Notes du cours AS/FR 3130 6.0: Sémantique et lexicologie du française / French Semantics and Lexicology
Notes sur Aurélien Sauvageot, «Le problème de la ‘voix passive’» (130-137)
- Résumé: L’auteur met en doute l’existence de la voix passive, du moins en français. Il affirme que «…la tournure ‘passive’ sert uniquement à refléter l’ordre dans lequel le locuteur a voulu présenter son énonciation». Ainsi, là ou la langue soignée ou littéraire dirait Le représentant de commerce a été assassiné par une personne de sa connaissance, la langue parlée a plutôt tendance à préférer une syntaxe active: Le représentant de commerce, c’est une personne de sa connaissance qui l’a assassiné. Sauvageot conclut que «le choix de la tournure [passive] ne dépend en définitive que de l’ordre dans lequel les mots viennent à l’esprit du locuteur. Il est donc manifeste qu’il n’y a pas d’expression en français de la notion de passif, mais un ensemble de procédés qui peuvent… prêter à une interprétation que les logiciens assimileront à l’expression du passif» (pp. 136-137).
- On reconnaît généralement trois catégories au «passif» français:
- sujet plus verbe être avec participe passé plus un complément d’agent introduit par par (elle a été tuée par son mari) ou bien par de si la relation est permanente ou durable: Cette professeure est adorée (aimée, respectée, estimée, détestée) DE tous! Cet auteur est connu DE tout le monde. Cette structure suit le modèle de la syntaxe latine.
- sujet indéterminé ou indéfini on avec un verbe à la forme active: ici on parle français; on va prendre une décision.
- verbe réfléchi à la forme «active»: le café se boit chaud; le steack se mange bleu, saignant, à point, ou très cuit; cela se dit mais cela ne se fait pas; le français se parle du bout des lèvres, le rideau se lève et la porte s’ouvre…
- Critique: Il aurait été utile de commencer par se poser la question: Qui ou quoi est passif? Seule réponse possible, le sujet grammatical. Toutes les formes dites «passives» ont ceci de particulier qu’ils présentent le sujet profond comme étant inactif ou non responsable de l’action exprimée par le verbe. En effet, le sujet grammatical est en même temps l’objet profond du procès verbal, comme s’il existaient dans un état d’inertie ou de passivité (cette professeure est adorée de tous). Dans ce cas, on comprend aisément le choix de l’auxiliaire être, verbe d’état par excellence). Ou bien encore le sujet profond est sans pertinence ou marginalisé (ici on parle français), ou encore complètement absent (le café se boit chaud).
- Exemples du sujet dans un état d’inactivité: Tous les exemples traditionnels du «passif» formés avec être + plus participe passé cités en pp. 130-133. Dans ces exemples, un sujet grammatical est présent, mais il est inactif, relativement au processus verbal.
- Exemples du sujet indéterminé, vide, ou sans pertinence: Tous les exemples avec pronom on ou ça, plus un verbe à la forme active. Dans ce cas, le sujet réel s’efface derrière ces deux pronoms «indéfinis»: On a parlé de choses et d’autres; on partira demain de bonne heure; on a ouvert la porte; on en a répandu le bruit dans toute la ville; Ça parle constamment; ça n’arrête pas de brailler. Tous les exemples ou le procès verbal s’accomplit malgré la volonté du sujet: Il se meurt, il s’ennuie, elle se languit., je m’endors, je m’émerveille.
- Tous les exemples avec il «impersonnel» (sujet vide de sens): il faut bien, il est nécessaire de, il y va de sa vie, il pleut, il neige, il vente… Au Canada français, certains de ces verbes s’utilisent régulièrement sans pronom sujet: fait beau, faut le faire, veux veux pas…, comme c’était parfois le cas au moyen âge.
- Exemples de l’objet réel qui devient le sujet grammatical de la phrase: Dans ce cas, l’objet profond se construit avec un verbe réfléchi et le sujet profond fait entièrement défaut: Le café se boit chaud; la porte s’ouvre (toute seule), cette maison se construit lentement, la région se dépeuple, la lampe s’est éteinte (d’elle-même), le feu s’est pris (on ignore qui en est responsable). À cette catégorie, il faudrait peut-être relier les exemples de type: une rue passante, une route plus roulante, poste restante, thé dansant, soirée dansante, chemin faisant, préssé pressant, gêné gênant, là où l’état s’exprime par un adjectif de type verbal. Par ailleurs, on pourrait ajouter la catégorie où l’état psychologique ou physique du sujet est exprimé par un adjectif de type participial et que le verbe est le verbe d’état être: Ces vins sont estimés (de tout le monde); elle a été fatiguée (par sa semaine); Je suis excédé (par toutes ces demandes).
- Conclusion: Il serait peut-être sage de repenser le concept du «passif» à partir de l’idée de «sujet et objet profonds» et du procès verbal conçu comme un état plutôt qu’une activité. Dans la phrase traditionnelle dite passive, le «sujet grammatical» de la phrase est «l’objet profond» du procès verbal, et le «sujet profond» s’exprime par une formule complémentaire, p. ex., Cette professeure (= objet profond) est aimée (= procès verbal sous forme d’état) de tout le monde (= sujet profond de la phrase)
- Petit exercice: Citez un exemple personnel ou le sens passif domine. Ensuite, classez-le dans une des catégories décrites ci-dessus.