Sauvageot6

Notes du cours AS/FR 3130 6.0: Sémantique et lexicologie du français / French Semantics and Lexicology

Notes sur Aurélien Sauvageot, «Les formes d’emploi des mots» (60-72)

  • Résumé: L’auteur soutient que le mot français devient de plus en plus invariable. Seule exception à la règle générale: le verbe. La conjugaison verbale suscite des difficultés autant pour les francophones que pour les francisants.

Critique:

  1. Historiquement, S. a parfaitement raison. En passant du latin au français, le mot tend à devenir invariable. Le corollaire de cette tendance serait que la syntaxe du français devient de plus en plus figée. Mais, comme nous l’avons vu dans un autre chapitre, le français oral a trouvé des moyens de contourner cette rigidité dans la structure de la phrase (p.ex., détachement à gauche, détachement à droite, césures, courbes intonatatives).
  2. Les mots à fonction grammaticale sont invariables en français, sauf détails: déterminants du nom (le, la, les, mon, ma, mes, ce, cette, ces, etc.), les déterminants du verbe (pronoms personnels, je, tu, il, nous, vous, etc.), les prépositions (à, de, sur, sous, devant, avant, derrière, etc.), les conjonctions (lorsque, bien que, parce que, etc.) et les relatives (qui, que, dont, ce qui, ce que) qui sont en réalité un type de conjonction.
  3. La situation est plutôt mixte en ce qui concerne les mots à sens plein:
    1. les interjections sont invariables (hey, eh bien, oh là là, zut, mince, woup(s), wô là) et
    2. les adverbes sont invariables (toujours, jamais, hier, aujourd’hui, demain, heureusement, notamment, etc.). En fait, les interjections forment une sous-catégorie adverbiale
    3. le substantif (= nom) est généralement invariable à l’oral (chaise sg. ~ chaises pl.) et les “erreurs analogiques” chez les enfants confirment la tendance générale: un oeil (des *noeils), des yeux (un *zyeux), des chevaux (un *chevau), un cheval (des *chevals). Parfois «l’erreur» s’impose comme la seule forme correcte: un festival (des festivals), un examen final (des examens finals). Au moyen âge, on disait correctement un chevel mais des cheveux; aujourd’hui ce mot est invariable à l’oral
    4. la vaste majorité des adjectifs est invariable à l’oral (vide, rouge, jaune, jauni(e), enchanté(e); par contre, une minorité (= les plus courants) est présente une forme variable (court/courte, grand/grande, petit/petite, beau/belle, etc.). Les adjectifs moins courants tendent à l’invariabilité dans l’usage non surveillé, p. ex., elle est costaud, elle est présent/absent.
    5. on peut conclure, globalement, que le système nominal français évolue et a évolué dans le sens de l’invariabilité
  4. Reste le verbe, mot à sens plein, qui présente des alternances dans la base lexicale (voir le chapitre précédent) et beaucoup de diversité dans les désinences (terminaisons, suffixes verbaux). Le système verbal est le domaine qui présente le plus d’intérêt (et de difficultés) pour francophones et francisants. Dans le présent chapitre, l’auteur explore pêle-mêle ces complexités. Je ne cherche pas à répéter son exposé, plutôt je vais dégager quelques généralités utiles à retenir.
  5. Dans la conjugaison, il n’y a qu’une seule conjugaison vivante et productive, la première (solutionner, visionner, informatiser, aromatiser, médiatiser, hospitaliser, *sélecter, cliquer, surfer, cruiser, etc.). Les autres conjugaisons sont inertes sinon moribondes. On ne sait pas trop quoi faire de la conjugaison en -ir, qui connaît de petits gains dans les verbes de mouvement (atterrir, déterrir, alunir, amerrir, délunir) et quelques pertes (quérir, gésir). Cependant, les verbes en -ir qui désignent un changement d’état semblent assez bien se défendre (rougir, verdir, jaunir, noircir, blanchir, pâlir, brunir, mûrir, mourir), sans pour autant constituer une catégorie productive; on ne dira pas sans effet comique *mauvir, *orangir, *rosir, *beigir.
