Notes et commentaires sur le livre de Luc Ostiguy et Claude Tousignant
Le français québécois: normes et usages. Montréal: Guérin universitaire, 1993
- Introduction (p. 11)
- Chapitre 1: «Le e caduc» (p. 37)
- Chapitre 2: «L’assimilation des voyelles» (p. 51)
- Chapitre 3: «Les voyelles i, u et ou» (p. 63)
- Chapitre 4: «Les prononciations de la voyelle a» (p. 71)
- Chapitre 5: «Les prononciations de la voyelle è en fin de mot» (p. 83)
- Chapitre 6: «La dipthongaison des voyelles longues» (p.89)
- Chapitre 7: «Les prononciations de la graphie oi» (p. 97)
- Chapitre 8: «Les voyelles nasales» (p. 107)
- Chapitre 9: «La fusion des voyelles» (p. 117)
- Chapitre 10: «L’affrication des consonnes t et d» (p. 125)
- Chapitre 11: «L’assimilation des consonnes» (p. 133)
- Chapitre 12: «La liaison consonantique» (p. 145)
- Chapitre 13: «Les prononciations de la consonne r» (p. 157)
- Chapitre 14: «La réduction des groupes de consonnes finales» (p. 169)
- Chapitre 15: «La disparition de la consonne l des pronoms et articles» (p. 175)
- Conclusion (p. 189)
1. Objectif de l’ouvrage.
Objectif général: Luc Ostiguy et Claude Tousignant veulent surtout décrire les normes et usages du français parlé actuellement au Québec.
Objectif particulier: ils dégagent de ces connaissances et de ces données des implications pour l’enseignement du français en milieu québécois; l’accent se porte avant tout sur la langue parlée.
Définition: l’exposé est limité aux usages les plus courants du français parlé au Québec. L’ouvrage se restreint à la description de quinze caractéristiques phonétiques marquantes du FQ; le lexique est mis de côté et les auteurs promettent un second volume entièrement consacré à la morphosyntaxe. Le présent livre est destiné aux actuels et futurs enseignants du français langue maternelle au Québec, qui ont besoin de connaître les différents usages et les valeurs qui s’y rattachent. De plus, les auteurs soulignent les facteurs sociolinguistiques qui conditionnent ces usages.
2. Pourquoi l’étude du français parlé?
Parce que le domaine est relativement négligé. Parce que, en général, les enseignants et concepteurs des programmes valorisent ce qu’on est convenu d’appeler «le français correct d’ici». Parce que les élèves francophones devraient savoir adapter leur comportement langagier à la situation de communication dans laquelle ils se trouvent.
3. Le français parlé au Québec, ses normes et ses usages.
Domaine qui attire l’intérêt des chercheurs depuis les années soixante. On s’intéresse surtout à la variabilité dans la prononciation et à ses raisons d’être. Recherches inspirées surtout par les travaux de dialectologie sociale du linguiste américain William Labov. Les auteurs exposent les principales caractéristiques de la façon de parler des Québécois et précisent ce qui singularise les français «familier» et «correct» tels qu’ils se présentent au Québec.
3.1 La variation géographique (= variation dans le parler de populations habitant des régions différentes).
3.2 La variation sociale (= variation liée aux différences de classe sociale).
3.3 La variation situationnelle (= variation liée aux circonstances de formalité, au degré d’attention portée ou non à sa façon de parler, à la nature du thème ou du sujet de la conversation). À quel degré surveille ou soigne-t-on son discours?
3.4 La notion de variable linguistique. Le variable sociolinguistique concerne la réalité de deux ou plusieurs variantes phonétiques d’un seul phonème (= unité phonologique). Cette variabilité est conditionnée par des facteurs régionaux (= géographiques), sociaux, situationnels, ou autres.
4. Une norme ou des normes
Au lieu de concevoir la langue comme faisant bloc unitaire, les auteurs soutiennent qu’il existe plusieurs normes. Celles-ci reflètent des différences d’âge, de sexe, de profession, de région, de situation et/ou de classe sociale. Malgré une certaine liberté face à leur langue, «… les gens n’utilisent pas les formes linguistiques au hasard, mais sont plutôt guidés par des normes implicites ou explicites qui en déterminent les usages» (p. 22).
5. Normes implicites et normes explicites
Les normes implicites ne sont jamais ouvertement formulées, mais elles sont néanmoins suivies par tous les membres des groupes qui les partagent, dans la mesure où ils veulent appartenir à tel ou tel groupe. Par contre, les normes explicites reposent sur la conviction traditionnelle qu’il existe bel et bien un bon usage et un mauvais. Toute norme explicite renvoie à un appareil de référence, un ensemble de croyances, de valeurs et d’organismes qui la reflète.
De plus, la norme explicite est diffusée et imposée par des mécanismes tels que l’école, la presse écrite et électronique et l’administration publique. Les auteurs ouvrent une longue parenthèse sur les fondements historiques du concept de «bon usage» (pp. 14-26). Il est indéniable que des normes existent, qu’on le veuille ou non. Il est également indéniable que les locuteurs formulent des jugements par rapport aux traits de prononciation des autres.
6. Attitudes à l’égard de la langue parlée
Comment expliquer que les locuteurs québécois évaluent positivement la variété française (standardisant, normatif, européen) sans chercher pour autant à l’utiliser? Pourquoi certains Québécois évaluent-ils négativement des prononciations dont ils font eux-mêmes usage? Il semble que la variété française est valorisée pour des raisons cognitives et historiques, donc pour des raisons de prestige acquis, alors que la variété québécoise est appréciée pour d’autres motifs. Selon les auteurs, la loyauté envers son dialecte maternel serait une sorte d’affirmation psychologique, sociologique et identitaire.
7. Les registres de langue
Le FQ n’offre pas un seul usage, mais plusieurs. Il s’agit d’identifier et de décrire les registres et les traits de langue qui les caractérisent.
8. L’étude de la langue parlée et de ses normes d’usage et les implications pour l’enseignement
Impossible de déterminer une norme pour l’oral à partir de la langue écrite, qui reflète sur bien des points l’usage d’une époque révolue, ou encore l’usage soigné et réfléchi que les plus scolarisés peuvent faire de la langue. C’est plutôt dans l’usage concret et les attitudes observées chez les locuteurs qu’il faut chercher les normes qui permettent de déterminer ce qu’il faut enseigner… ou ne pas enseigner. «L’enseignement du français correct ne vise donc pas l’élimination de la langue familière, mais plutôt l’élargissement des habilités des jeunes à communiquer adéquatement dans diverses circonstances» (p. 32).
Chaque chapitre du présent ouvrage est accompagné de commentaires sur les implications de la description de chaque trait phonétique à l’étude pour l’enseignement du français langue maternelle. De plus, chaque chapitre est accompagné d’un tableau récapitulatif, qu’on ferait sans doute bien de lire avant d’aborder les détails de l’exposé.
Si l’on peut se permettre de ne pas tomber d’accord avec toutes les affirmations des auteurs concernant les valeurs positives ou négatives se rattachant à telle ou telle prononciation, il est indéniable que de tels jugements de valeur font partie de la conscience linguistique de tous les parlant français. Ainsi, les francisants feraient bien de se mettre au courant de ces jugements, s’ils tiennent à être bien jugés eux-mêmes, ou tout simplement s’il veulent éviter d’être mal jugés.
– La transcription en alphabet phonétique
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Voici un variable sociolinguistique qui caractérise presque toutes les variétés de français, sauf celle qui se parle dans le Midi de la France. Soulignons que le français méridional, exceptionnel à cet égard, conserve presque tous les «e caducs» qui tombent dans les autres variétés de français. En cela, le méridional reflète un état de langue relativement conservateur. Sur ce point, les autres variétés de français sont donc innovatrices.
Plusieurs facteurs agissent sur la présence ou l’absence du «e caduc»: a) le registre, b) la position de la voyelle dans le mot, c) la vitesse du débit et d) la nature des consonnes qui entourent le [«].
Le sort du «e caduc» est une question de simplification linguistique: les locuteurs se permettent de faire l’économie de la seule voyelle inaccentuée (= atone) qui existe en français. Cela fait que les voyelles qui restent sont toutes également accentuées en principe, mais celle qui figure en syllabe finale de groupe rythmique (et syntaxique) est un peu plus forte que les autres.
Historiquement, tous les «e caduc» auraient dû tomber; s’il en reste toujours, c’est surtout pour éviter que ne se forment des suites de consonnes imprononçables ou «difficiles à articuler». Un second facteur est la vitesse de l’élocution: plus on s’exprime vite et spontanément, plus il tombe de [«]; plus on s’exprime au ralenti, plus on se surveille, plus on a tendance à en garder.
Un troisième facteur possible est d’ordre morphologique: la vaste majorité des déterminants du nom comportent une voyelle (un, une, des, le, la, les, mon, ma, mes, ton, ta, tes, son, sa, ses, ce(t), cette, notre, nos, votre vos, leur, leurs). D’où peut-être une certaine résistance, faible il est vrai, à son élimination dans les deux formes du masculin que sont le et ce, du moins à l’initiale de groupe ou de phrase (le livre, ce monsieur, cf. aussi la série d’exemples présentée sous 4).
Comme les autres langues romanes, le français parlé a tendance à éliminer l’hiatus, une série de deux ou plusieurs voyelles de suite. Ceci est manifestement le cas de ce qu’on appelle l’élision (cf. §2). On peut en trouver d’autres exemples dans le phonétisme du FQ. Normalement, c’est la première des deux voyelles qui est éliminée, tout en laissant une trace sous forme d’allongement de la voyelle qui reste, p. ex., sur la rue > su’a rue > sa rue [saù {y]. Si la suppression de la première voyelle produirait une perte d’information morphosyntaxique ou lexicale importante, c’est la seconde qui tombe, p. ex., dans la maison > dans’a maison > dans maison [dnù mEzo)].
Si la chute du [«] devait produire une série de trois consonnes ou plus, on en conserve la prononciation, du moins dans un français «correct». À noter cependant que les groupes, consonne + [r, {] en début de mot se comportent comme une consonne simple (dans ce contexte, le [r, {] tient plutôt de la nature d’une voyelle). Exemples: train, groupe, croire, brouette, strapontin.
Sur le plan historique, on remarquera que [«] en finale de mot était l’ancienne marque orale du genre féminin, par opposition au morphème zero, marque en négative du genre masculin. Avec l’affaiblissement et la perte progressive du [«] en finale de mot (qui commence au moyen âge et gagne du terrain pendant la Renaissance), le substantif en soi ne porte plus de marque de genre fiable. C’est donc la morphosyntaxe qui prend la relève et qui porte en français moderne les marques de genre. Ainsi, l’emploi d’un déterminant devient obligatoire pour marquer le genre du substantif: mon ~ ma, ton ~ ta, son ~ sa, un ~ une, le ~ la, ce ~ cette.
Il est vrai que la majorité des noms se terminant par une consonne audible sont désormais du féminin, la majorité des noms se terminant en une voyelle audible du masculin. Les substantifs comportant une consonne liquide [l] ou [r, {] comme consonne finale échappent à cette règle générale. Exemples: animal, val, avril, père, frère, livre sont du masculin.
