Notes du cours AS/FR 2100: Initiation à la description linguistique du français / Introduction to the Linguistic Study of French
Semaine du 8 février:
Chapitre 14: La structure du lexique
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- Voici les questions à préparer: 1-10 inclusivement.
Verset 1:
L’hétérogénéité du lexique français. La base du lexique français est le latin parlé ou populaire, d’où viennent la majorité des mots mono- et bisyllabiques du français. Les mots poly- ou plurisyllabiques sont en général des créations savantes ayant le latin ou le grec comme termes d’origine.
Ainsi, meum > mon, cane > chien et cattum > chat sont des mots d’origine populaire, tandis que plurisyllabique, démocratie et multicolore sont des mots d’origine savante (latino-grecque).
Dans certains cas, un mot du latin classique soigné est remplacé par un terme plutôt populaire en français. Ainsi, L. caput a été remplacé par testa «pot», qui donne testa en italien, tête en FM. De même, edere «eat» a été remplacé par manducare «chomp», qui donne mangiare en italien, manger en français. Faut remarquer aussi que caput a donné le mot chef en français, mot qui connaît des sens plus abstraits, chef de cuisine, de police, des pompiers, chefs d’accusation. En italien, le terme est capo.
On distingue deux couches dans le lexique français, la couche savante et la couche populaire. Dans un certain nombre de cas, un même étymon (= forme d’origine) donne deux résultats en français. Ex. L. pensare «to weigh» a donné peser «to weigh» dans le parler populaire et penser «to think» par évolution savante ou demi-savante. De même, L. regalem, legalem donnent royal, loyal (pop.) et régal, légal (sav.)
Verset 2:
Les onomatopées et les mots expressifs. Ici, on parle de signes motivés (= sémantiquement transparents). On voit tout de suite le rapport analogique/imitatif entre la chose ou le concept et le terme qui le désigne.
Les onomatopées imitent des cris ou des bruits, p. ex. pouf, wouf, ouaf-ouaf, miaou, coin-coin, cocorico, boum, paf, tic-tac, claque. Ajoutez un autre terme à la liste…
Les mots expressifs sont à l’origine des métaphores visuelles ou auditives, p. ex. oeil de boeuf «fenêtre ovale», un vasistas «petit ventail ouvrant dans une porte ou une fenêtre», une langue de chat «petits gateaux secs, minces et longs», les pattes d’une table, d’une chaise, le tablier du pont «apron of a bridge», une feuille de trèfle «cloverleaf», des pissenlits «dandelions», les bretelles de l’autoroute «long on-off lanes leading to ramps». Ajoutez un autre terme à la liste…
Verset 3:
Les mots d’origine celtique. Avant les invasions romaines, l’Europe occidentale parlait celtique. Il a suffi de quelques siècles pour que le latin élimine les langues celtiques sur les territoires qu’on appelle aujourd’hui la France, l’Italie, l’Espagne et le Portugal. Pourtant, il persiste quelques termes d’origine celtique, tous reliés à la vie quotidienne et à la nature: le bouleau, le chêne, l’alouette, le balai, la chemise, le chemin. Et voici la morale de l’histoire: Deux langues de force inégale ne peuvent pas coexister sur un même territoire. Tôt ou tard, la plus faible disparaîtra.
Verset 4:
Les emprunts modernes. Toutes les langues empruntent les unes aux autres. La plupart des emprunts reflètent des innovations technologiques et culturelles, p. ex. Internet, surfez le net, un bulldozer, un caterpillar, un gangster, des hold-up, le piano, la vodka, un bon bifteck, un self-service, le jogging, le footing, le parking, le dansing, le marketing.
Aujourd’hui, le français emprunte massivement à l’anglais, mais à d’autres époques, il empruntait à d’autres langues. Nommez l’une de ces autres langues et un terme que le français lui a emprunté.
Les linguistes interprètent l’emprunt comme une source d’enrichissement lexical et sémantique. Les langues qui refusent les emprunts sont culturellement repliées sur elle-mêmes, des sociétés fermées qui ont tendance à se scléroser et à mourir.
