Jacques Leclerc, chapitre 15, «Les structures du lexique»
Quand vous aurez fini votre lecture du chapitre 15, préparez des réponses aux questions 8-13 (p. 413s.) et à celles qui se trouvent dans les notes ci-dessous.
Entreé en matière
Pour ce qui touche à la forme des mots, il faut tenir compte de trois dimensions:
a) la morphologie dérivationnelle (préfixation, suffixation, inflexion)
b) la syntaxe (les relations qu’entretiennent les mots entre eux), qui fait des syntagmes: pomme de terre, bureau de poste, vaisseau spatial, du jamais vu, le qu’en-dira-t-on, les on-dits, un croc-en-jambe, etc…
c) les compatibilités ou incompatibilités sémantiques: pause-café, pause publicitaire, café-crème, poste restante (à la différence de *pause-pâtes, *pause-militaire, *café-vinaigre, *poste grouillante) qui pourraient se dire, du moins théoriquement, mais qui n’existent pas dans un discours normal.
1 La dérivation
Qui dit dérivation parle de préfixation ou de suffixation, c.-à-d. l’ajout d’un morphème à une base lexicale (= un lexème).
Exemples de préfixes: former > ré-former, re-former, dé-former, in-former, con-former, etc.
Exemples de suffixes: pâle > pâl-ot, hache > hach-ette, riche > rich-ard, pomme > pomm-ier, drainer > drain-age, garçon > garçonn-et, garçonn-ière
Dans le cas de la dérivation, l’ajout d’un suffixe peut entraîner des changements importants au radical (= la base lexicale). Dans la plupart des cas, la nouvelle base lexicale prendra un caractère latino-grec. Exemples: sel > sal-, comme dans sal-ière, sal-in, sal-inité et non *sel-ière, *sel-in, *sel-inité, cher > chari- ou cari-, comme dans chari-té, chari-table, (oeuvres) cari-tatives et non *cheri-té, *cheri-table, *cheri-tative, entendre > aud-ible et non *entend-ible, ville > urb-ain et non *vill-ain, proche > proximi-té et non *proche-té, aveugle > aveugle-ment (moral ou psychologique) ou bien céci-té (physique), louer > loca-tion, nuit > noct-urne, jour > di-urne, voir > vis-ible, prévoir > prévis-ible, toucher > touch-able ou tact-ile, entendre > aud-ible et non *entend-able ni *entend-ible.
1.1 Les préfixes
Ce sont des morphèmes liés que l’on met devant une base lexicale et qui font corps avec lui. Il y a une bonne soixantaine de préfixes vivants en français contemporain. On dit de ces préfixes vivants qu’ils sont «productifs». La préfixation laisse inchangée la classe grammaticale du lexème de base: alimentation > sous-alimentation (n. f.), peindre > repeindre (v.), tropical > subtropical (adj.).
Dans le tableau 15.1 figurent bon nombre de préfixes à haute fréquence. À noter: la diversité dans les préfixes indiquant la négation (la contradiction ou le contraire), la variété dans les préfixes indiquant une valeur essentiellement «intensive».
Pour tirer profit de la préfixation, il faut comprendre:
1) la signification de base lexicale
2) les valeurs stylistiques (littéraires, populaires, émotives ou affectives) qui peuvent s’y rattacher
3) les paires antonymiques: hyper/hypothermie, infra/superstructure, sous/suralimentation, avant/après-midi, typique/atypique, social/asocial, etc.
4) les règles orthographiques d’usage, notamment l’emploi ou non du trait d’union et, s’il y a lieu, la suppression ou l’addition de certaines lettres: immangeable, irréparable.
1.2 Les suffixes
À noter que certains suffixes ont la propriété de changer la classe grammaticale du terme de base, d’autres non. Quelques cas de non modification de la classe grammaticale: pâle > pâlot(te), cuisine > cuisinette, pleurer > pleurnicher, pleurnichage, pleurnicheur, écrire > écrivailler, rêver > rêvasser. Quelques cas de modification de la classe grammaticale:président (n. m.) > présidentiel(le) (adj. ou n.),atterrir (v.) > atterrissage (n.)