3. Le «e caduc: une question de registre de langue
«… plus le registre de langue choisi approche du discours familier et plus la voyelle «e» a tendance à disparaître» (p. 39). Par contre, plus le registre est formel, soigné et soutenu, plus la voyelle [«] aura tendance à rester.
4. Le «e» caduc et le registre soutenu
Conservation d’un maximum de [«] dans le registre soutenu.
5. Le «e» caduc et les niveaux correct et familier
«…le ‘e’ caduc tombera chaque fois que son élision ne provoque pas la rencontre d’un groupe de consonnes trop difficile à prononcer» (pp. 40-41).
5.1 Le «e» caduc et le niveau correct
Les auteurs décrivent une série de contextes linguistiques où le [«] reste ou tombe normalement, à supposer un rythme et débit normaux et un registre de langue «correct».
5.2. Le «e» caduc et le registre familier
On affirme que le comportement du [«] est à peu près le même au registre familier qu’au niveau correct, avec cette différence que sa chute en finale de mot entraînera la chute de la consonne précédente, s’il y en a deux ou plus. Cela est vrai quand un autre mot commençant par consonne suit sans pause, également quand le mot en question se trouve en finale absolue, devant pause.
Seules exceptions à cette règle: les groupes C + [s], p. ex., quartz, éclipse, chips et les prononciations populaires comme risque [{iks], se crispe [s« k{ips], brusque [b{yks]. En p. 46, les auteurs résument trois paramètres qui régissent la chute du «e» caduc en FQ.
6. Le «e» caduc et l’enseignement
Pour les élèves de langue maternelle française, les auteurs soulignent la futilité d’intervenir; selon eux, il suffit de faire prendre conscience du fait qu’un débit lent entraîne une prononciation plus soignée, donc le maintien d’un plus grand nombre de [«].
Par contre, ceux et celles pour qui le français est une langue seconde ont intérêt à comprendre le comportement du «e» caduc, du moins dans ses grandes lignes. Ne pas les prononcer dans des situations et circonstances de communication formelles risque de susciter une réaction sociale négative. Trop en prononcer dans des situations et circonstances familières pourrait évoquer la même réaction, mais pour des raisons complètement différentes. Pour se faire accepter, en général il faut parler comme les autres membres du groupe.
Récapitulation (p. 49)
Chapitre 2: «L’assimilation des voyelles»
Autre variable connu de toutes les variétés de français du monde. En principe, il s’agit d’une modification de la prononciation «idéale» de la voyelle sous l’effet de segments avoisinants dans la chaîne sonore.
1. Les différents types d’assimilation des voyelles
Les auteurs en relèvent trois: a) l’harmonisation des voyelles (= harmonisation vocalique, métaphonie, Umlaut), b) la nasalisation et c) le dévoisement des voyelles /i, y, u/.
1.1 L’harmonisation des voyelles
Par ce processus, une voyelle (faiblement accentuée) se modifie et s’adapte phonétiquement à celle de la syllabe suivante (plus fortement accentuée). La voyelle la plus fortement accentuée se trouve normalement dans la syllabe finale du groupe rythmique. Le plus souvent, la voyelle en question est de timbre moyen, orthograhpiée «e», «eu», «oeu» ou «o».
D’après les exemples cités, on dirait que la fermeture de voyelle est beaucoup plus courante que l’ouverture de voyelle, p. ex., [E > e, ¿ >O, > o]. L’harmonisation vocalique se présente en FQ, en FS, et dans d’autres langues du monde.
1.2 La nasalisation des voyelles
L’inventaire phonologique du français comporte quatre voyelles nasales, et puisque des distinctions de genre reposent sur le contraste voyelle nasale ~ voyelle orale + consonne nasale audible (bon ~ bonne, paysan ~ paysanne, voisin ~ voisine, un ~ une). Par conséquent, il n’est pas surprenant que le FS répugne à accepter la nasalisation d’une voyelle suivie d’une consonne nasale prononcée.
Les auteurs citent plusieurs exemples du phénomène. À noter que la nasalisation de la voyelle de neige est bien moins caractéristique que celle de tous les autres exemples cités, où la voyelle qui se nasalise est soit encadrée de consonnes nasales (même, maman, magnifique), soit suivie d’une seule consonne nasale (chaîne, gagne). Le fait que la nasalisation existe aussi en anglais (p. 57) ne signifie nullement que sa présence en FQ est due à l’influence de l’anglais.
1.3 Le dévoisement des voyelles
Fait tout à fait typique du FQ et qui touche les voyelles très fermées /i, y, u/, lorsqu’elles sont situées entre consonnes sourdes, soit /p, t, k, f, s, S/. Ces trois voyelles s’adaptent ainsi à leur environnement linguistique immédiat et perdent toute leur sonorité. Elles sont brèves et comme «chuchotées». Ce dévoisement (ou cette désonorisation) de /i, y, u/ est inconnu lorsque la voyelle se trouve entre consonnes sonores, p. ex., lilas, miner, etc., mais il peut se produire (facultativement) lorsque l’une des consonnes avoisinantes est sonore et l’autre sourde, comme le prouve la prononciation du dernier /i/ de l’exemple municipalité en FQ.
La tendance au dévoisement est tellement forte dans le contexte /s___t, qu’elle va jusqu’à toucher la voyelle ouverte [E] de cet, cette, c’est, comme dans les exemples c’t homme, s’te monsieur, c’tte femme, c’t un ami (normalement [st] devant voyelle, [st«] ou [sta]devant consonne). Il faut croire que la prononciation ste gars-là, pour c’gars-là représente une forme d’hypercorrection, alors que la tendance contraire, c’fille-là pour ste fille-là serait une simplification. Cette variation suggère une tendance à neutraliser le genre, tendance peut-être ancienne, du moins en ce qui concerne le déterminant démonstratif ce ~ cette.
On remarquera aussi le dévoisement de [e] dans les contextes /Z __ t et /S __ t, fréquent chez la 1ère personne de l’imparfait j’étais, prononcée [StE] ou [StQ] en FQ familier et populaire.
2. L’assimilation des voyelles et l’enseignement
Dans les registres familiers ou populaires, l’harmonisation des voyelles passe généralement inaperçue. Pourtant, dans des contextes discursifs très formels, la tradition orthophonique veut que chaque phonème et chaque syllabe garde toute sa précision articulatoire. Ainsi, les auteurs recommandent, dans les contextes de grande formalité, de parler lentement afin d’éviter ce genre d’assimilation vocalique.
La nasalisation des voyelles suivies d’une consonne nasale prononcée est assez mal vue et peut entraîner des jugements défavorables, sinon sévères, quant au parler de son usager. Selon les auteurs, ce genre de nasalisation est à déconseiller.
Quant au dévoisement des voyelles, l’effet social qu’il engendre au Canada français est négligeable. Si l’on cherchait à le réduire, on pourrait tout simplement proposer aux élèves d’adopter un débit élocutoire ralenti et un rythme syllabique égal.
Récapitulation (p. 61)
Chapitre 3: «Les voyelles i, u et ou»
Alors que le FS n’admet qu’un seul timbre pour chacun des phonèmes /i, y, u/, le FQ en présente deux: un timbre très fermé et tendu[i, y, u] et un timbre relâché et ouvert [I, Y, U]. La distribution de ces deux variantes est déterminée notamment par la présence de l’accent de groupe et par la structure syllabique. Ceci constitue l’un des traits les plus caractéristiques du parler québécois, du moins pour les oreilles non francophones.
Remarquons que la distribution de ces variantes (fermées et ouvertes) correspond, du moins partiellement, à la «distribution complémentaire» que fait le français parlé hexagonal des voyelles [e, O, o] en syllabe ouverte accentuée (ses, sait, c’est, ceux, saut) et[E, ¿, ] en syllabe fermée accentuée (sec, soeur, sotte).
2. «Les variantes ouvertes des voyelles i, u et ou»
En syllabe ouverte accentuée, sous l’accent, les variantes [i, y, u] se présentent régulièrement, p. ex., vie [vi], vue [vy] et vous [vu], exactement comme en FS. Par contre, en syllabe fermée par une consonne dite abrégeante, toujours sous l’accent, les variantes relâchées et ouvertes [I, Y, U] font leur apparition en FQ. Les consonnes fermantes les plus abrégeantes sont les occlusives /p, t, k, b, d, g, m, n, ø / et la latérale /l/.
Cet effet d’abrégement et de relâchement peut être produit aussi par les consonnes continues sourdes /s, f, S/, mais il semble moins marqué. Les auteurs rangent les exemples lys, puce, pousse, griffe, pouf, biche, bûche, bouche sur le même plan que tous les autres (cf. p. 65), même si l’effet de relâchement est moins évident dans ces derniers cas.
On constate le même effet d’abrégement et de relâchement alors que la syllabe est fermée par un groupe de consonnes qui comporte une consonne occlusive (p. 66). Les exemples en [fl, fr, f{] (siffle, mufle, souffle, chiffre, souffre, p. 66) suggèrent par ailleurs que n’importe quel groupe de consonnes fermant une syllabe peut produire cet effet (exception faite des suites [r, {] + consonne, p. ex., urge, firme, ours).
Ne subissent pas les effets d’abrégement et d’ouverture les /i, y, u/ suivis d’une consonne allongeante /v, z, Z, r, {/, comme dans les exemples vive, cuve, Lise, buse, pige, juge, pire, pur. Autrement dit, les /i, y, u/ allongés ou longs par nature ne subissent jamais les effets d’abrégement et de relâchement en FQ.
Ne subit pas (normalement) ces effets une voyelle située en syllabe non accentuée et non finale de groupe rythmique, p. ex., la voyelle de la première syllabe des mots pi-geon, vi-lain, cu-ré, lu-mi-neux, pou-voir, sou-lever. La présence de l’accent de groupe est donc une condition nécessaire pour que se produise le relâchement des voyelles /i, y, u/ en FQ.
3. Aspects sociolinguistiques de l’utilisation des variantes des voyelles i, u, et ou
Il semble que les variantes relâchées que sont [I, Y, U] passent inaperçues aux oreilles des locuteurs québécois et, en conséquence, n’évoque aucun jugement négatif. Elles sont utilisées par une majorité de francophones, cultivés et moins cultivés, dans la plupart des situations de communication. Certaines personnalités publiques, comme les lecteurs de nouvelles, tendent à éviter les variantes ouvertes au profit des variantes fermées. En ce faisant, ils épousent le modèle de prestige qu’est le FS. Ce procédé de substitution n’est pas généralisé chez la population. Dans certains situations de communication, elle serait même jugé «inappropriée».
4. Implications pour l’enseignement
Il n’y a pas lieu de corriger chez les étudiants francophones les variantes ouvertes de /i, y, u/, puisqu’elles sont déjà bien ancrées dans l’usage — tant formel qu’informel — qu’on fait de la langue et dans la plupart des situations de communication. Pour les francisants, il est sans doute de bonne guerre de surveiller son rythme articulatoire: accordez une force plus ou moins égale à toutes les syllabes, c’est réduire au minimum les effets d’abrégement et de relâchement des voyelles.