Verset 5:
Mots populaires, mots savants et doublets. Nous avons déjà vu le cas de pensare, qui donner peser (pop.) et penser (demi-sav.). D’autres exemples sont: fragilem > frêle (pop.)/ fragile (sav.) et rigidum > raide (pop.)/rigide (sav.). Voici pour terminer un exemple que j’aime beaucoup: natalem > Noël (pop.) et natal-e (sav.). Lorsqu’un même étymon donne deux issues, on parle de doublets; l’un des termes est dit populaire, l’autre est savant.
Verset 6:
L’etymologie populaire. C’est la tendance à vouloir attribuer une forme ou un sens connu à un terme inconnu ou méconnu; il s’agit de donner une plus grande transparence sémantique au mot. Une étymologie populaire est toujours une fausse étymologie. Exemples: All. sauerkraut «sour cabbage, aigre chou» réinterprété comme choucroute, littéralement «cabbage crust», Ang. country danse, interprété comme contredanse «opposing danse. Fr. rentrer en catimini «sneak in late», mal interprété comme rentrer entre quatre et minuit. En connaissez-vous d’autres?
L’étymologie populaire se rapproche de la paronymie, courant chez les illettrés, qui est la confusion de termes autrement apparentés phonétiquement et morphologique, ex. «Don’t step in the dog increment!», se réveiller en cerceau pour se réveiller en sursaut. En connaissez-vous d’autres?
Verset 7:
L’intégration phonologique des emprunts. Je dirais plutôt l’intégration phonétique. La plupart des emprunts s’adaptent à la prononciation de la langue emprunteuse; on parle alors de mots naturalisés. Si on ne naturalise pas un mot d’origine étrangère, c’est parce que le terme est toujours senti comme un élément étranger, ou bien parce qu’on veut faire montre de ses grandes connaissances de la langue étrangère. Ainsi, à la Radio-télé française, on a tendance à franciser la prononciation des mots empruntés, tandis qu’à la Radio-télé québécoise, on se fait une fierté de prononcer les mots d’origine anglaise avec leur prononciation d’origine. Dès qu’un mot est naturalisé phonétiquement, on considère qu’il fait partie du lexique. Ainsi, la poutine est considérée comme un mot québécois pure laine même si le terme d’origine est pudding. De même pour le français de France; bouledogue, rosbif, steack, boulingrin et redingote sont interprétés comme faisant partie du lexique français à part entière. Connaissez-vous d’autres exemples d’intégration phonétique?
Verset 8:
L’intégration morphologique. Dans d’autres cas, l’intégration ou la naturalisation va encore plus loin et l’emprunt s’adapte à la morphologie de la langue emprunteuse. Exemples de verbes: jogger, surfer, piqueniquer; québécois: switcher, pitcher checker, matcher et même watchez votre français! Les exemples précédants prouvent que la première conjugaison est toujours vivante et productive. Exemples de noms empruntés à l’anglais: parking, planning, marketing, shopping, building grand standing. Dans d’autres cas, on garde l’orthographe d’origine, mais la prononciation suggère une adaptation morphologie en cours: leader, speaker, supporter, jogger. Connaissez-vous d’autres exemples d’intégration morphologique?
Verset 9:
L’emprunt traduit (= l’emprunt caché). Dans ce cas, les termes sont français à 100%, même si le mot et le concept sont d’origine étrangère à 100%. Exemples: basketball > ballon-panier, sky scraper > gratte-ciel, experimental psychology > psychologie expérimentale, surf the net > naviguer le réseau Internet. En connaissez-vous d’autres?
Verset 10:
Le calque sémantique. Dans ce cas, on ajoute un sens étranger à un mot français déjà existant. Ici on soupçonne la paronymie. Soit FM réaliser «rendre réel» et Ang. realize «se rendre compte de» ou FM diète «jeûne, starvation diet, fast» et Ang. diet «régime». Dans les deux cas, le sens anglais s’ajoute au terme français.
Une étudiante vient de me proposer l’exemple suivant, attesté sur l’étiquette d’un bocal de cornichons: Cornichons sans préservatif. Or le sens anglais «preservative» s’est ajouté erronément au sens courant du français «condom, capote (fam.), enveloppe protectrice employée contre les maladies vénériennes, le SIDA et comme contraceptif masculin. Et voilà pourquoi on préfère dire, dans un étiquettage mieux conçu: Cornichons sans agent de conservation.
