoriquement se prononcer en «o ouvert» []. Bref, la prononciation historiquement justifiée devrait être celle du mot oignon ([ø)] et jamais *[waø)]). Cette prononciation se maintient en FQ (p. ex., dans le verbe courant pogner [pøe]: La police m’a pogné, j’ai pogné peur, j’ai pogné deux truites), et aussi dans le mot argotique du pognon «du fric, du foin, de l’argent»).

Cependant les grammairiens et professeurs, normatistes de toutes les couleurs, interprètent le oi de presque tous ces mots comme la marque d’une diphtongue. Ainsi, ils insistent pour la prononciation normative [wa], sans doute à partir de la base lexicale simple poing. Pour venir à bout de cette question, il faudrait voir quelle a été — ou plutôt quelles ont été — les prononciations dialectales historiques de ce dernier mot.

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