Récapitulation (p. 69)
Chapitre 4: «Les prononciations de la voyelle a»
Comme le FS, le FC possède deux variétés de «a», un /a/ ouvert central et un /A/ ouvert postérieur. Au Canada, ce dernier connaît deux articulations, [A] (postérieur, légèrement arrondi) et [] (postérieur et arrondi). En France, en langue parlée familière, situation de communication informelle, la tendance en est à neutraliser les deux «a» traditionnels en un seul phonème très ouvert et central, soit /a/.En France, celui-ci se prononce [a] ou [a:] du moins dans le parler familier et populaire, ce qui fait que patte et pâte, Anne et âne sont «presque homophones» dans ces registres.
Historiquement, l’allongement et la postériorisation de «a» sont liés à l’affaiblissement ou l’amuïssement des consonnes /s, z/, soit en finale absolue de mot, p. ex., pas, bas, tas, ras, las, soit en finale de syllabe à l’intérieur de mot, p. ex., chasteau > château, blasmer > blâmer, paste > pâte, haste > hâte, taste > tâte. Vraisemblablement, la postériorisation de «a» devant d’autres consonnes, dites allongeantes, serait un fait de généralisation analogique.
1. La voyelle «a» en finale de mot
Au Canada, le «a» final de mot se prononce soit [] (courant, familier) soit [A]. Plus rare et peut-être plus surprenant est la prononciation[a] en finale, sans doute par hypercorrection ou par imitation du français européen. Comme le remarquent les auteurs, le «a» a une haute probabilité d’occurrence en fin de mot; de ce fait, sa prononciation variable constitue l’un des traits les plus marquants de la phonétique franco-canadienne.
Ne présentent jamais le «a» postérieur: a) les déterminants du nom la, ma, ta, sa, le pronom objet la («vous la prenez») et le pronom sujet ça («ça prend du temps»). Cette indemnité s’explique du fait que ces mots-outils se comportent comme s’ils constituaient une syllabe initiale de mot, ou plutôt la syllabe initiale de groupe syntaxique, toutes deux inaccentuées.
Quant aux mots redoublés que sont caca, gaga, tata, blabla, tralala, ils ne présentent que [a] en finale de mot, sans doute parce que la seconde syllabe est considérée comme la réduplication de la première, qui se prononce [a].
Quant à papa [pApA], qui est la réduplication de [pA] (avec [A] postérieur dans les deux syllabes), il peut présenter des variantes familières avec dissimilation de la voyelle de la première syllabe, soit [popA] ou [pupA]. Ce qui suggère que les deux syllabes de maman devrait en principe se prononcer de la même façon aussi, soit [mnmn], [mA)mA)], ou encore [mAmA], comme [pApA], et que[mamn], [mAma))], [mma)]
et [moma)] seraient donc des variantes où la première syllabe a été différenciée de la première. D’autres exemples de dissimilation phonétique en FQ parlé; autobus [etobys], auto [eto] et Ottawa [Etw].
2. Des contraintes sociolinguistiques qui régissent la variation entre les variantes [], [A] et [a] en finale de mot
La variante [] semble constituer la norme en FC, du moins dans les échanges spontanés et informels. Par contre, la variante [A], moins courante, évoque un niveau de langue plus soutenu, une prononciation plus soignée. Quant au [a], relativement rare en finale de mot, cette prononciation trahit un souci de se conformer à la langue normative.
3. La voyelle «a» à l’intérieur de mot
À l’intérieur du mot, qu’elle soit longue par nature ou allongée par une consonne allongeante, la voyelle «a» est postérieure, soit [ù](familier ou populaire), soit [Aù] (correct ou soutenu). Cf. les exemples en p. 76, 1.
Les «a» dits longs par nature portent normalement l’accent circonflexe (pâte, hâte, tâte, mais pourtant cf. racler, comme bâcler); les «a» longs par allongement sont suivis d’une seule consonne ou semi-consonne allongeante /v, z, Z, r, {, j, ø/. Exerce également un effet d’allongement et de postériorisation la consonne /s/, comme en témoignent les exemples passer, casser, classer, entasser, espacer, ramasser.
Les auteurs n’expliquent pas pourquoi certains «a» intérieurs échappent à la tendance générale de la postériorisation. Il faudrait éliminer de la liste 2 (p. 76), les exemples chapeau, taché, attacher, tanner, faner, parce que leur «a» n’est jamais long ni allongé de toute façon. Ces mots n’ont aucune raison historique de présenter un «a» de timbre postérieur. Quant aux autres mots de cette liste, il faudrait sans doute leur chercher une explication au cas par cas.
4. Des règles sociolinguistiques qui gouvernent l’utilisation des variantes [Aù] et [ù] à l’intérieur de mot
«Pour beaucoup de Québécois, la prononciation [Aù] est l’objet d’une évaluation positive et constitue la variante de prestige. À l’inverse, le [ù] est sujet à une évaluation plus ou moins négative». (p. 77) Il se peut que les femmes, plus sensibles aux nuances et valeurs sociales, utilisent davantage la première variante. De même, les individus plus scolarisés et ceux dont l’occupation suppose un large éventail de communications publiques ont tendance à privilégier le [Aù], eux aussi.
5. Implications pour l’enseignement
Selon les auteurs, il faut reconnaître comme tout à fait approprié l’usage de la variante [] (longue ou brève) dans les échanges à caractère informel, de la variante [A] (longue ou brève) en situation formelle. Quant à [a], cette articulation traduit soit un effort d’hypercorrection, soit un souci de rapprochement avec la prononciation des Français cultivés. Ainsi, on ne s’étonne pas si plusieurs locuteurs québécois trouvent la prononciation [a] peu naturelle, voire affectée, et l’évaluent négativement, du moins dans les contextes (intérieur et final de mot) où l’on s’attendrait normalement à un «a» postérieur.
Récapitulation (p. 81)
Chapitre 5: «Les prononciations de la voyelle è en fin de mot
1. La voyelle «è» en fin de mot
En syllabe ouverte, en finale absolue, sous l’accent, la voyelle /E/ s’ouvre en [Q], prononciation qui évoque, par pure coïncidence, celles des mots anglais cat, bad, man. La prononciation ouverte caractérise surtout les mots ayant les terminaisons écrites -ais, -ait, -aient, -aid, -et, et ès (cf. les exemples en p. 84, 1). Cette prononciation existait en France déjà au XVIIe siècle, sinon avant.
2. Des règles sociolinguistiques qui déterminent l’usage des variantes [E] et [Q]
La variante [Q] semble réservé aux situation informelles, où elle ajoute une nuance de familiarité. En situation formelle, on préfère la variante normative [E]. On est donc en droit de parler de variation situationnelle.
3. La voyelle [E] à la fin des mots grammaticaux
Dans les déterminants du nom que sont les, des, ces, me, tes, ses, la prononciation historiquement fondée est [E], mais, on prononce couramment [e] en FQ, comme en FS. L’absence de la variante [Q] a de quoi surprendre. Elle s’explique sans doute du fait que ces unités ne portent jamais l’accent tonique, accent étroitement lié à l’ouverture de la voyelle [E] en [Q] en finale de mot.
Sujet à la Loi de distribution complémentaire, on prononce couramment [e] dans les syllabes de type ouvert, [E] dans les syllabes de type fermé. Comparez, sur ce point, la voyelle fermée de la série les, des, ces, mes, tes, ses avec celle, plus ouverte, de la série laide, dette, sec, mec, tel, selle.
On entend soit [E] soit [e] dans les formes verbales le plus souvent inaccentuées que sont es et est. Puisque ces mêmes formes peuvent porter l’accent à l’occasion, on ne s’étonne pas à entendre la variante ouverte [E] sous l’accent, ce qui est conforme à la norme du FS.
4. Des règles sociolinguistiques qui déterminent l’usage des variantes [E] et [e]
Aucune étude ne s’est vraiment intéressée à la production de ces variantes. Si [e] n’est pas stigmatisée (dans les mots grammaticaux), la variante [E] semble être perçue favorablement, parce que conforme aux normes de l’orthoépie. Les auteurs pensent que la variante[E] serait «trop corrigée», voire hypercorrigée, lorsqu’il fait son apparition dans les mots grammaticaux. Quant aux valeurs attachées à la variante [Q] — qui pourrait être évaluée négativement dans des situations de communication formelle — aucun commentaire n’est formulé.
5. Implications pour l’enseignement
Les écoliers font usage presque exclusivement de la variante [E] (au détriment de [Q]) dans le milieu scolaire. Donc, aucune intervention n’est recommandée. Quant à la variante [e], elle passe généralement inaperçue chez les déterminants du nom, où elle représente la prononciation normative, si l’on en croit la plupart des dictionnaires du français contemporain. Les auteurs ne disent pas s’ils approuvent ou non la prononciation mi-fermée [e] dans les formes inaccentuées du verbe être que sont es et est. Sous l’accent tonique, en fin de groupe rythmique et syntaxique, on s’attend normalement à ce que ces deux mots se prononcent [E], comme en FS.
Récapitulation (p. 88)
Chapitre 6: «La diphtongaison des voyelles longues» (p.89)
1. Les voyelles longues dans le français parlé au Québec
Plus que le français hexagonal, le FQ conserve un système vocalique fait d’oppositions entre voyelles longues et voyelles brèves. La différence fonctionnelle entre longues et brèves se manifeste clairement dans les oppositions lexicales que sont pâte ~ patte, fête ~ faites, jeûne ~ jeune, paume ~ pomme, saule ~ sol, tâche ~ tache, scène ~ saine, maître ~ mettre, l’être ~ lettre, Paule ~ Paul, saute ~ sotte, vôtre ~ votre, côte ~ cote, etc.
Ces oppositions de sens sont à la fois fondées la durée des voyelles et sur leur timbre. La où la durée disparaît, les différences de timbre tendent à disparaître elles aussi, ce qui fait que ces paires de mots sont prononcées de façon sensiblement identique, p. ex., en français parlée de la région parisienne. La où la durée vocalique se maintient, les différences de timbre se maintiennent elles aussi et sont même hypercaractérisées par la diphtongaison. Autrement dit, la diphtongaison est la forme hypercaractérisée des voyelles longues en FQ.
Sont dites longues «par nature» les voyelles qui se sont allongées à une période lointaine de l’histoire du français; souvent, ces voyelles portent l’accent circonflexe ou s’écrivent d’une manière spéciale (p. ex., saule vs. sol, Paule vs. Paul, beauté vs. botté). D’autres se sont allongées à une période plus récente et ne portent aucun indice graphique de leur allongement. Ceci est le cas des voyelles dites allongées par une consonne ou semi-consonne allongeante, soit /v, z, Z, r, {, j/, comme dans les exemples vive, cave, base, garage, port, paille.
1. La diphtongaison des voyelles longues
D’une manière générale, on peut dire que toute voyelle longue peut se diphtonguer en FQ. On remarquera cependant la pleine longueur, donc la pleine diphtongaison ne se présente que lorsqu’une voyelle porte l’accent tonique. En d’autres mots, elle se trouve dans une syllabe accentuée, normalement la dernière syllabe d’un groupe rythmique ou syntaxique.
Une voyelle dont le timbre est instable est dite «diphtonguée». En FQ, le changement de timbre va dans le sens de la fermeture. Puisque les voyelles /i:, y:, u:/ sont déjà très fermées, elles ne peuvent pas se fermer davantage. Ainsi, on ne constate pas de diphtongaison dans les mots de type vive, ruse, rouge.
