Sauvageot2

Notes du cours AS/FR 3130 6.0: Sémantique et lexicologie du français / French Semantics and Lexicology

Notes sur Aurélien Sauvageot, «L’ordre des mots» (28-38)

  • Question de départ: La sémantique exerce-t-elle une influence sur la syntaxe? Réponse: Bien sûr que oui! Seulement, selon une conception conservatrice et rigide de la grammaire, la syntaxe impose un ordre stricte sur les diverses composantes de la phrase, et la sémantique n’a qu’à se soumettre.

Exemples:
P déclarative (type classique): Marie a donné une bise à Luc ce matin.
[Sujet + verbe + c. d’objet direct + c. d’objet indirect + complément(s) circonstanciels]

P interrogatives (types classiques):
Est-ce que Marie a donné une bise à Luc ce matin?
[Formule interrogative figée + P déclarative]
Marie a-t-elle donné une bise à Luc ce matin?
[P déclarative avec insertion d’un pronom personnel (-t-elle) après l’auxiliaire, connue sour le nom «d’inversion»

Objet en vedette, P avec détachement ou dislocation à gauche:
La voiture, je l’ai garée sous le porche.
Eux-autres, il ne les a plus revus.
Il s’est trompé (= obj.), je te le dis. Il s’est trompé (= obj.), que je te dis.

Sujet en vedette, détachement ou dislocation à gauche:
Marie, elle a garé la voiture (= Marie agaré la voiture).
Moi, j’ai garé la voiture (= J’ai garé la voiture).

Verbe en vedette (pronom obligatoire); objet disloqué à droite:
Elle est tombée en panne, la voiture.
Je l’ai garé sous le porche, la voiture.
Il l’avait aperçu, la voiture.
Il l’avait aperçu, lui/Jean, la voiture.

P passive, peu habituelle en français parlé:
Elle a été aperçu par lui/Jean, la voiture.

Généralités:

  • Une phrase sans dislocation a généralement un sens «neutre» sans mise en relief.
  • La dislocation à gauche correspond à une PROMOTION du contenu sémantique (mise en relief de l’élément qu’on veut souligner.
  • La dislocation à droite correspond à une DÉMOTION du contenu sémantique (atténuation de l’élément dont on veut minimiser l’importance).
  • Suite à la dislocation à droite d’un élément ou groupe syntaxique, l’élément ou groupe syntaxique qui occupe la position en tête de phrase subit une légère mise en relief.

Exemples de «sujets vides» et de «sujets nuls»:
On a aperçu la voiture. Qui est «on»?
[Réponse: Une ou plusieurs personnes dont on cache l’identité]
Ça parle beaucoup! Qui est «ça»?
[Réponse: Plusieurs personnes dont on ignore l’identité et qu’on envisage sous une lumière défavorable]
Il fait un temps de chien! Qui est «il»?
[Réponse: Sujet nul (ou vide) qui ne veut rien dire. Utilisé parce que la syntaxe du français standard insiste pour exprimer un sujet avec chaque forme du verbe conjugué]
Fait beau, faut le faire, veux veux pas…
[Réponse: Sujet nul (ou vide), non exprimé en FQ populaire. Vestige de l’usage ancien, qui permettait de ne pas exprimer le sujet, lorsqu’il n’y avait pas de sujet réel]

Complément adverbial en vedette (p. 34):
Jamais il n’en a étéquestion! (= Il n’en a jamais été question)
Q. Quel effet est produit lorsque l’adverbe résiste à cette dislocation à gauche?
[Réponse: La négation reste plutôt faible, sans effet de mise en relief]

Adjectif attribut en vedette (p. 35):
L’actuelle crise au Canada. (= La crise actuelle au Canada).L’adjectif disloqué à gauche gagne en force (sa place attendue et habituelle étant à droite du substantif.

Conclusions (contradictoires) de Sauvageot: il règne une certaine anarchie dans l’usage actuel de la syntaxe…; la syntaxe du français parlé a acquis une certaine souplesse qu’on peut lui envier… Faut-il croire que Sauvageot déplore l’anarchie de la syntaxe française ou qu’il en admire plutôt sa souplesse?

Conclusions de Corbett:

  • Si vous êtes partisan d’une syntaxe rigide, de règles de grammaire inflexibles, vous allez sans doute déplorer «l’anarchie syntaxique». Si par contre, vous aimez que la syntaxe vienne seconder la sémantique, qu’elle ajoute des effets de mise en relief au sens du message, vous aimerez la souplesse qu’offre le phénomène de dislocation, phénomène bien réel en français parlé contemporain.
  • Il y a tout de même une certaine cohérence dans les exemples présentés par Sauvageot, cohérence qu’il ne souligne pas avec toute la vigueur qu’on pourrait souhaiter.
  1. Mise en relief de l’élément qui domine sur le plan sémantique.
  2. Dislocation ou détachement à gauche: La partie du discours, l’idée ou le concept qu’on veut souligner/accentuer passe en tête de phrase, c.-à-d. à la gauche de l’élément dont il est syntaxiquement dépendant, en laissant toutefois une trace (un indice de rappel, le plus souvent un pronom).
  3. Dislocation ou détachement à droite: La partie du discours, l’idée ou le concept qu’on veut minimiser ou ne pas souligner/accentuer tend à passer en fin de phrase, soit à la droite de l’élément dont il dépend syntaxiquement.
  4. La syntaxe n’est pas une camisole de force, imposée sur des locuteurs indisciplinés par de vieux grammairiens à l’esprit rigide, résidant à l’Académie française.
  5. Il est préférable d’envisager la syntaxe comme un mécanisme qui vient seconder la sémantique, produisant ainsi des effets de mise en relief. Cette mise en relief syntaxique sert à renforcer la fonction communicative, fonction qui est, rappelons-le, la principale raison d’être des langues humaines.

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