Notes du cours AS/FR 3130 6.0: Sémantique et lexicologie du français / French Semantics and Lexicology
Notes sur Aurélien Sauvageot, «Le problème du vocabulaire» (16-27)
- Thèmes dominants: 1) Selon l’auteur, le vocabulaire français est pauvre, surtout en terminologie technique et scientifique, les Français ignorent les ressources lexicales qu’offre leur langue, ou bien ils sont paresseux et se contentent du minimum en vocabulaire, du plus bas commun dénominateur; ils épousent le principe du moindre effort: vouloir exprimer le maximum avec un minimum de ressources lexicales. Toujours selon A. S., cette ignorance et cette paresse chez les francophones constitue une maladie intellectuelle.
- Vraisemblablement, l’auteur adopte la stratégie: Blâmons la victime, à savoir les francophones sans culture, ceux qui ont perdu leur latin et leur grec, ceux qui ne sont pas assez lettrés ont oublié que pendant un certain temps, la France se trouvait au centre du monde et que les Français se piquaient d’être les Grecs et Romains de la civilisation occidentale.
- Dans un sens, S. a raison: la culture capitaliste et corporative favorise une certaine médiocrité généralisée, un nivellement par le bas; elle veut se doter d’un bassin passif de consommateurs naïfs, sans esprit critique, des moutons prêts à accepter des McJobs, de préférence à un salaire minimum, sans sécurité d’emploi et sans avantages sociaux.
- Le français face à la science et la technologie anglo-américaines. La francophonie face à la force économique et culturelle des Américains et de l’empire capitaliste qui «parle argent». Que faut-il faire? Rester passif et accepter n’importe quel mot d’origine anglaise ou devenir proactif, critique, sélectif, créateur?
- Faut-il préférer l’emprunt (passif comme façon d’enrichir et renouveler le lexique français) ou faut-il privilégier la néologie = création lexicale (plutôt active et interventionniste), se servant de ressources françaises existantes, ou à la limite, grecques et latines, ces dernières les sources traditionnelles du lexique français savant et spécialisé? Sauvageot préfère renouveler sa langue de l’intérieur, en conservant sa prétendue pureté, en cultivant les liens de cohérence et de cohésion entre les différentes parties constitutives du vocabulaire.
- Concept de transparence et motivation sémantique: Est-ce que les termes starter/goal/average veulent dire quelque chose, oui ou non, pour le francophone moyen? Est-ce que ces mots ont des liens de forme et de sens avec le vocabulaire indigène, oui ou non? Dans l’affirmative, on parle d’un mot dont la signification est transparente, un terme qui est motivé sur le plan sémantique. Dans la négative, on dit que le mot est plutôt opaque.
- S’il y a un mot que vous ne comprenez pas, un mot dont vous ne voyez aucun rapport avec les autres mots que vous connaissez, vous avez affaire à un mot opaque. S. préfère la transparence et la motivation à l’opacité. Il se fait le défenseur d’une grande cohérence interne du vocabulaire (familles de mots, mots reliés par la dérivation et la composition, procédés français traditionnels. S. préfère qu’il y ait des liens morphologiques et sémantiques clairs entre les différentes composantes du lexique.
- Selon S., il y a un énorme travail d’épuration lexicale et terminologique à faire (sans parler de renouveau!). Il envisage quatre procédés: a) le calque ou le décalque, sorte de traduction littérale ou naturalisation des mots étrangers (ex. fuelle pour fuel, pipe-ligne pour pipe-line, plus-value pour Mehrwert); b) donner au nouveau concept un nouveau terme qui est une définition semi-transparente (oléoduc = création savante, ou peut-être mieux, conduite de pétrole, de gaz, d’eau, d’électricité, créations lexicales par analogie, à partir d’aqueduc, conduite d’eau); c) choisir un terme indigène qui a des liens morphologiques avec d’autres termes (remplacer starter par démarreur (démarrer, démarrage, etc.); remplacer flasheur par clignotant, clotcher/déclotcher par embrayer, débrayer (embrayage, débrayage, etc.); d) créer des termes ex nihilo, à partir de bases inexistantes comme *quer, *ber, *ler, *der et les doter arbitrairement d’une signification, un peu à la manière des sigles SNCF, RATP, ALENA, MTS, ADN, SIDA.
Commentaires sur ce texte:
- Toutes les langues empruntent les unes aux autres. Il y a des langues prêteuses et des langues emprunteuses. Cela reflète l’existence d’inégalités sociales et de différences réelles sur le plan matériel (niveau et style de vie, innovations culturelles et technologiques). Ces différences se présentent sous forme de créativité, d’innovation ou d’invention. Le plus souvent, on emprunte des substantifs, c.-à-d., des concepts (caterpillar, skidoo, seadoo, disk-drive, Téléfax, building grand standing, jogging, footing, dansing, shopping, camping, weekend, bouledogue, boulingrin, poutine), plus rarement des verbes, et pratiquement jamais des morphèmes (= les parties grammaticales du discours (prépositions, articles, conjonctions, adverbes). L’emprunt n’est pas un péché, c’est la façon la plus facile, et la plus évidente, d’enrichir un vocabulaire, de combler des lacunes conceptuelles. Ce qui trouble l’auteur, semble-t-il, c’est le fait que le français et les Français se trouvent dans une position d’infériorité culturelle et technologique vis-à-vis de l’anglais et de la culture ango-américaine. Les emprunts à l’anglais ne font que souligner, du moins dans son esprit, cette flagrante infériorité.