Toute autre voyelle, longue par nature ou bien par allongement, peut se diphtonguer en FQ sous l’accent tonique. Les voyelles antérieures non arrondies se diphtonguent en [J] (palatal), les voyelles antérieures arrondies en [Y] (palatal) et les postérieures (arrondies) en [W] (vélaire). Je ne citerai qu’un exemple de chaque type de voyelle diphtongable en FQ:
- «e fermé» neige [neùZ > neJZ]
- «oe fermé creuse [k{Oùz > k{OYz]
- «o fermé» côte [ko:t > koWt]
- «e ouvert» père [pÎù{ > pEJ{]
- «É ouvert» peur [p¿ù{ > p¿Y{]
- «o ouvert» port [kùt > kWt]
- «a central» lavage [lavaùZ > lavaWZ]
On remarquera aussi que la première et la seconde partie de la diphtongue ont tendance à se différencier maximalement, l’une de l’autre. Cela est notamment le cas des voyelles les plus ouvertes, qui s’ouvrent davantage au contact de la semi-voyelle suivante:
- «e ouvert» père [pÎù{ > pEJ{, pQJ{, paJ{]
- «É ouvert» peur [p¿ù{ > p¿Y{, paY{]
- «o ouvert» port [pù{ > pW{, pAW{]
- «a central» lavage [lavaùZ > lavaWZ] mais [lavAWZ] est possible aussi.
Cette ouverture différenciative peut se remarquer également dans le cas du «oe fermé»: creuse [k{Oùz > k{OYz, k{¿Yz].
Tout cela revient à dire que la longueur vocalique se manifeste souvent sous forme de diphtongaison en FQ.
3. La variation dans l’usage de la diphtongaison des voyelles longues et allongées
Deux contraintes font qu’une voyelle de même timbre peut être diphtonguée ou non, les suivantes….
3.1. Une contrainte linguistique qui régit la diphtongaison: l’accent
Une voyelle ne se diphtongue pas à moins de recevoir l’accent tonique, c’est à dire que la voyelle doit être située en syllabe finale de groupe rythmique ou syntaxique.
3.2 Des contraintes sociolinguistiques qui régissent la diphtongaison.
La diphtongaison est l’objet d’une variation sociale. Plus la scolarité du locuteur sera importante et moins il présentera de diphtongues. Le contraire est également vrai: Moins la scolarité du locuteur est importante et plus il fera de diphtongues.
La diphtongaison est généralement stigmatisée au Québec. Ainsi, plus la situation de communication revêt un caractère formel, plus on utilisera une langue soutenue et moins on entendra de diphtongues. De même, plus la situation est informelle, plus le registre de langue sera familier, et plus on aura tendance à diphtonguer les voyelles longues.
Ce ne sont pas toutes les voyelles diphtonguées qui font l’objet d’une évaluation négative. Celles qui échappent à la conscience populaire apparaissent comme parfaitement acceptables en toute situation, tandis que d’autres sont régulièrement «condamnées». Celles qui attirent le plus d’attention négative semblent être les voyelles les plus ouvertes, celles des types suivants:
- «e ouvert» père [pÎù{ > pEJ{, pQJ{, paJ{]«É ouvert» peur [p¿ù{ > p¿Y{, paY{]
- «o ouvert» port [pù{ > pW{, pAW{]
- «a central» lavage [lavaùZ > lavaWZ] et [lavAWZ]
- 4. Implications pour l’enseignement du français.
Puisque la diphtongaison est jugée négativement par la plupart de locuteurs montréalais, et cela indépendamment de leur milieu socio-économique, les auteurs souhaitent que l’école sensibilise les apprenants aux variantes non diphtonguées et à leur utilisation en situation de communication formelle.
Récapitulation (p. 96)
Chapitre 7: «Les prononciations de la graphie oi» (p. 97)
1. Les prononciations de la graphie «oi»
En FQ de registre correct, la graphie «oi» présente trois variantes, soit [wa] avec voyelle centrale comme en FS (il boit, le toit), soit[wA] avec voyelle postérieure (du bois, des pois), soit [wAù] avec voyelle postérieure allongée (boîte, convoîte). En FQ de niveau familier, chacune de ces trois prononciations connaît au moins une variante:
- [we] en finale de mot, syllabe ouverte, p. ex., il boit, il voit
- [wE] en finale de mot, syllabe fermée, p. ex., il boîte, avoir, savoir, pouvoir
- [wE] se réduit en [E] dans certains mots, notamment droit(e), froid(e), croire et ses formes conjuguées. On constate la même simplification dans le verbe (se) noyer, et au subjonctif du verbe être (sois, soit, soyons, soyez, soient). Souvent, il s’agit d’une simplification de groupe consonantique de type consonne occlusive + [Rw]. Par contre, [wE] se maintient dans les verbes auxiliaires en -oir, avoir, savoir, pouvoir, devoir, là où le [v] précédent qui tombe régulièrement dans le parler familier et populaire [awEù{, sawEù{, puwEù{, d«wEù{].
- [wA] ou [w] dans au moins six mots écrits en -ois, -oix, -oids, tous monosyllabiques: bois, trois, mois, noix, pois, poids. Voir, à ce propos, la section 2.2 Le son [wA]
- [wAù] qui est la prononciation de niveau correct du mot boîte, peut se prononcer [wEù] au niveau familier; ce dernier peut se diphtonguer à son tour en [wEJ] sous l’accent tonique
Les variantes présentant une voyelle postérieure implique l’allongement (historique) de cette voyelle, alors que celles qui présentent une voyelle antérieure n’ont pas subi d’allongement. Les auteurs fournissent ensuite sept séries d’exemples (pp 98-99).
2. Des règles linguistiques qui déterminent les prononciations de la graphie «oi»
Les prononciations familières sont souvent prévisibles selon la position occupée par la graphie «oi» dans le mot. La variante [we]survient à la finale des mots en syllabe ouverte, p. ex., moi, toi; [wE] s’entend plutôt dans les mots dont la syllabe finale est fermée, p. ex., avoine, poil. En syllabe non finale, on entendra indifféremment [we] ou [wE], p. ex., moisi, poilu.
Il n’est pas évident pourquoi les mots roi, loi, voix, doit, croix, fois, québécois se prononceraient en [wa] (à la française) plutôt qu’en[wA] ou [w].
2.3 Le son [wAù]
Ce n’est que la forme allongée de [wA], du registre correct, comme l’indique assez souvent la présence de l’accent circonflexe. La forme familière contient une voyelle longue, elle aussi, mais cette dernière est sans postériorisation. Elle se prononce soit [wEù], soit[wEJ], soit encore [waJ], dans framboise, boîte, soir, histoire, où elle est située en syllabe fermée, à la finale du mot.
En syllabe non finale, on entendra plutôt les variantes [wEù] ou [wE] en situation de communication familière, p. ex., soirée, déboîter, framboisier.
3. Des règles sociolinguistiques qui déterminent l’utilisation des variantes de la graphie «oi»
Les Québécois ont tendance à éviter les variantes [we, wE, wEù, wEJ] et [waJ] en situation de communication formelle. La dernière de la série est particulièrement mal vue. Par contre, les variantes [wA] et [wAù] sont liées aux situations formelles. Cette variation est associée à des différences de classe sociale, de métier ou profession et au degré de scolarisation du locuteur.
Quant aux prononciations [wA] et [w], p. ex., bois, vois, la première a meilleur statut que la seconde. La variation libre de [wA] et [w]est à mettre en parallèle avec celle de [A] et [] en finale de mot, dans chat, Lina, Alberta, là, etc.
4. Implications pour l’enseignement
Les étudiants devraient connaître les normes et les usages reliés aux diverses variantes des sons auxquels renvoie la graphie «oi». Chose déjà acquise, semble-t-il, puisque les jeunes Québécois utiliseraient très peu les variantes familières en situation de communication formelle, du moins selon les auteurs.
Il serait souhaitable de sensibiliser les élèves à la valeur positive généralement attribuée aux variantes postérieures [wA] et [A] par rapport à [w] et [], sans pour autant chercher à condamner ces dernières.
Récapitulation (p. 106)
Chapitre 8: «Les voyelles nasales» (p. 107)
Le FS et le FQ possèdent quatre voyelles nasales tous les deux. Cependant, comme le remarque les auteurs, l’une de ces quatre voyelles tend à disparaître en France, du moins dans les registres familier et populaire. Il s’agit de la voyelle arrondie mi-ouverte écrite un [¿)]qui se prononce plutôt mi-ouverte ([E)], sinon très ouverte) [Q)] dans les mots un, lundi, brun, parfum, défunt, emprunt, etc. Cette tendance n’est pas inconnue au Canada, où elle se remarque surtout chez l’article indéfini un, qui peut perdre son arrrondissement et passer à [e)] lorsqu’inaccentué (cf. p. 110).
La prononciation des voyelles nasales au Canada diffère sensiblement de leurs équivalents européens.
- Au Canada, la voyelle nasale /¿Ê)/ se maintient le plus souvent avec sa prononciation traditionnelle [¿)] (antérieure, arrondie et mi-ouverte). Exemples: un, brun, lundi, défunt, emprunt, parfum.
En FS, la nasale /E)/ se prononce mi-ouverte [E)], sinon très ouverte et antérieure [Q)]. Au Canada, sa prononciation est plutôt moyenne, allant du [e)] (mi-fermé) au [E)] (mi-ouvert). Exemples: pain, main, printemps, saint, plein, tient, vient.
- En FS, la nasale /)/ se prononce mi-fermée, soit [o)]; elle est plutôt mi-ouverte en FQ, soit [)]. Cette ouverture vocalique est évidente surtout sous l’accent tonique. Exemples: (le) son, bon, bonbon, donc, songe, ronde, monde, bombe. Elle est pratiquement imperceptible dans dans les déterminants mon, ton, son.
- En FS, la nasale /A)/ se prononce [A)] (postérieure, ouverte), mais elle est plutôt centrale en FQ [n], même antérieure [Q)] (cette dernière variante surtout sous l’accent tonique, en fin de groupe rythmique ou syntaxique). Exemples: champ, quand, France, banquet, lent, mens, ment, pends, pend, ciment.
Ce qui fait que le FS connaît deux nasales de qualité antérieure, /E)/ et /¿ÊÊ)/ (brin et brun) et deux nasales de qualité postérieure, /A)/et /)/ (banc et bon). Pour sa part, le FQ a deux nasales de qualité antérieure, /¿), E)/ (un, pain), une de qualité centrale ouverte, /n/ (sent, vent, quand, l’an) et une seule de qualité postérieure, /)/ (bon, donc, monde, ronde). Au chapitre des nasales, c’est le FQ qui conserve une prononciation «à l’ancienne», alors que le français hexagonal a innové sur plusieurs points.
2. La diphtongaison des voyelles nasales en français parlé au Québec
Toute voyelle nasale peut se diphtonguer lorsqu’elle se trouve en syllabe finale de groupe (rythmique ou syntaxique) fermée par une consonne. Cela est possible parce que les voyelles nasales sont longues par nature (ayant absorbé une consonne nasale, historiquement) et que cette longueur se réalise pleinement en syllabe fermée sous l’accent tonique.
En FQ, deux de ces voyelles se diphtonguent dans le sens palatal, soit /E)/ > [E)J] et /¿ÊÊÊ)/ > [¿)y], alors que les deux autres se diphtonguent dans le sens vélaire, soit /)/ > [)W] et /n/ > [nW]. Les auteurs en fournissent plusieurs exemples.