  • Le présent du subjonctif se défend assez bien. Là où le verbe a deux formes, la base longue terminant par une consonne audible est utilisée (cf. pr. de l’indic. je fais, sais, sort, viens vs. pr. du subj. il faut que je fasse (sache, sorte, vienne), ce qui favorise la création de nouvelles formes longues contenant une consonne finale audible ou bien une semi-consonne audible. Ceci est le cas dans plusieurs dialectes français et dans l’usage non-surveillé qu’on fait du FQ: il faut que je rise, scise (du bois), me marise, faise, voye, soye, aye, alle, etc..
  • Les dialectes présentent énormément de ces formes longues, qui servent à marquer le présent du subjonctif. Pour les membres de la première conjugaison où l’indicatif se termine déjà par une consonne audible, il n’y a aucune différence entre indicatif et subjonctif dans la plupart des personnes grammaticales (je marche/il faut que je marche), ce qui élimine une difficulté d’apprentissage. En même temps, cet état de convergence laisse présager une identité future (syncrétisme, conflation) de l’indicatif et subjonctif présent, si les locuteurs ne réagissent pas de manière à mieux caractériser l’opposition. Dans la 1re conjugaison, dominante, le subjonctif n’est bien marqué qu’à deux personnes du pluriel (il faut que nous marchions/vous marchiez). Encore là, la première personne est relativement peu fréquente, les locuteurs préférant dire il faut qu’on marche, ce qui peut signifier «nous», «vous», «moi», «toi», «quelqu’un» ou «des gens en général».
  • Les seuls temps du passé qui sont bien vivants sont les formes composées (= analytiques) qui ont comme auxiliaires les verbes avoir et être, PLUS l’imparfait de l’indicatif, dont les désinences sont calqués sur celles du verbe avoir: chant-ais, -ais, -ait, -ions, -iez, -aient, comme av-ais, -ais, -ait, -ions, -iez, -aient. Les autres temps du passé, dont on ne voit aucun rapport évident avec avoir ou être, sont morts depuis 300 ans. Sur la page écrite, ils se maintiennent artificiellement par la tradition littéraire, soit le passé simple (je fis), l’imparfait du subjonctif (que je fisse), le passé antérieur (quand j’eus fait) et le plus-que-parfait du subjonctif (que j’eusse fait). Pour bien conjuguer ces quatre «temps littéraires», il faut évidemment savoir conjuguer au passé simple. En réalité, bon nombre de francophones sont contraints (comme bon nombre d’anglophones d’ailleurs) de consulter un dictionnaire de conjugaison comme le nouveau Bescherelle, L’art de conjuguer. Paris: Hatier, 1959s.
  • Une dernière remarque sur le futur, où deux formes se font concurrence depuis assez longtemps, la première synthétique (je ferai), la seconde analytique (je vais faire). Si la première a des flexions héritées du verbe avoir (-ai, -as, -a, -ons, -ez, -ont), la seconde mimique les flexions de l’imparfait du même verbe (-ais, -as, -a, -on, -ez, -ont). L’avantage évolutif qu’offre le futur analytique je vais faire, c’est qu’il cadre mieux avec la typologie dominante du système verbal (et celle du système nominal aussi), qui est bel et bien analytique et repose sur l’emploi de verbes auxiliaires très connus. Par ailleurs, le futur analytique (= futur proche) je vais faire… est appuyé par un passé immédiat (= passé proche), je viens de faire… et un passé éloigné, je venais de faire. Le futur conditionnel analytique n’est pas *j’irai(s) faire (comme je ferais), mais je voudrais bien faire…, là où vouloir bien marque la “conditionnalité future”. On pourrait dire aussi qu’il s’agit d’un “futur désidératif”.

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