Verset 11:
Les mots voyagent. Certains mots, nés en France, sont passés en Angleterre et, après y avoir fait un long séjour, retournent en France. Ainsi:
fleureter > flirt > flirter, tonnelle > tunnel, Jacquot > jockey, tenez! > tennis.
Verset 12:
Les dictionnaires. Aucun dictionnaire français ne renferme tous les termes du lexique. De plus, les dictionnaires s’intéressent surtout aux lexèmes ou bases lexicales. En général, un dictionnaire fait peu de cas des morphèmes (liés ou libres) et peu de place aux préfixes et suffixes. Ces composantes sont traitées par tradition dans les livres de grammaire, parfois dans un dictionnaire spécialisé, p. ex., dictionnaire inverse des mots par les suffixes.
Verset 13:
Le lexique et le vocabulaire. Qui dit lexique parle de l’ensemble des termes qui font une langue. Il s’agit d’une liste ouverte et infinie à laquelle on peut toujours ajouter un autre terme. Qui dit vocabulaire parle d’un sous-ensemble spécialisé, limité à un domaine précis, p. ex. le vocabulaire de l’informatique, le vocabulaire de Molière, le vocabulaire du monde des affaires, le vocabulaire de la radio-télévision.
L’idée d’un vocabulaire est lié à l’usage qu’on fait du lexique dans des circonstances précises. On parlera du vocabulaire d’un individu, d’un groupe social, d’une profession.
Verset 14:
Les enquêtes sur le français parlé. Des chercheurs ont enquêté sur l’organisation et la structure du lexique français. Ils distinguent:
- Le français élémentaire: Georges Gougenheim et son équipe ont identifié les 1,374 les plus fréquents de la langue française. Y figurent pratiquement tous les morphèmes libres (le, la, les, je, tu, il/elle etc.) qui portent l’essentiel de la grammaire, des noms à caractère général (chose) et beaucoup de verbes auxiliaires (avoir, être, pouvoir, devoir, savoir, falloir, vouloir, faire, dire, aller, venir). Un francophone maîtrise ce vocabulaire très jeune.
- Le français fondamental: Compte environ 3,000 mots qui viennent rapidement à l’esprit. Ce vocabulaire est indispensable à tout francophone.
- Le vocabulaire disponible: Relié à des situations de la vie ou à des centres intérêt, le vocabulaire disponible part de mots-thèmes, p. ex., le vocabulaire de la cuisine, des études, de l’amour, des communications, des transports.
À ces trois couches de vocabulaire relativement actives,on pourrait ajouter deux autres, plutôt passives…
- Le vocabulaire semi-spécialisé: Des termes qui ont commencé leur vie dans un domaine spécialisé mais qui sont maintenant connus de toute personne un tant soit peu instruite. Exemples: la cardiologie, la cathétérisation, la thrombose, la sociologie, un stéthoscope, un microscope, un téléscope, un téléphone, un cassettophone, un téléviseur, la navette spatiale, un testament, un post-mortem, les micro-ondes.
- Le vocabulaire spécialisé: Des termes connus des seuls spécialistes: les blastomères, la sténose, la laparoscopie, per stirpes, les lusitanophones. Dès le moment qu’on comprenne ou utilise l’un de ces termes, il passe dans le domaine du semi-spécialisé.
Verset 15:
Statistiques du vocabulaire de la langue parlée. L’examen de ce verset révèle que les mots les plus fréquents dans l’usage réel de la parole représentent un vocabulaire de 800 à 1,000 mots. À condition de maîtriser ses termes, on peut s’exprimer en français de façon rudimentaire. Chose encore plus étonnante, 50,6% des occurrences est constituée de 38 mots seulement. Ce chiffre est à comparer avec le lexique global, qui comporte sûrement plus de 312,136 mots. Imaginez l’un ou deux de ces 38 mots les plus récurrents.
Verset 16:
La structuration du vocabulaire du français parlé. Ce qu’on peut retenir de cette rubrique, c’est que le vocabulaire ACTIF du francophone moyen est relativement réduit et composé de mots qui reviennent constamment. Cependant, pour s’exprimer efficacement dans une conversation, il faut disposer d’un nombre de réserves de mots disponibles, reliés à des domaines ou situations de la vie quotidienne. Nommez quelques-uns de ces domaines.