3. Une contrainte linguistique qui régit la diphtongaison: l’accent
Une voyelle nasale ne se diphtongue que s’il reçoit l’accent tonique, en vertu du fait qu’elle se situe dans la dernière syllabe d’un groupe rythmique ou syntaxique.
4. Des contraintes sociolinguistiques qui régissent l’utilisation des variantes des voyelles nasales
Les locuteurs «instruits» tendent à se rapprocher des normes françaises de prononciation, sans toujours y réussir pour autant. En particulier, la prononciation québécoise des voyelles /E)/ et /n/ passe inaperçue aux oreilles de sujets de tous âges et de tous milieux socioculturels. Ce qui fait que la prononciation québécoise de ces variantes n’est pas évaluée négativement, ni tenue pour un indice de langue familière ou «incorrecte». Les auteurs croient que la prononciation diphtonguée des nasales ne révèle rien quant à la qualité de la langue parlée; pourtant, ils observent que les locuteurs qui surveillent leur langue ont tendance à préférer une prononciation non diphtonguée des nasales dans les situations de communication formelle.
5. Implications pour l’enseignement
La connotation rattachée aux nasales québécoises paraît être une caractéristique géographique. Les prononciations québécoises des voyelles nasales appartiennent ainsi au français parlé «correct» du Québec et ne font l’objet d’aucune condamnation générale. Ainsi, les auteurs voient mal pourquoi elles devraient être corrigées par l’école. Plutôt se limiter à l’observation et à l’analyse des différences qui existent entre les nasales québécoises et françaises.
Récapitulation (p. 115)
Chapitre 9: «La fusion des voyelles» (p. 117)
La juxtaposition de deux voyelles (VV) dans la chaîne sonore s’appelle un hiatus. En français, comme dans les autres langues romanes, on a tendance à réduire les suites de deux voyelles en une voyelle simple, normalement la première des deux.
Ajoutons que les cas dits «d’élision», p. ex., *le ami > l’ami, *la amie > l’amie sont eux aussi des cas de réduction d’hiatus, historiquement fondés. De tels exemples suggèrent que le phénomène de fusion des voyelles est établie depuis très longtemps en français.
Les auteurs parlent de «fusion» ou d’amalgamation de voyelles. En fait, il s’agit de la réduction, totale ou partielle, d’une de ces voyelles, habituellement la première. En FQ, l’élimination totale d’une voyelle laisse une trace sous forme d’allongement de la voyelle qui persiste.
Exemples de réduction de la première voyelle: dans la chambre [dn la Snb{ > dn a Snb{ > dn ù Snb{], sur les chemins [sy{ le SmE) > sy e SmE) > seù SmE)]
Dans l’exemple 1a) (p. 117), il semblerait que ce soit la seconde voyelle qui se réduit, au profit de la première qui s’allonge: Ça a été agréable [sa A ete agreabl > sa: ete agreabl]. Pourtant, cet exemple est discutable:l’auxiliaire avoir devrait être [a] plutôt que [A] comme forme inaccentuée. Dans ce cas, la séquence [sa a ete agreabl] se transformerait normalement en [sa: ete agreabl]. Bref, la première voyelle se réduit et la seconde s’allonge en conséquence.
Dans l’exemple 1b) l’élimination de la seconde voyelle serait problématique, en ce sens qu’on perdrait toute l’information lexicale et morphologique contenue dans le morphème en [A)]. Mais cela ne se produit pas, puisque c’est la première voyelle qui tombe, normalement, tout en allongeant celle qui reste: Paul va en prendre [pl vA A) p{A)d{ > pl vA)ù p{A)d{].
Dans le cas où la nasale est la première de deux voyelles, elle se maintient coûte que coûte, et au singulier et au pluriel. Comparez, en ce sens, dans la chambre [dn la Snb{ > dn a Snb{ > dnù Snb{] avec dans les chambres [dn le Snb{ > dn e Snb{ > dne Snb{] ou encore[de)ù Sn b{]. Dans les formes du pluriel seulement, on garde toujours la marque de pluralité, sous forme de conservation d’une trace de la seconde voyelle: [dn e], [dne] ou encore [de)ù].
On peut même formuler des règles qui rendent compte de cette différence: a) Dans une rencontre de deux voyelles orales avoisinantes, c’est normalement la première qui disparaît ou qui se réduit. 2) Dans une rencontre de deux voyelles dont l’une est nasale et l’autre orale, la nasale se maintiendra quelle que soit la position qu’elle occupe; dans ce cas, c’est la voyelle orale qui disparaît ou se réduit. 3) Si la seconde des voyelles provient de l’article pluriel les, on en gardera la trace, afin de différencier le pluriel du singulier.
Les auteurs donnent en 2) une série d’exemples de groupes syntaxiques où la perte habituelle des consonnes /r,{/ et /l/ en FQ produit des cas d’hiatus, qui se résolvent aussitôt en une seule voyelle longue.
1.1 La fusion vocalique totale
C’est le fait de deux voyelles orales en contact intime. L’allongement de la voyelle qui reste a une valeur phonologique et fait en sorte que certaines oppositions lexicales et morphologiquess importantes sont maintenues, p. ex., [saù defA))siv] «sur la défensive» vs. [sa defA)siv] «sa défensive».
Si la fusion est régulière et totale dans tous les groupes syntaxiques cités en 2) (p. 118), elle ne se fait pas dans le groupe dans l’école [dnekl]. Faut-il s’imaginer que les locuteurs font exprès pour éviter de confondre dans l’école avec dans la colle [dnù kl]? Nous croyons que non. Plutôt, la séquence courante dans les se réalise normalement [dn e], [dne] ou [de)ù] en FQ familier; les deux premières syllabes dedans l’école seraient donc prononcées de la même manière, par une analogie superficielle avec dans les.
1.2 La fusion vocalique partielle
Dans les exemples cités sous cette rubrique, il y a résistance à la fusion totale, vraisemblablement parce que la fusion cause la perte d’une information lexicale ou morphologique contenue dans un mot ou morphème autrement monosyllabique. Ainsi, dans C’était rien qu’une farce (p. 119), la voyelle du mot [sta E) kyn fa{s] se maintient puisque c’est elle qui porte le signifié «imparfait de l’indicatif», par opposition à [st], qui représente le «présent de l’indicatif» c’est.
Dans les exemples présentés en 6), une voyelle fermée /i, j, u/ se convertit en semi-voyelle correspondante [j, ç, w] et se maintient sous cette forme. Ainsi, le pronom lui ne risque pas de se confondre avec le déterminant le ou l’ dans le premier exemple, et lui [i] (pronom oblique) ne disparaît pas complètement dans le second. De même, tous les hommes [twezm] ne se confond pas avec tes hommes [tezm].
Dans les exemples cités en 7), la fusion partielle prend une allure de diphtongue, puisque la seconde voyelle se maintient tout en recevant un accent moins fort que la première. Dans un débit rapide, on entendra pour su(r) un parterre soit [sy¿) partÎùr], soit [s¿ù) partÎùr]. De même, pour un marché aux puces, on entendra ou [¿) ma{Se o pys], ou bien [¿) ma{Soù pys].
2. Les phénomènes à l’origine de la fusion vocalique
- l’usage d’un registre familier, peu soigné
- un débit élocutoire rapide
- la chute des consonnes, notamment le /l/ de la, l’, les, lui, il(s) et elle (s) et le /r,{/ de la préposition sur
- la relative absence de consonnes de liaison en FQ familier et populaire, ce qui fait que des suites de voyelles avoisinantes se forment facilement
3. Implications pour l’enseignement
La fusion vocalique étant courant en FQ familier et populaire, l’usage d’un niveau de langue correct, soigné et soutenu devrait minimiser les occasions où la fusion des voyelles se produit.
3.1. La fusion des voyelles: une affaire de débit élocutoire
Réduire la vitesse du débit, prononcer ces voyelles de façon plus claire, donc éviter les occasions où se produit la fusion vocalique. De même, favoriser le maintien des consonnes /l/ et /r, {/, c’est éviter que ne surviennent des cas d’hiatus menant à la fusion.
3.2 Absence de liaison et présence de fusion
Recommandations des auteurs: soigner la liaison facultative, de façon à ne pas créer d’hiatus qui mènent à la fusion. Amener ses élèves à utiliser un français parlé de niveau «correct»; les sensibiliser au phénomène de fusion vocalique; ralentir la vitesse d’élocution, respecter les occasions de bien lier les mots, là où le contexte linguistique et sociolinguistique le permet, tout en conservant une façon de parler naturelle.
Récapitulation (p. 124)
Chapitre 10: «L’affrication des consonnes t et d» (p. 125)
1. Contexte favorisant l’affrication des consonnes «t» et «d»
Voici l’une des principales caractéristiques phonétiques du français parlé au Québec. Comme le montrent très bien les exemples, l’affrication des consonnes /t, d/ se fait obligatoirement devant les voyelles /i, y/ et devant les semi-voyelles correspondantes /j, ç/ en FQ.
Il s’agit d’une forme d’assimilation. Les occlusives /t, d/ s’adaptent à l’articulation des voyelles et semi-voyelles palatales continues et très fermées qui suivent; cette assimilation se reflète par l’apparition d’un son transitoire continu, ainsi: t, d ÷ ts, dz/_________ i, y, j, ç
Ces consonnes ne sont pas affriquées quand elles sont suivies de toute autre voyelle ou consonne, ou lorsqu’elles surviennent en finale de mot devant une pause.
2. Des contraintes linguistiques à l’origine de la variation de l’affrication
Comme le montre l’exemple, Les huit # universitaires ont eu une drôle d’idée, l’affrication est facultative à travers une frontière de mot. Compte tenu du fait que le chiffre huit peut aussi se prononcer [çiz] dans les registres familier et populaire, il y a possibilité que la consonne de liaison [z] se fasse entendre dans le même contexte linguistique. Le toponyme courant Sept-Îles présente une autre occasion d’affrication facultative.
En note 9, les auteurs remarquent que la liaison entre l’auxiliaire ont et le participe passé eu est peu susceptible de se produire en français québécois; pourtant, si cela devait arriver, par exemple dans une situation de communication formelle, la séquence ont eupourrait éventuellement présenter une affrication facultative.
Historiquement, les affriquées françaises sont devenues des fricatives continues; le même phénomène peut se remarquer en italien parlé, p. ex., quattro cento [kWatro SEnto]. Ainsi, on ne s’étonne pas si la même chose se produit parfois en FQ, par exemple, dans le mot constitution [k)stsitsysj) > k)ssisysj) > k)ssysj)].
3. Implications pour l’enseignement
En dépit de certains jugements négatifs à l’égard de ce phénomène, l’affrication peut s’entendre sur les lèvres d’individus de tout rang social et en toutes situations de communication, sur tout le territoire du Québec. L’élite culturelle et politique québécoise ne s’empêche pas d’affriquer; ainsi, le phénomène ne peut pas être considéré comme un marqueur social au même titre que la diphtongaison, par exemple. Donc, aucune raison de vouloir la «corriger».
