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Notes du cours AS/FR 3130 6.0 Sémantique et lexicologie du français / French Semantics and Lexicology

Notes sur Aurélien Sauvageot, Portrait du vocabulaire français, «Vocabulaire motivé et vocabulaire immotivé» (54-67)

  • Résumé: La question qui se pose est la suivante: Perçoit-on, oui ou non, les rapports entre les mots? Dans l’affirmative, de quels rapports s’agit-il? Étymologiques, formels, sémantiques ou morphologiques? Qui dit motivation dit aussi transparence de relations entre les mots. Dans le cas de la non-motivation, de l’immotivation, ces relations ne sont pas en évidence.
  • S. commence par écarter les rapports étymologiques. Selon lui, la plupart des francophones ne reconnaissent pas, par exemple, le lien étymologique existant entre ferme (adj.), ferme (exploitation agricole), fermer, affermer, affermir, raffermir, fermage, fermier, qui ont tous le même point de départ en latin, soit FERMUM ~ FERMA «ferme, ensemble, complet». Pourtant, les francophones peuvent saisir les liens entre des sous-ensembles comme, p. ex., ferme, fermeté, affermir, raffermir, etc.
  • Premier point: la motivation résulte de l’emploi des procédés de dérivation et de composition, donc il y a nécessairement un rapport morphologique entre les termes, p. ex., crever, crève, crevaison, crevure, crevasse.
  • Certaines séries de mots clairement motivés ont deux (ou plusieurs) lignées étymologiques différentes, soit, p. ex., agir, agissements, agitation (par évolution naturelle), soit action, actionner, acteur, actantiel (par évolution savante). Cela est le cas du mot oeil, oeillet, oeillère vis-à-vis d’oculaire, oculiste, monocle, binoculaire (base d’origine latine), ocelle (base d’origine dialectale?), et ophtalmie, ophtalmologie, ophtalmique (base d’origine grecque). De même le terme mot, d’origine celtique, vis-à-vis de vocable, vocabulaire, verbal, verbeux, verbosité, dicton, diction, dictionnaire (bases d’origine latine) et lexique, lexical, lexème, lexicologue, lexicographe, lexicologie (bases d’origine grecque).
  • Le finnois et le hongrois ont tendance à préférer des séries motivées, ce qui expliquent la préférence que ces langues accordent à la dérivation et la composition (p. 63). Ou bien à l’inverse, la préférence accordées à la dérivation et la composition fait que ces deux langues ont plus de séries lexicales motivées que bien d’autres langues.
  • Selon le niveau d’instruction du locuteur, il sera conscient ou non des rapports qui lient les différents membres d’une même série, p. ex., fièvre, fiévreux, fébrile, fébrilité ou pied, piéton, piétaille, pédale, pédaler, pédestre, piédestal, etc.
  • Dans certains cas, une seule et même base lexicale paraîtra dans deux séquences ressenties comme différentes, soit: tache, tacher, détacher, entacher vs. attacher, détacher, rattacher, attache. On pourrait conclure, provisoirement, que la motivation (= la transparence des relations) se fonde à la fois sur une similitude de forme phonétique et sur une identité de signification de la base lexicale. En principe, cela veut dire que la base lexicale de tous les membres de la série est rigoureusement la même.
  • Mais si l’on écarte la dimension historique, inconnue de la plupart des francophones, on retiendra plutôt ceci: Pour qu’il y ait de la vraie motivation, il faut que les termes se ressemblent par leur forme et qu’ils soit proches aussi par le sens. Selon ce critère double, on peut conclure que sel, saler, salin, salure, salière constitue une seule série motivée alors que sale, salir, salissure, saleté ~ salle, salon, salonnard constituent deux séries différentes.
  • Dans d’autres cas, malgré la parenté étymologique des termes, l’éloignement des significations abolit et supprime la motivation. Ex. (le) menu, amenuiser vs. menuisier, menuiserie.
  • Quand on isole une base lexicale, p. ex., pied, sel, on se rend compte qu’elle est en soi immotivée, en ce sens qu’elle n’entretient pas de relations avec d’autres mots, sauf par dérivation ou composition.
  • C’est tout au plus si on est capable de constater que pied, ag- et sel sont apparentés à péd-, act- et sal-, mais dans ce cas, on dira que la base lexicale revêt deux formes différentes, une forme française et une forme d’origine savante.
  • L’apprentissage des bases et de leurs variantes est un travail de mémoire, accompli par de longs efforts. Si l’enfant acquiert naturellement toutes les bases françaises, l’acquisition des bases d’origine savante est un produit de l’instruction, de la curiosité et du développement intellectuel.
  • Facile de constater que oeil, yeux, oeillet, oeillère, oeillade, zyeuter constituent une série motivée, mais connaissez-vous le sens de chaque terme? Comprenez-vous le sens des mots pâtinettes, patinette, trottinette, cuisinette? Pouvez-vous le deviner?
  • On considère le vocabulaire étranger généralement immotivé par rapport à la langue emprunteuse (building, gangster, hold-up, far-west, patoka, wiener schnitzel, sauerkraut, perestroika, glastnost) parce que sans relations morphologiques avec d’autres termes de même sens en français.
  • Parfois, on tire des effets stylistiques d’une série motivée, tel terme étant plus recherché, moins connu, plus pompeux, ou plus scientifique que tel autre. Quelle est la différence, par exemple, entre seul, esseulé et solitaire? Entre l’esseulement et la solitude? Entre l’ennuagement et la nébulosité croissante? Entre l’insolation et l’ensoleillement? Entre le savoir, les connaissances, la sapience et la science?
  • À force de tolérer des termes immotivés, qu’ils soient d’origine savante ou étrangère, une langue peut perdre sa faculté dérivationnelle, celle aussi de confectionner des mots composés, du moins selon Sauvageot (p. 65). Le risque nous semble minime comparé au danger d’oublier un terme immotivé ou carrément savant. Ennuagement et ensoleillement se défendent très bien en comparaison avec nébulosité et insolation, à cause de leur liens transparents avec les termes de base respectifs nuage et soleil.
  • Les langues qui comptent peu sur la dérivation (comme le chinois) misent plutôt sur la composition lexicale (= la juxtaposition de lexèmes, tout en respectant la morphosyntaxe de la langue). En général, de telles langues maintiennent un haut niveau de transparence et de motivation.
  • Le sens de la motivation sémantique est variable selon les usagers de la langue. Plus on est instruit, plus on connaît de langues, plus on reconnaîtra des rapports entre des termes apparentés sur le plan sémantique. De même, les linguistes, les étymologistes et les historiens de la langue reconnaissent plus de rapports sémantiques que ceux qui n’ont pas reçu une telle formation.
  • Il reste que la motivation sémantique n’est pas une méthode d’investigation scientifique. Plutôt, elle est la connaissance que peut avoir un sujet parlant des relations qui existent entre des mots qui ressemblent ou qui se rapprochent par leur forme et qui s’associent par leur sens.

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