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Jacques Leclerc, chapitre 3, «Les composantes de la communication linguistique»

Entreé en matière 
La plupart des linguistes s’intéressent aux codes, c’est à dire, aux systèmes linguistiques purs et durs; l’originalité de Roman Jakobson, c’est qu’il a exploré la nature de l’acte de communication.
Exemples de codes non linguistiques: les panneaux routiers, les symboles chimiques ou mathématiques, la notation musicale, le code morse, le code binaire, la gestuelle.

1 La transmission d’un message 
Tous les messages exprimés par les codes non linguistiques peuvent aussi être exprimés linguistiquement. Le contraire n’est pas vrai, puisque les codes linguistiques sont plus nuancés et plus subtils que les codes non linguistiques.
Buts de la communication: échanger des idées; influencer la pensée ou le comportement d’une autre personne ou d’un groupe, se sécuriser par le contact linguistique, psychologique et social.
Faites une petite liste de technologies permettant de transmettre ou de multiplier les messages.

2 Les facteurs de la communication selon RomanJakoson 
Selon ce linguiste, l’acte de communication comporte six éléments de base: le destinateur, le destinataire, le message, le contact, le contexte et le code. À chacun de ces éléments correspond une fonction.

2.1 Le destinateur et le destinataire 
Le destinateur (= l’émetteur, le sujet parlant, ou le locuteur ) est celui qui formule, encode et envoie le message.
Le destinataire (= le récepteur, le sujet écoutant, l’allocuteur) est celui qui reçoit et (avec un peu de chance) décode le message.
La communication individualisée est bidirectionnelle: elle peut fonctionner dans le deux sens entre le destinateur et le destinataire. À tour de rôle, le destinataire devient destinateur et vice versa.
La communication institutionnalisée paraît le plus souvent impersonnel ou anonyme, unidirectionnelle: le destinataire a peu de possibilités de devenir à son tour le destinateur. Le cas est évident dans les médias: va répondre à celui qui présente le téléjournal, à Celine Dion sur son dernier disque compact, à l’auteur du livre Germinal, par exemple. Tout de même, il y a des émissions aux lignes ouvertes (où on peut donner son point de vue simplifié et simpliste en 30 secondes avant d’être «coupé» par celui qui mène).

2.2 Le message
En principe, le message contient des informations adaptées à la personnalité du destinataire et au type de relation qu’on entretient avec lui. Pourtant, chaque destinataire peut interpréter le message à sa propre façon.
Dans les communications institutionnalisées, le message prend des formes standardisées, stéréotypées, unidirectionnelles, même rigides (pensez aux prévisions de la météo, ou à la lettre qui vous refuse un emploi, par exemple).

2.3 Le contact (= le canal)
Le contact entre destinateur et destinataire peut être physique (ondes sonores, radio, papier, écran cathodique, vidéocassette, courrier électronique, lignes téléphoniques, téléphone cellulaire). Le contact est tout ce qui permet au message de passer.
Le contact peut être psychologique aussi; c’est tout ce qui permet d’établir et de maintenir le lien entre destinateur et destinataire. Pensez, p. ex., au Bonjour, comment ça va?, dont le but et d’établir un contact psychologique, aux multiples oui…, oui…, ah oui? des conversations téléphoniques.

2.4  Le contexte (= le référent)
Le contexte est la réalité référentielle, la situation ou les circonstances auxquelles renvoie le message. À quelles réalités renvoient les messages suivants?
Tes frais de scolarité ont-ils baissé cette année?
Où est Paul Bernardo aujourd’hui?
L’Irlande et l’Écosse, c’est un peu comme le Québec…
Vas-tu trouver du travail bien vite avec ton diplôme?

2.5 Le code 
Le code est le système, l’ensemble de signes sonores ou écrits (communication linguistique), visuels, auditifs, tactiles ou olfactifs (communication non linguistique) qui portent  (= véhiculent) le message.
Pour que le message soit transmis efficacement, le code doit être compris et décodé par toutes les personnes qui le reçoivent.
Donnez un exemple qui illustre les types de code qui suit:
Code linguistique écrit
Code linguistique sonore 
Signe ou signal visuel 
Signal auditif 
Code qui permet de transmettre des messages téléphoniques 
Code qui permet aux ordinateurs de fonctionner 
Code installé dans une calculatrice 
Code permettant à un orchestre de jouer du Mozart 
Code communicatif utilisé pour transmettre le S.O.S du Titanic