En revanche, c’est l’absence d’affrication qui attire l’attention au Québec. Une telle absence peut être interprétée, du moins chez un locuteur francophone, comme l’imitation «inappropriée» du modèle de prestige qu’est le FS.
Récapitulation (p. 131)
Chapitre 11: «L’assimilation des consonnes» (p. 133)
1. L’assimilation des consonnes
Pour que l’assimilation se fasse, il faut que deux consonnes soient en contact intime, voisines, contiguës. L’une, la plus faible, se laisse influencer par l’autre, plus forte, et prend une partie de ses caractéristiques articulatoires et acoustiques. Le plus souvent, cette transformation se fait à notre insu.
Les exemples cités en 1) et 2) sont tous des cas d’assimilation «régressive», c’est à dire que la seconde consonne (la plus forte) influence la première (la plus faible), qui s’adapte en conséquence. Cette assimilation peut se faire soit à l’intérieur du mot (exemples en 1), soit à travers une frontière lexicale (exemples en 2).
Une consonne dite «forte» occupe une position initiale de syllabe (ou de mot), alors qu’une consonne «faible» occupe une position finale de syllabe (ou de mot). Dans tous les cas d’assimilation «régressive», la faible est en contact intime avec la forte qui la suit. Si la syllabe qui contient la consonne forte reçoit en plus l’accent tonique, l’influence assimilatrice sera encore plus forte.
2. Ce qui cause cette assimilation
L’assimilation consonantique représente une économie d’effort articulatoire: plus les deux consonnes sur ressembleront sur le plan articulatoire, et moins leur articulation exigera d’énergie. Il n’est pas étonnant que plus le débit élocutoire est rapide et spontané, plus on risque de faire ou d’entendre faire des cas d’assimilation consonantique. Par contre, plus on parle lentement et plus on surveille sa prononciation, moins il se produira d’assimilations consonantiques.
L’assimilation ne se fait pas seulement à l’intérieur du mot (exemples en 3) et à travers une frontière lexicale (exemples en 4). En plus, la chute du «e» caduc (voir le chapitre 1) provoque la rencontre d’autres consonnes, sujettes en conséquence à l’assimilation. L’assimilation consonantique est attestée dans toutes les régions de la francophonie.
2. Les traits qui se transmettent d’une consonne à l’autre
Le voisement: une consonne sourde (= non voisée) en principe peut se sonoriser; c’est alors qu’elle devient sonore (= voisée). Voici la liste des consonnes sourdes avec leur contreparties sonores. Sourdes: [p, t, k, f, s, S, l¥, r¥, {8] et sonores: [b, d, g, v, z, Z, l, r, {]. Voir les exemples de voisement ou de sonorisation en 6).
Le dévoisement: une consonne sonore (= voisée) peut se dévoiser et devenir sourde (= non voisée, «chuchotée»). Voir les exemples en 7)
La nasalisation: une consonne (d’habitude une occlusive sonore) peut se nasaliser au contact d’une consonne nasale suivante. Voir les exemples en 8).
3. La direction que prend l’assimilation
Les exemples présentés jusqu’ici pourraient faire croire que l’assimilation «régressive» est la tendance dominante. Or, il n’en est rien. Lorsque deux consonnes se trouvent en contact intime et que toutes les deux sont initiales de la même syllabe, l’assimilation se fait dans l’autre sens, de gauche à droite. En d’autres mots, c’est la première consonne (forte) qui influence la seconde (faible), comme on peut le constater à travers les exemples cités en 9). Cette assimilation se dit «progressive». L’assimilation progressive touche, entre autres, le pronom sujet je, p. ex., dans je fais [ZfE > SfE], je sais [ZsE > SsE > SE] ou je porte [Zp{t > Sp{t].
L’assimilation progressive touche aussi les groupes de consonnes initiales de mot, surtout les groupes consonne sourde + [l, r, {], comme le montrent les exemples suivants: trouble [t{8ubl], flou [fl¥u], croire [k{8waù{], plus [pl8y], plaire [pl8Eù{].
Même phénomène d’assimilation progressive en syllabe finale de mot. Comme c’est le cas des groupes de consonnes initiales de mot, la première consonne est plus forte que la seconde; cette dernière s’adapte en conséquence. On a typiquement affaire avec des groupesconsonne sourde + [l, r, {] en finale de mot: titre [tit{8], exemple [EgzA)pl¥], peuple [p¿pl¥], gifle [Z-ifl8], sacre [sak{8].
Dans ce cas, la consonne désonorisée disparaîtra complètement, du moins dans un débit élocutoire spontané et rapide.
4. L’assimilation: phénomène normal
L’assimilation, qui représente une économie d’effort articulatoire, comme nous l’avons déjà remarqué, existe sans doute dans toutes les langues du monde. Pour prouver que le phénomène est largement répandu, les auteurs citent des exemples tirés du latin, du français de France et de l’anglais contemporain.
5. Implications pour l’enseignement
Étant donné le caractère physiologiquement normal de l’assimilation consonantique, et compte tenu son occurrence quasi universelle dans les langues du monde, les auteurs concluent que ce phénomène ne devrait pas faire l’objet de proscription ni en milieu scolaire ni ailleurs.
Récapitulation (p. 143)
Chapitre 12: «La liaison consonantique» (p. 145)
1. La liaison consonantique
Ce qu’on est convenu d’appeler la liaison consonantique est en fait une sous-catégorie de l’enchaînement, phénomène par lequel la dernière consonne prononcée d’un mot devient en effet la première consonne du mot suivant…, à condition bien entendu que le mot qui suit commence par une voyelle (voir les exemples en pp. 146-7).
Le phénomène de l’enchaînement révèle la très forte préférence du français pour des syllabes qui commencent par une consonne (ou une semi-consonne). Les syllabes françaises sont majoritairement de deux sortes: des syllabes ouvertes (CV, CCV) et des syllabes fermées (CVC, CCVC, CVCC).
Trois catégories de consonnes se lient de cette manière: a) celles qui sont normalement audibles et qui sont suivies d’un «e» caduc dans l’orthographe traditionnelle (p. ex., quatre, mauve, rouge, orange, brune), b) celles qui se terminent en une consonne liquide /l, r, {/(bel, animal, pour, sur), c) celles qui se trouvent à la finale absolue du mot et ne sont pas suivies d’un «e» caduc; normalement, ces dernières ne se prononcent ni devant une consonne initiale du mot suivant, ni devant une pause (des livres, mais non, vas, après, tu prends, il tient, le lait); il s’agit donc des consonnes «virtuelles».
En principe, toutes les consonnes écrites en finale de mot absolue étaient prononcées au Moyen Âge mais, avec le passage du temps, elles se sont amuïes devant un mot commençant par une consonne et devant une pause. La prononciation actuelle date du 17e siècle.
Les consonnes de liaison habituelles sont:
- [z] très haute fréquence chez les déterminants et les adjectifs numériques (lesíenfants, nosíenfants, deuxíenfants, troisíenfants), et dans la conjugaison verbale (nousíallons, vousíallez, vas-y, allez-y)
- [t] haute fréquence dans la conjugaison verbale (il estíallé, est-il venu, a-t-il vu)
- [n] fréquent chez les déterminants du nom (uníenfant, mon ~ ton ~ soníami)
- [r, {] fréquent chez les déterminants du nom (leuríenfant, notre ~ votreíami-e)
- [k] et [p] sont peu fréquents comme consonnes de liaison et se limitent, pratiquement, aux mots courants long et trop (longíapprentissage, tropíheureux). Dans le parler familier et populaire, trop heureux peut se prononcer tro(p)ízíheureux, sans doute sous l’influence analogique de trèsíheureux.
Comme le remarquent les auteurs, «La consonne de liaison présente comme caractéristique d’être un segment anti-hiatus, autrement dit un segment empêchant la rencontre de deux voyelles contiguës faisant partie de deux syllabes différentes». (p. 145) Cette observation est importante, parce que l’hiatus donne lieu, très régulièrement en FQ, à «La fusion des voyelles» (voir le chapitre 9).
2. Les différentes catégories de liaisons
Les auteurs soulignent la variabilité dans la liaison, en précisant trois catégories:
a) la liaison «obligatoire», qui se produit presque toujours, p. ex., entre un adverbe monosyllabique et l’adjectif qu’il qualifie: trèsíoccupé
b) la liaison «interdite», qui ne se produit presque jamais, p. ex., entre le syntagme nominal sujet et le verbe qui suit: les grands*arrivent
c) la liaison «facultative», qui se produit presque toujours chez certains locuteurs et presque jamais chez d’autres: il y avaitíune grande maison ou il y avait*une grande maison
S’ensuit une série d’exemples de chaque catégorie de liaison (pp. 148-150). À remarquer que la liaison «obligatoire» se fait surtout dans les groupes à très forte cohésion syntaxique (= grammaticale).
On pourrait affirmer que la liaison «facultative» se fait également dans les groupes où les liens de cohésion grammaticale sont forts, notamment entre les verbes auxiliaires être et avoir, les auxiliaires de mode, aller, devoir, pouvoir, falloir, vouloir et leurs compléments verbaux (= participes et infinitifs). Ce qui précède fond la conclusion qu’en français «correct» la liaison existe là où il existe aussi une forte unité syntaxique.
3. La liaison obligatoire et interdite en français parlé au Québec.
En FQ parlé de niveau familier, la liaison obligatoire ne vaut que lorsque le mot qui se lie est un terme monosyllabique. Il s’agit, notamment, d’un pronom précédant le verbe, d’un déterminant ou d’un adjectif devant le substantif, d’une forme du verbe êtreconjuguée au présent, ou d’une préposition courante comme en, dans. D’autres exemples sont fournis en p. 151. Il n’est pas surprenant que la majorité des francophones du Québec produisent les liaisons «obligatoires» et évitent de faire les liaisons «interdites»
4. La liaison facultative en français parlé au Québec
En France, ce qui distingue les locuteurs entre eux, c’est leur propension à réaliser les liaisons facultatives ou variables. Le locuteur français peu scolarisé ne fera que les liaisons obligatoires et relativement peu de liaisons facultatives (variables). Le FQ n’échappe pas à cette tendance. Les auteurs affirment qu’«une communication à caractère informel et un locuteur de niveaux socio-économique et socioculturel modestes sont des facteurs allant à l’encontre de la production de liaison consonantiques» (152). Cette variabilité est illustrée à travers les exemples en p. 153.
5. La liaison dite fautive en français parlé au Québec
Comme le montrent très bien les auteurs, les «fausses liaisons» en [z], p. ex., quatre-z-oiseaux, cinq-z-oiseaux, sept-z-oiseaux, sont de cas de régularisation analogique à partir de cas où la liaison est normale et «obligatoire»: deuxíoiseaux, troisíoiseaux, nosíoiseaux, desíoiseaux. Cette normalisation ou cette surgénéralisation n’a rien de particulièrement étonnant chez les adjectifs numériques.
Dans d’autres cas, c’est la consonne [t] qui se généralise à l’intérieur d’un paradigme verbal, à partir de formes où la liaison est «obligatoire». Ainsi, il estíallé, elle estíallée, on estíallé donnent naissance à t’es-t-allé [tEtale] et je suis-t-allé, ce dernier prononcé[Stale] en FQ familier et populaire.
