Notes du cours AS/FR 3130 6.0: Sémantique et lexicologie du français / French Semantics and Lexicology
Notes sur Aurélien Sauvageot, «Les auxiliaires être et avoir» (137-141)
- Résumé: L’auteur passe en revue différents emplois des temps composés pour conclure que «…la coexistence de ces deux auxiliaires pour la formation des passés composés des verbes actifs présente des inconvénients, qui tendent à rendre malaisée pour l’usager ordinaire l’utilisation de ces temps». (p. 141). Pourtant, son exposé est loin de tirer les choses au clair.
- Constatation 1: Être et avoir sont tous les deux verbes d’état: l’état d’existence et l’état de possession. Un état d’existence ne comporte pas d’objet grammatical, alors qu’un état de possession en présuppose un, du moins sous-entendu. Il y a d’autres auxiliaires, notamment devoir et falloir (états d’obligation), savoir et pouvoir (états de compétence, mentale ou physique), venir de et aller (états d’immédiateté dans le passé ou le futur), faire (état de causalité), laisser (faire) (état de permissivité), penser (faire) et entendre (faire) (états d’intention).
- Constatation 2: Dans les temps composés, avoir s’emploie lorsque le verbe principal est transitif et que le procès verbal porte (ou peut porter) sur un objet direct. P. ex., J’ai écrit une lettre; J’ai bu et mangé (objet sous-entendu ou supprimé).
- Les verbes intransitifs qui n’expriment pas le mouvement, le changement de lieu ou le changement d’état ont également avoir comme auxiliaire: J’ai bien dormi, Il a bien vécu, Cela a toujours existé. Bien qu’intransitif, être (comme exister) prend avoir comme auxiliaire: J’ai été malade, J’ai été à Paris. Cela malgré le fait que le dernier suggère le mouvement (= Je suis allé à Paris). En italien, le verbe essere «être» a comme auxiliaire le verbe essere et la liste de verbes intransitifs qui se conjuguent avec essere est légèrement différente de celle qui existe en français.
- Constatation 3: Dans les temps composés, être s’emploie quand le verbe principal est un verbe intransitif exprimant le mouvement, un changement de lieu ou un changement d’état: Je suis parti/arrivé; je suis monté/descendu, je suis entré/sorti, je suis né/mort, je suis resté/demeuré/parti; l’hiver s’en est allé; le printemps s’en est venu, etc. Les verbes dérivés par préfixation (remonter, rentrer, ressortir, repartir) se conjuguent en général de la même manière.
- Constatation 4: Dans le parler non soigné, avoir empiète constamment sur le domaine d’être. Ce phénomène se constate aussi bien dans le langage des enfants qu’en FQ populaire: J’ai monté/descendu, il a parti/arrivé; il s’a promené; je m’ai dit (mais jamais *j’ai né, *j’ai mort). Cet empiètement est considéré comme tout à fait légitime et correct dans le cas ou être est le verbe principal. Ainsi, j’ai été, et non *je suis été comme en italien (sono stato).
- Constatation 5: Cette rivalité entre avoir et être suggère que le premier domine sur le second à cause de sa haute fréquence, mais qu’être se défend relativement bien dans tous les cas ou l’état (psychologique ou physique) du sujet prédomine. Pour cette raison, les verbes pronominaux (le sujet et l’objet sont en effet la même personne) ont être comme auxiliaire: je me suis dit, je me suis rasé, je me suis senti très bien, je me suis promèné, je me suis étonné.
- Constatation 6: Sur les plans sémantique et syntaxique, avoir s’emploie surtout quand le procès verbal porte ou peut porter sur un objet direct AUTRE que le sujet de la phrase, tandis qu’être intervient dès que le procès verbal exprime l’état (psychologique ou physique) du sujet. Comparez, à cet égard, elle a posé un livre sur ses genoux (avec c. d’objet direct) avec elle est parti pour la gloire (sans c. d’objet direct).
- Constatation 7: Certains verbes acceptent les deux auxiliaires selon que le procès verbal porte sur un «objet direct» ou sur «l’état du sujet». À titre d’exemples: Il est vite monté/descendu mais J’ai monté/descendu vos paquets; j’ai monté un coup; il est monté contre le prof, mais il a monté/descendu l’escalier; il est tombé du lit, mais il a tombé ses paquets (usage régional), il s’est échappé mais il a échappé ses paquets (usage régional).
- Constatation 8: Certaines distinctions chéries des puristes sont en la réalité très subtiles: Ce livre a paru l’an dernier (un événement, mais sans objet direct) vis-à-vis de Ce livre est paru depuis un an (l’état qui résulte de l’événement). Cette nuance est hors de toute proportion avec l’effort intellectuel qu’il faut fournir pour la maintenir. Est-ce pour cela que les puristes l’affectionnent tant?
- Constatation 9: Les verbes réfléchis prennent être comme auxiliaire. Ici, il est parfaitement clair que le sujet et l’objet désigne une seule et même personne. Autrement dit, le sujet et l’objet du processus sont identique; c’est ce qu’on appelle en grammaire “la voix moyenne”. Exemples: Il s’est blessé; je me suis regardé dans un miroir; elle s’était endormie, je me suis dit, nous nous sommes bien amusés. Cette tendance est tellement bien ancrée dans la langue que l’auxiliaire reste être même si un complément d’objet direct fait partie de la phrase: Je me suis blessé le doigt; je me suis cassé le bras; je me suis cogné la tête; je me suis dit mes quatre vérités; elle se l’est rappelé(e), cet événement.
- Exercices: 1) Trouvez une autre vérité générale concernant l’emploi d’avoir et être. 2) Trouvez un exemple personnel où vous avez hésité entre avoir et être comme auxiliaire. 3) Savez-vous pourquoi vous avez hésité?