3 Les fonctions du langage 
À chacune de ces composantes correspond une fonction communicative.

3.1 La fonction référentielle  (correspond à la composante «référent» ou «contexte») 
De qui ou de quoi parle-t-on? La fonction référentielle renvoie à des référents, c.-à-dire, on parle de réalités du monde réel, réalités qui sont externes au locuteur et à son interlocuteur. La fonction référentielle (dite aussi cognitive ou dénotative) correspond à la fonction première du langage: communiquer des faits ou des idées, informer, expliquer, préciser, nuancer.
Puisqu’on ne parle ni de moi ni de toi, c’est la troisième personne qui domine dans la fonction référentielle: les pronoms il(s), elle(s), on, cela et ça dominent. Le message peut avoir une forme déclarative, interrogative ou négative. Il peut être vrai ou faux. Le style journalistique est typiquement référentiel et par conséquent impersonnel et (plus ou moins) anonyme.
Quelques exemples de la fonction référentielle:
Guerre au Timor oriental. 
Le fer abonde dans le Nouveau-Québec. 
Conrad Black vient de lancer le National Post. 
Un et un font deux. 
Trois et quatre ne font pas cinq. 
Les chats et les chiens n’ont ni langue ni langage.

3.2 La  fonction expressive (correspond à la composante «destinateur») 
Qui parle? Réponse: le destinateur. On ne parle pas seulement pour communiquer des informations, mais aussi pour s’exprimer. Le destinateur peut révéler ses sentiments, ses émotions, ses peurs, ses peines et ses joies. Les marques de la fonction expressives sont: des formes grammaticales à la 1ere personne (je, nous, nous-autres), les interjections, les jurons, les onomatopées, les expressions de surprise et les formes exclamatives en général.
La fonction expressive se traduit aussi par des traits non linguistiques comme la mimique, l’intonation, les gestes, l’intensité de la voix ou du débit, les silences ou les pauses. Exemples:
Moi je pense que t’es une petite salope! 
C’est une maudite crisse de câlice de jolie fille! 
Arrête-moi ça ou je vais t’flanquer une mornifle! 
Woups (Zut, Merde, Mince), j’ai échappé mes paquets!

3.3 La fonction incitative (correspond à la composante «destinataire»)
Axée sur le destinataire, cette fonction se révèle par l’emploi de tu ou de vous ou vous-autres et par des verbes à la forme impérative. Dans la fonction incitative, on parle dans l’intention de faire agir quelqu’un. On veut influencer le destinataire à adopter tel ou tel comportement. C’est donc la langue du pouvoir, de l’ordre (exprimé par l’impératif), de l’interdiction, du commandement, de la directive. La fonction incitative est courante dans la publicité. Quelques exemples:
Dehors, et ne reviens plus dans ma maison! 
Buvez Pepsi! 
Va au diable! 
Monte en haut pis lave tes mains! 
Prière de ne pas cracher dans les wagons de métro. 
Interdiction d’afficher (Loi du 22 octobre 1887) 
Défense d’uriner dans les rues. 
M’as-tu apporté ton devoir? 
Mêle-toi des tes oignons!

3.4 La fonction poétique, ludique ou esthétique (cette fonction correspond à la composante «message»)
Tout ce qui concerne la forme du message ou les jeux de langue relève de la fonction poétique. La fonction poétique correspond à toute forme d’invention linguistique ou d’expérimentation langagière. Elle ne se limite pas à la poésie! Parmi les procédés dits «poétiques», on compte la métaphore, la métonymie, l’antithèse, l’ironie, les jeux de mots, les calembours.
Commentez la fonction poétique des exemples suivants:
Slogan du programme «Participaction»: Grouille ou rouille! 
Ma femme s’est fait opérer pour les os verts. 
Moi, mon bureau est tout vert… 
L’infirmière vient de lui donner une piqûre de mort fine. 
Tout ce qui grouille, grenouille, scribouille… 
Set de toilette pour hommes en peau de cochon. 
Les sanglots longs / des violons de l’automne / Blessent mon coeur / d’une langueur monotone (Paul Verlaine) 
À la banque TD, on peut t’aider. 
À cheval, le sot du roi portait le sceau du roi dans un seau. Un jour, le cheval a fait un grand saut, ce qui fait que tous les [so] sont tombés à terre. 
Use the Greed Machine!
Pourriez-vous ajouter un autre exemple de fonction poétique à cette liste?