La fausse liaison qu’on peut entendre dans trop-z-heureux provient manifestement de l’analogie de trèsíheureux, où la liaison entre l’adverbe et l’adjectif se fait normalement. Quant à celle, très courante au Québec, de «Ça-l-a pas de bon sens!», le [l] intercalaire permet d’éviter un hiatus [aa] et donc la fusion de deux a en contact. Sans doute s’agit-il d’une hypercorrection, calquée sur la prononciation «soignée» de elle a [ElA], [alA].
La transformation du pronom en en nen [nA)] ou [nA)n] provient sans doute d’une liaison «facultative» dans le syntagme courant oníenía. Il n’est pas difficile de trouver d’autres cas en FQ de fausse segmentation provenant de la liaison consonantique: uníenfant, uneíenfant > le nenfant , l’évier > le lévier, l’antenne > la lantenne. Dans l’histoire de la langue française, le même phénomène nous a donné le lendemain et le loriot, à partir des formes historiquement justifiées que sont l’endemain et l’oriot.
6 Implications pour l’enseignement
Puisque la pratique de la liaison facultative est étroitement associée à l’origine socioculturelle du locuteur, l’enseignant devrait exercer une certaine vigilance relativement à ce phénomène. Si l’école cherche à développer l’aptitude des jeunes à utiliser un registre de langue soutenu, elle devrait sensibiliser les élèves surtout au traitement des liaisons «facultatives» et attirer leur attention sur les liaisons dites «fautives».
Récapitulation (p. 156)
Chapitre 13: «Les prononciations de la consonne r» (p. 157)
1. La consonne «r» et ses variantes»
Selon les auteurs, le phonème /{/ peut présenter jusqu’à douze variantes au Québec, dont les principales sont: «uvulaire» [{], «apicale», «alvéolaire» ou «apico-alvéolaire» [r], «vélaire (française)» [Ò], «rétroflexe (anglaise)» [¨] et une variante dite «vocalisée». Une description articulatoire est fournie pour chacune de ses variantes. Toujours selon les auteurs, «cette consonne constitue… l’un des éléments de variation et de changement linguistique les plus importants au Québec» (p. 157).
Concernant le r «vocalisé», précisons qu’il s’agit de la disparition de cette consonne en finale de mot, p. ex., dans tour, pire et peur.Lorsque le «r» terminal tombe, il allonge légèrement la voyelle précédente. Dans ce cas, la voyelle allongée peut se présenter sous forme de diphtongue, p. ex., [tuù{ > tuW, piùr > piJ, p¿ù{ > p¿ç].
Cette diphtongue ne se présente pas toujours en finale de mot, notamment lorsqu’il s’agit de la voyelle antérieure [E]. Dans père, mère, frère et bière, on entendra plutôt une voyelle mifermée, parfois légèrement allongée [pEù{ > peù , mEù{ > meù, f{Eù{ > f{eù, bjEù{ >bjeù].
En l’absence de l’accent tonique, on n’entendra ni diphtongue, ni allongement, ni fermeture vocalique, comme c’est typiquement le cas du déterminant possessif et du pronom objet indirect, p. ex., je leur donne leurs livres [l¿{ > l¿].
Enfin, dans un débit rapide et spontané, le «r» final de mot suivi d’un «e» caduc qui ne se prononce pas, tombe régulièrement quand il est précédé d’une autre consonne: quatre cadres > quat’cad’. Ceci n’est qu’une sous-catégorie de la réduction des groupes de consonnes finales (voir le chapitre 14).
Ajoutons que la variabilité du «r», purement phonétique, ne change en rien le sens des mots. En revanche, elle peut nous renseigner sur la région d’origine du locuteur, le groupe d’âge auquel il appartient, son degré de scolarité, son statut social ou professionnel et la situation plus ou moins formelle dans laquelle il évolue.
2. La consonne «r»: un indicateur sociolinguistique
Le [{] uvulaire, qui a longtemps dominé dans l’Est du Québec, a vu son usage et son prestige s’accroître à Montréal. Bien implanté aujourd’hui dans les milieux intellectuels, universitaires et dans les médias électroniques, le [{] uvulaire constitue la variante de prestige. Elle a détrôné le [r] apico-alvéolaire, caractéristique du parler montréalais, variante fort valorisée jusqu’aux années cinquante.
Quant à la variante vélaire [Ò], appelée aussi «r» français, elle s’entend majoritairement chez les sujets québécois cultivés, ceux et celles qui se laissent influencer par la France. Comme le [{] uvulaire, le [Ò] vélaire jouit d’un certain prestige.
Par contre, le [¨] «rétroflexe (anglaise)», fréquent surtout à la finale du mot, n’est pas prestigieux; cette variante est plutôt associée au parler très familier ou populaire. Touchant la variante dite «vocalisée», elle s’entend dans des situations informelles, surtout chez les travailleurs manuels et les personnes peu scolarisées.
Par contre, la chute de la consonne «r» précédée d’une consonne en finale de mot, p. ex., pupit(re), off(re), mett(re) peut s’entendre chez un très large éventail de sujets allant des plus scolarisés aux moins scolarisés. On comprend donc que ce trait n’est pas un marqueur sociolinguistique, qu’il passe pratiquement inaperçu, et qu’il n’attire pas de jugements négatifs. En fait, la chute de cette consonne est liée à la vitesse du débit et à la conservation ou non du «e caduc». À ce sujet, revoir le chapitre 1: «Le e caduc».
3. Des contextes linguistiques qui régissent l’utilisation des variantes de la consonne «r» chez un même individu
La structure syllabique et l’environnement segmental ont une incidence sur le choix de l’une ou l’autre des variantes du «r». Théoriquement, on s’attend à des variantes phonétiques fortes (sur le plan articulatoire) en début de mot et en début de syllabe, à des variantes faibles en fin de mot et en fin de syllabe.
Ainsi, on ne s’étonne pas de lire que: «En ce qui a trait au «r» rétroflexe anglais, au «r» vocalisé ainsi qu’à la chute complète de la consonne, ceux-ci apparaissent massivement en finale de mot» (p. 165). De même, la disparition du «r» en finale de syllabe intérieure du mot n’est pas surprenant non plus dans le parler québécois de type familier: me(r)credi, pa(r)lez, su(r)prise
4. Implications pour l’enseignement
Tout en reconnaissant que les «r» uvulaire et vélaire constituent des variantes de prestige au Québec, les auteurs s’abstiennent de recommander (ou de proscrire) une prononciation au détriment des autres. Pourtant, puisque la chute de certains «r» peut être accompagnée d’une connotation négative, ils suggèrent que l’enseignant prête une oreille attentive (et corrective?) à ce phénomène. On pourrait sans doute conclure que la chute du «r» est mal vue au Québec, du moins en ce qui concerne les situations de communication formelle. Par contre, la variation dans la prononciation du «r» est tellement bien tolérée qu’elle passe presque inaperçue.
Récapitulation (p. 167)
Chapitre 14: «La réduction des groupes de consonnes finales» (p. 169)
1. Des consonnes en finale des mots qui, parfois, disparaissent
Il s’agit de suites de deux ou même trois consonnes suivies, le plus souvent, d’un «e» caduc. Dans la mesure où le «e» caduc ne se prononce pas, comme c’est le cas dans un débit élocutoire rapide, style spontané, situation informelle, le groupe de consonnes se trouve en effet être final de mot et/ou de groupe syntaxique. Le plus souvent, ces groupes consonantiques se simplifient selon la formule que voici: C1C2 ÷ C1/ _____#
Exemples: quat(re), tab(le), trèf(le), poiv(re), liv(re), exemp(le), lis(te), oues(t) (d’autres exemples sont fournis en p. 170). Dans certains cas, la règle s’appliquera deux fois ou plus, jusqu’à ce que le groupe soit réduit à une seule consonne. Exemples: orchest(re), musc(le), lis(te) [{kEst], [mysk] [lIs] ÷ orches(t), mus(c) [{kEs], [mys]. La réduction des groupes de consonnes finales de mot peut s’observer un peu partout dans la francophonie.
2. Des contraintes linguistiques qui empêchent ou favorisent la réduction de certains groupes de consonnes
a) Quand la première consonne du groupe est /{/ ou /l/, c’est à dire une consonne «liquide» située en fin de syllabe, celle-ci se comporte comme une voyelle. Dans ce contexte linguistique, /{/ ou /l/ ne sont jamais soumises à l’action de la règle C1C2 ÷ C1/ _____#. Par conséquent, la consonne qui suit le /{/ ou /l/ sera traitée comme simple et ne tombera pas. Exemples: parle, écharpe, barbe, lourde, farce, corne, arme, solde, merde, merle, perle, herbe, filt(re).
b) Quand la dernière consonne du groupe est un /s/, celle-ci se maintient, faisant exception à la règle formulée ci-dessus. Exemples:éclipse, quartz, chips, chez Schwartz, laps (de temps), sans oublier les cas de métathèse en québécois familier: risque [{iks], se crispe[s« k{ips], brusque [b{yks].
Moins le locuteur sera scolarisé, plus il fera de réductions de groupes de consonnes en finale de mot, du moins en situation informelle. Le contraire vaut pour les locuteurs plus scolarisés. La réduction peut être fréquente (jusqu’à 80% des occurrences) lorsque le groupe consonantique est suivi sans pause d’un mot commençant par une consonne, p. ex., une fenêt’ífermée plutôt qu’une fenêtreífermée.
Lorsque le groupe consonantique est suivi sans pause d’un mot commençant par une voyelle, la fréquence de réduction est apte à tomber (jusqu’à 50% des occurrences). Exemple: une autreíorange plutôt qu’une aut’íorange.
Si la réduction des consonnes finales de mot est fréquente en fin de groupe rythmique et/ou de groupe syntaxique, c’est-à-dire, devant la pause, dans un débit rapide, situation informelle, des considérations de mise en relief peuvent toujours intervenir pour en modifier la prononciation.
Ainsi, dans l’exemple, «Pas vrai! T’as perdu ta belle montre!», l’accent tonique porté sur le dernier mot favorise le maintien du «e caduc», ce qui fait que les consonnes [t{] sont protégées par le maintien du [«]. Dans une telle situation, la probabilité de simplification du groupe consonantique est très réduite.
Ajoutons que la simplification des groupes consonantiques varie selon l’individu, le groupe social, la communauté linguistique et les circonstances de communication. Comme l’observent très bien les auteurs: «Chacun ne parle pas tout à fait de la même façon» (p. 171).
3. Des contraintes extralinguistiques régissant la réduction des groupes de consonnes finales
La réduction des consonnes finales est soumise à une importante variation sociale. Les locuteurs hautement scolarisés, pour qui l’usage de la langue «correcte» joue un rôle important dans la vie et au travail (p. ex., juges, avocats, médecins, professeurs, chercheurs, communicateurs professionnels) en font moins usage que ceux qui ne cherchent pas à «faire bonne impression».
Reconnaissons aussi que le phénomène est sujet à une variation situationnelle. Ainsi, on entendra moins de réductions de consonnes finales en public qu’en privé, en situation de communication formelle que dans l’intimité familiale.
4. Implications pour l’enseignement
Bien que la simplification de consonnes finales de mot passe presque inaperçue aux oreilles des Québécois, les enseignants devraient sensibiliser leurs élèves au phénomène, de manière à encourager l’emploi de prononciations non réduites, du moins en situation où il est d’usage d’utiliser une langue «correcte».