1.2.1 Les suffixes non modificateurs de classe
Pour chacune des quatre sous-catégories, proposez un autre exemple.
1.2.2 Les suffixes modificateurs de classe
La plupart des suffixes ont pour effet de modifier la classe grammaticale des lexèmes. En plus, certains entraînent des variations du radical (= de la base lexicale). Pour chacune des sous-catégories de cette rubrique, proposez un autre exemple.
Dans certains cas, assez rares, on profite d’une divergence suffixale pour exprimer une nuance de sens: aveugle > aveuglement(moral ou psychologique) et cécité (aveuglement physique); observer > observation (concrète ou visuelle) et observance (pratique religieuse, abstraite ou morale); prolonger > prolongation (abstraite, surtout dans le temps) et prolongement (concret, surtout dans l’espace); déchirer > déchirure (concrète, d’une chemise, par exemple) et déchirement (sens plutôt abstrait ou moral).
2 La composition (française ou populaire)
Ici il s’agit non plus de morphologie, mais de syntaxe, de la juxtaposition de termes (lexèmes et morphèmes) selon les règles habituelles de la syntaxe française. Les mots composés ont un sens global qui dépassent la simple somme de leurs composantes, chacune prise isolément, littéralement.
Tôt ou tard reconnus comme des unités globales de sens par la majorité des francophones, les mots composés font leur entrée dans «le» dictionnaire. À ce moment-là, un mot composé est considéré comme «lexicalisé». Dans ce cas, on parle de la «lexicalisation» des syntagmes et des mots composés.
Exemple: une table ronde peut revêtir au moins deux interprétations:
1) une table de forme ronde
2) une réunion de spécialistes qui discutent d’un thème précis dans le cadre d’une conférence
Que veut dire la phrase: «Il n’y a pas de sages-femmes à l’hôpital Sunnybrook»? Réponse: les terme sage-femme est un syntagme lexicalisé, dont il faut comprendre le sens pour bien interpréter la phrase.
Sur le tableau 15.2, p. 206 y a-t-il un mot composé que vous ne reconnaissez pas? Si vous avez un doute, envoyez-moi un courriel!
Quels critères permettent de savoir si un mot composé est lexicalisé ou non?
Réponse:
1) On lui reconnaît une signification globale qui n’est pas la simple somme de ses composantes, chacune interprétée littéralement.
2) C’est une formule figée (on ne peut pas remplacer l’une des composantes sans en détruire l’unité de sens globale). Comparez pomme de terre ou ver de terre avec *oignon de terre, *lune de terre, *eau de terre, *carotte de terre etc.
3) De même, on ne peut pas insérer d’autres éléments au milieu d’un syntagme lexicalisé. Ex. pomme de terre > *pomme [brune] de [mauvaise] terre.
4) Le mot composé est parfois remplaçable par un terme unique dans d’autres langues. Ex. pomme de terre > patate, potato, patata, Kartoffel, etc.
5) Les mots composés lexicalisés figurent déjà dans un bon dictionnaire, ou bien vont s’y trouver très prochainement. Les syntagmes non-lexicalisés ne sont pas recensés dans les dictionnaires.
3 Les composés savants et la composition savante
Alors que les composés français (populaires) sont des syntagmes (ex. force de frappe) ou de simples juxtapositions de lexèmes (projet pilote, tête chercheuse, porte ouverte, appartement témoin), où le premier terme est le pivot (= terme de base) et le second décrit ou complémente le premier (= terme complémentaire ou descriptif), la composition savante suit un tout autre modèle, de type latino-grec. Quelques exemples:
ostréiculture «culture des huîtres»; 2e exemple agriculture «culture des……………… ?»
bibliophile «amateur de livres»; 2e exemple francophile «amateur des……………….. ?»
claustrophobie «peur d’être renfermé»; 2e exemple francophobie «peur des……….. ?»
hippodrome «piste pour chevaux de course»; 2e ex. aérodrome «piste pour…………. ?»