3.5 La fonction relationnelle (correspond à la fonction «contact») 
Cette fonction sert à établir, maintenir et développer des contacts psychologiques ou intimes entre individus. On remarque cette fonction dans la conversation, surtout dans ses formules plus ou moins vides de sens, mais dont la fonction est de se sécuriser ou de sécuriser son interlocuteur (Bonjour, comment ça va? Ah oui? Ah non! Je comprends! Wow! c’est superbeau! Que vous êtes gentil!)
On remarque cette même fonction relationnelle et sécurisante à la radio-télévision. Dans combien de foyers, l’appareil reste-t-il ouvert du matin au soir, sans que personne y fasse attention? Mais cela donne tout de même l’impression d’être en relation constante avec des gens qui nous parlent ou qui s’intéressent à nous.
La publicité tire tous les avantages possibles de la fonction relationnellle. Si on n’arrive pas à établir un bon contact, on ne vendra sûrement pas son produit. Exemples:
Un nouveau et extraordinaire dentifrice à la fois naturel et superpuissant! 
Toujours nouveau! Toujours Cointreau! 
Coke: le vrai de vrai 
Creemore Springs Beer: 100 years behind the times! 
Pas encore branché? Appelez Clearnet!
Ajoutez un autre exemple à la liste.

3.6 La fonction métalinguistique (correspond  au «code»)
C’est se servir de la langue pour donner une explication, une définition, une simplification. C’est utiliser la langue pour parler de la langue. Tous les ouvrages traitant du code (les grammaires, le dictionnaires, les ouvrages correctifs de type «parlons mieux» sont des exemples de la fonction métalinguistique.
Exemples:
Des oreilles-de-christ? Chez nous, en Beauce, ça veut dire des grillades de lard salé* (= définition)
(N.B. Les oreilles-de-christ ne sont pas bonnes pour la santé cardiovasculaire!)
Moi, par gauchistes, je veux dire tous ceux qui veulent changer quelque chose dans notre société, soit par la violence soit par la persuasion ( = explication)

Se servir du code pour parler du code:
Noël est un nom propre. 
L’alphabet est une série de 26 lettres dont la première est A et la dernière est Z. 
Un verbe s’accorde en nombre avec son sujet. 
En français, chaque nom ou substantif a un genre, soit masculin, soit féminin. 
Pour chaque question, rédigez une réponse de 25 mots maximum. 
Épars, -e adj. Se dit de ce qui est dispersé, en désordre, sans abondance. Syn. éparpillé.

4 La portée et les limites de la théorie de Jakobson
Les fonctions à la Jakobson existent rarement à l’état pur; elles peuvent se combiner, puisqu’un message peut revêtir plusieurs fonctions en même temps. Ainsi, la signification réelle d’un message dépend de la fonction qui est prédominante au moment de l’acte de communication.

4.2 Des fonctions non spécifiques à la langue
Cinq sur six des fonctions qu’on vient d’énumérer ne sont pas spécifiques à la langue. Elles s’appliquent également aux systèmes visuels. Seule la fonction métalinguistique (se servir de la langue pour parler de la langue) est exclusive à la langue.

4.3 Les fonctions sociales de la langue
La théorie de Jakobson se limite à la communication linguistique individualisée; elle laisse de côté tout le caractère social des langues. On pourrait très bien explorer d’autres dimensions intéressantes, parce que, indéniablement, les langues sont investies de valeurs sociales et culturelles d’une grande importance.
Les traits linguistiques servent aussi de marqueurs sociaux: la langue peut indiquer des rapports hiérarchiques, des différences de classe sociale, de métier ou profession, des dimensions de type origine ethnique, âge, sexe, persuasion politique, sexuelle, ou idéologique, identification à un groupe, exclusion d’un groupe, valorisation des personnes qui «réussissent», dévalorisation de de ceux qui réussissent moins bien (sous le capitalisme triomphant, on est soit «winner» soit «loser», la solidarité et l’altruïsme étant des qualités relativement peu appréciées), assimilation des groupes minoritaires ou immigrants, ou encore leur exclusion sociale (sous prétexte que ce sont des criminels, des bons à rien, ou encore des gens qui volent nos emplois). Bref, la langue peut expimer la présence (ou l’absence) de pouvoir chez l’individu ou relativement à une classe sociale tout entière.

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