Récapitulation (p. 174)
Chapitre 15: «La disparition de la consonne l des pronoms et articles» (p. 175)
1. Les variantes des pronoms sujets «il», «elle», «ils» et «elles»
La consonne /l/ a disparu des pronoms sujets il(s) à partir du Moyen âge, devant consonne mais pas devant voyelle, ce qui produit la différence caractéristique du français parlé hexagonal, chute de /l/ en contexte préconsonantique, conservation en contexte prévocalique:i’ veut, i’ fait, i’ va, mais ilíest, ilíaime, ilía.
Le FQ a généralisé cette innovation de sorte que les pronoms il(s) se prononcent régulièrement [i] devant consonne, [i] ou [j] devant voyelle, du moins dans le parler courant et informel. Au pluriel, ils, devant voyelle, il existe aussi une forme à liaison, [iz], comme dans le français parlé en France: ilsíont.
La chute du /l/ dans le pronom sujet elle(s) est plus récente et s’est manifestement produite par analogie avec la prononciation réduite du pronom sujet masculin ils. Devant consonne, on entend régulièrement [E] ou [a] (e’ veut, a’ veut). Devant voyelle, on entendra soit [E]ou [a] (e’est bonne, a’a l’intention de partir), soit [El] ou [al], (elle a, alle a). Au pluriel, devant voyelle, on entend soit [E] ou [a], soit la forme à liaison [Ez].
Remarquons aussi que le genre peut se neutraliser au pluriel, du moins dans les registres familier et populaire. Comme les pronomsnous et vous ne portent en eux aucun indice de genre, la troisième personne a tendance à se neutraliser, elle aussi, ce qui fait que le pronom ils sert à la fois de masculin et féminin ([i] devant consonne, [i] ou [j] devant voyelle, parfois [iz], la forme à liaison).
Dans le discours soigné, on aura tendance à rétablir un certain nombre de ces /l/ qui existent sous forme écrite, mais qui sont typiquement absents de la langue parlée.
2. Des règles linguistiques qui déterminent l’apparition des variantes
Présentation des données. Les exemples 1 à 6 illustrent les formes sans /l/ devant consonne, 7 la forme courte [i] ou [j] devant voyelle, 8 et 9 les formes plurielles [iz] et [Ez], ces dernières étant moins fréquentes.
Les exemples 10 à 12 montrent le comportement de elle (sg.) devant voyelle. À noter que la suite [EE] est normalement sujette à fusion(revoir le chapitre 9), et se prononce [Eù] dans elle est partie hier.
L’exemple 13 illustre l’absence totale du «pronom vide» il dans plusieurs structures impersonnelles courantes, p. ex, faut faire ça, fait beau, veut veut pas.
Les exemples 14 et 15 illustrent l’effacement total des voyelles [i] et [E] devant le [s] de la forme verbale sont, suite au dévoisement de ces premières.
Les exemples 16 à 19 montrent que le [l] peut se rétablir, surtout dans le discours soigné et sans doute par imitation de la langue écrite. Dans ces cas de maintien du [l], ce sont des facteurs d’ordre sociolinguistique qui jouent.
3. Des règles sociolinguistiques qui déterminent l’utilisation des variantes des pronoms sujets.
L’utilisation des variantes «normatives» que sont [il] et [El] (sg. ou pl.), ainsi que les variantes élidées [E] et [Ez], caractérise avant tout le FQ parlé à un niveau soutenu. Ces variantes sont davantage associées à la langue utilisée en situation de communication formelle qu’à celle d’une classe sociale. Dans le style spontané, ce sont les variantes élidées [i], [j] (m.) et [a] (f.) qui dominent, quel que soit l’âge, le sexe, la profession, ou le niveau socio-économique du locuteur. Ainsi, on constate que les variantes sans [l] ne font pas clairement l’objet d’une variation sociale.
Quant à la variante [al] (f. sg.), c’est la forme à liaison qui permet d’éviter la fusion des voyelles (voir le chapitre 9), comme, par exemple, dans elle a [alA], elle est [alE]. Le pronom «neutre» ça, qui présente la forme [sa] devant consonne (ça fait que…), a donné naissance à une variante çal [sal], utilisée devant voyelle, p. ex., Ça-l-a pas de bons sens! Manifestement, cette innovation est formée par analogie avec la prononciation soignée du pronom sujet elle [a ~ al] ÷ [sa ~ sal].
4. Les variantes des articles définis et des pronoms compléments «la» et «les» en français parlé au Québec
Les pronoms objets la et les perdent souvent leur [l], du moins en FQ familier. Cette perte ne caractérise pas le pronom objet masculinle, qui perd le plus souvent son [«]; s’il devait perdre en plus son [l], ce morphème serait complètement effacé, ce qui représenterait une perte d’information morphologique et lexicale considérable. Ce qui fait croire que certaines unités lexicales ou morphologiques peuvent opposer une résistance aux changements phonétique autrement réguliers. Les remarques précédentes ne s’appliquent pas aux déterminants du nom (= articles définis) le, la, les.
5. Des règles linguistiques qui déterminent la disparition de «l»
Le comportement phonétique des pronoms la et les est gouverné par des règles linguistiques et sociolinguistiques. Comme le montrent très bien les exemples 20 à 27, les pronoms objets la et les perdent leur [l] lorsque précédés d’une voyelle, du moins en FQ parlé de niveau familier. Par contre, cette perte ne se produit jamais quand les pronoms la et les sont précédés d’une consonne, comme le montrent les exemples 38 à 31. On peut donc conclure que la perte du [l] dans ces deux pronoms ne se produit qu’en contexte intervocalique.
En combinaison avec certaines prépositions monosyllabiques et courantes, notamment à, dans et sur, la perte de [l] produit des contractions, habituelles en FQ familier: [ala > aa > aù], [dnla > dna > dnù] et [syla > sya > saù] (exemples en 32).
De semblables contractions se produisent lorsque le pronom objet la ou les est précédé d’un pronom sujet qui se termine par une voyelle en FQ parlé, notamment tu, il(s), elle(s), nous et vous (exemples en 37). Pourtant, l’usage hésite lorsque le mot qui précède la ou lescontient un «e» caduc, comme dans je, me, te, se, de (exemples en 38).
Les auteurs suggèrent que la chute du [l] peut se produire, à titre exceptionnel, quand une autre consonne entre en contact avec le [l] dela ou les. En d’autres mots, la séquence consonne + /l/ serait interdite ou du moins défavorisée en début de syntagme. Mais, ceci n’est pas nécessairement le cas en début de mot, p. ex., plaire, blâmer, flan, vlan!, c(e)la, clé, gloire. Par ailleurs, ce n’est pas non plus le cas des syntagmes j(e) le…, j(e) la…, j(e) les…, j(e) leur… en français parlé de France.
Voici donc une autre explication: si le [«] de je, me, te, se, de tombait le premier, le [l] de la ou les ne devrait pas tomber parce que désormais précédé d’une consonne, p. ex., je les veux > j’les veux, je la connais > j’la connais. Par contre, si [l] tombe le premier, le [«] qui reste sera aussitôt éliminé parce que mis en contact avec la voyelle suivante. En pareil cas, c’est la fusion des voyelles (chapitre 9)qui se produit, régulièrement, p. ex. je les veux > je ’es veux > j’es veux, je la connais > je ’a connais > j’a connais.
La contraction en FQ n’est pas sans rapport avec des amalgames considérés comme parfaitement normaux, celle d’une préposition suivie de l’article défini, c’est-à-dire, de + les > des et de + le > du. Ces contractions sont courantes depuis le Moyen-Âge. Il n’est donc pas étonnant que le FQ familier et populaire ajoute une troisième contraction à la série: de + la > da.
6. Des règles sociolinguistiques qui déterminent l’utilisation des variantes des articles définis et pronoms objets
Des recherches ont montré que le locuteur le plus susceptible d’utiliser les variantes élidées et réduites serait un homme, généralement peu scolarisé. Les femmes, réputées plus soucieuses de la norme, auraient plutôt tendance à préférer les formes non élidées. Il en va de même des locuteurs plus scolarisés, quel que soit leur sexe. Le traitement accordé des pronoms la et les est également sujet à une variation situationnelle. Plus la situation de communication est formelle et moins la fréquence d’emploi des formes élidées sera grande. Le contraire est également vrai.
7. Implications pour l’enseignement
Il faut sensibiliser l’élève à l’éventail de variantes des pronoms sujets et aux contextes de communication où elles ont leur place. Les auteurs conseillent de développer chez les jeunes l’emploi des variantes soutenues (= non élidées) dans les situations de communication qui en réclament l’usage. Ils soulignent tout de même que l’usage de la variante [i] des pronoms il et ils est courant même en situation formelle, ne choque personne et n’évoque pas de jugements négatifs. Quant aux variantes des pronoms objets la et les, des recherches ont montré que les jeunes utilisent peu les variantes élidées en situation de communication formelle; ainsi, il n’y a pas lieu de s’en préoccuper.
Récapitulation (p. 188)
Les auteurs ont présenté quinze caractéristiques marquantes du français québécois, en liant la variabilité dans la prononciation aux paramètres linguistiques, sociolinguistiques et communicatifs les plus importants.
De plus, ils ont cherché à déborder la dimension purement descriptive en reliant ces connaissances de la matière à une problématique d’enseignement de la langue orale: comment développer chez les élèves francophones du Québec l’usage d’un français québécois de niveau «correct». Ainsi leur perspective est double: descriptive et normative.
Ostiguy et Tousignant ont cherché à identifier les variantes d’un même élément linguistique et à identifier celles qu’on pourrait enseigner, proscrire, ou ignorer relativement aux situations de communication formelle. Leurs recommandations tiennent compte d’études de fréquence illustrant l’importance relative que peut revêtir chaque variante dans le discours spontané ou surveillé.
Voulant éviter le purisme pur et simple, les auteurs formulent leur recommandations, le plus possible, en s’appuyant sur des études qui ont mis en évidence le fait que certaines prononciations jouissent d’attitudes favorables auprès des Québécois, alors que d’autres les laissent indifférents, ou au contraire, font l’objet d’une condamnation explicite.
Évitant les condamnations gratuites, les auteurs font valoir que les variantes d’un même élément linguistique sont équivalentes sur le plan strictement fonctionnel, mais qu’elles peuvent différer quant à leur représentation symbolique. Autrement dit, les prononciations s’expliquent et se comprennent (du moins en partie) au niveau des valeurs sociales qui s’y rattachent et à celui des réactions subjectives (ou encore collectives) qu’elles peuvent susciter auprès de locuteurs d’origine québécoise.
Le livre est complété par six annexes de longueur inégale, traitant de concepts fondamentaux de la phonétique articulatoire, uneBibliographie (233-242) et un Index thématique (243-247):
- Annexe 1: «Quelques notions de physiologie» (191-194)
- Annexe 2: «La formation des voyelles, consonnes et semi-voyelles du français» (195-221)
- Annexe 3: «Les voyelles longues par nature» (223)
- Annexe 4: «Les consonnes allongeantes» (225)
- Annexe 5: «L’accentuation en français» (227-230)
- Annexe 6: «Ouverture syllabique» (231)
Si vous avez une question ou une suggestion, je suis: ncorbett@yorku.ca