De plus, les bases lexicales ont souvent un caractère latin ou grec, ce qui se comprend étant donné leur nature «savante». Dans un mot composé savant, le second terme est le pivot, tandis que le terme complément se place en première.
Leclerc affirme que la composition savante fonctionne selon le modèle de la composition anglaise, allemande ou néerlandaise. Il serait peut-être plus exact de dire que la composition germanique fonctionne généralement selon le modèle latino-grec: terme complément suivi du terme pivot.
En résumé…
– les composés savants sont des créations savantes faites d’éléments grecs ou latins
– ils sont monosémiques (n’ont qu’un seul sens, relativement précis)
– les deux termes sont juxtaposés et amalgamés; pour la plupart, ils forment des noms ou des adjectifs
– le second terme est le pivot (= terme de base), le premier est son complément (= son descripteur)
– le premier terme se termine par un -o- ou un -a- (marques du m. ou f. respectivement), par un -i- ou un -y-, ces derniers étant les marques de pluralité en latin et en grec (à noter que la lettre y est un «i grec»)
– des termes spécialisés ou semi-spécialisés parce que
– nés dans des domaines de spécialisation (p. ex., médecine, droit, mathématiques, science, informatique, biochimie, etc.)
– ou bien on les a créés dans le but de donner un air de respectabilité scientifique à un concept, une idée, une idéologie, un produit à commercialiser, un nouveau processus technologique.
Exercices:
– Sur le tableau 15.3, y a-t-il un terme que vous ne comprenez pas? Envoyez-moi un courriel, si votre dictionnaire ne peut pas vous tirer d’embarras.
– À partir des éléments du tableau 15.4, p. 209, formez un mot savant et expliquez-en la signification. Exemple: la *cacologie «science de ce qui est mauvais, répugnant»
4 Les procédés peu productifs (??!!)
Sous cette rubrique figurent trois procédés autres que la dérivation et la composition traditionnelles. Je ne suis pas d’accord quant à l’idée qu’ils ne sont pas productifs.
4.1 La siglaison
Ici, le «mot» se forme à partir des lettres initiales de chaque composante du syntagme. Pouvez-vous reconstruire le texte entier à partir des sigles suivants?
L’URSS
Les USA
Les É.-U.
Qc
La CÉE
Le NPD
Une HLM
Un PDG
les HÉC
Le PC
Le PLC
Le PQ
La SQ
La SAQ
La GRC
La SRC
L’ADN
Les MTS
Le SIDA
L’ALÉNA
L’OTAN
L’ONU
L’UNESCO
En connaissez-vous d’autres?
4.2 L’acronymie (= les amalgames lexicaux)
Certains mots sont formés à partir d’éléments tronqués que l’on combine entre eux. Ce procédé rappelle la composition savante.
eurovision
héliport
musicassette
restoroute
abribus
lunaute
franglais (et frenglish)
brunch
téléthon
marchethon (*vélothon, *nagethon, *rampethon, *roulethon, *joggethon, *escaladethon)
En connaissez-vous d’autres?
4.3 La troncation
On abrège des mots polysyllabiques ou «trop longs» afin de les ramener au modèles mono- ou bisyllabique, typiques de la vaste majorité des lexèmes français d’origine non savante (= populaire). Donnez la forme tronquée des termes suivants:
professeur
publicité
Faculté
Laboratoire
condominium
Coca-Cola
propriétaire
voiture automobile
beau-frère
autobus
salle obscure de projection cinématographique
chemin de fer métropolitain
vélocipède
cafétéria
calculatrice
restaurant self-service
restaurant universitaire