- Le «problème» ne réside pas dans le vocabulaire, mais dans l’inégalité des cultures, des peuples, des sociétés, des économies et des civilisations. Même les communistes n’ont pas pu faire disparaître les inégalités sociales. Il y a toujours des sociétés qui ont de l’avance sur d’autres. Normalement, la société qui a du retard emprunte des concepts, des produits, des technologies et les mots qui les désignent à la société plus avancée. Ainsi, il n’est pas surprenant que les Français cherchent à rattraper un retard technologique ou autre en effectuant des emprunts précisément dans des domaines où le monde anglophone a de l’avance. Sauvageot veut-il empêcher le monde de savoir ce qui se passe en dehors de la France? Veut-il cacher ou déguiser le fait que d’autres sociétés avancent plus rapidement que la sienne?
- À propos, à mesure que le Québec sort de son infériorité traditionnelle, elle cherche à s’imposer comme une société autonome et distincte…, ce qui montre à quel point le Québec se sent menacé par la culture anglo-américaine (à noter son vigoureux rejet de l’anglicisme, plus fort peut-être que chez les Français de France).
- Il est beau et démocratique de privilégier la prétendue pureté du français sous prétexte qu’il faut que tous les Français et toutes les Françaises comprennent tout, qu’il ne faut pas créer une rupture sociale entre les différentes classes… (les gens qui comprennent et ceux qui ne comprennent pas, les compétents et les incompétents, les gagnants et les perdants), et que le lexique soit du français pur, dur et transparent à 100%. Malheureusement, aucun lexique n’est parfaitement transparent…, et les langues de civilisation qui ont une capacité d’absorption ne sont jamais pures! Même si tel était le cas, les inégalités sociales ne disparaîtraient pas du jour au lendemain.
- Quel prix faudrait-il payer la pureté et la transparence du vocabulaire français? A.S. ne dit rien là-dessus. Le prix à payer, je crains, c’est la rupture des liens linguistiques avec d’autres langues et cultures. Ce qu’il faudrait de toute évidence, c’est plutôt des liens de rapprochement et d’échange. L’auteur veut-il rendre le contact entre les cultures plus difficile? Veut-il que les étrangers aient à travailler plus dur pour maîtrise le français? Veut-il exagérer les problèmes d’intercompréhension ou bien, au contraire, les minimiser?
- Toutes les langues de civilisation avancée ont un lexique à plusieurs couches: Une partie du lexique est transparente, une autre partie semi-transparente et une autre partie relativement opaque et hermétique. Le français a longtemps toléré des mots savants de type latino-grec dans les sciences, sans que toute la population les comprennent (ostréithérapie, thalassothérapie, laparoscopie, hippomobile). La plupart des langues ont au moins quatre couches lexicales identifiables: un vocabulaire fondamental (1,000 mots les plus fréquents chez les tout petits), un vocabulaire disponible (5,000-10,000 mots connus et reliés à des situations de la vie quotidienne), un vocabulaire semi-spécialisé (connu passivement des gens instruits hystérectomie, lobotomie, angioplastie, cardiovasculaire), et un vocabulaire spécialisé connu des seuls spécialistes (blastomères, isobares, sine die, per stirpes).
- Certaines suggestions de S. n’avancent pas la cause de la transparence sémantique: donner une signification à *quer, *ber,*ler et *der des artefacts qui n’ont de liens sémantiques ou historiques avec rien, c’est de la pure folie! Tandis que SNCF, RATP, HLM, MTS, SIDA, OTAN, ONU se laissent toujours interpréter si l’on y tient. Si on voulait de la transparence à 100%, il faudrait purger la langue française de tous ses mots d’origine savante (oléoduc, ordinateur, polyvalence) et de tous les mots étrangers sans liens de sens ou de morphologie avec le lexique français, ce qui reviendrait à un énorme appauvrissement de la langue, ce dont l’auteur se plaint d’ailleurs!
- Cela dit, il existe des commissions de terminologie au Québec et en France, organismes qui travaillent avec intelligence pour donner des formes françaises (ou bien internationales) aux nouveaux concepts et aux nouvelles technologies. Parfois, l’aboutissement de leur travail est la publication de dictionnaires ou lexiques, p. ex., lexique de l’informatique, lexique du réseau Internet. Pour en consulter un exemple, visiter l’Office de la langue française (Portail Québec).
En résumé: Faut il renouveler le lexique de l’intérieur à l’aide de ses propres ressources (= néologie) ou bien de l’extérieur (= emprunt)?
- L’emprunt a l’avantage d’être une solution de facilité. Il a ce désavantage que les mots empruntés à une langue étrangère sont généralement opaques et immotivés pour les francophones. De plus, accepter des mots anglais tels quels revient à accepter passivement la supériorité techno-culturelle du monde anglo-américaine, sans exercer son esprit critique.
- Par contre, la néologie demande un effort de créativité lexicale. Aucun lexique n’est transparent à 100% (le lexique français est bourré de termes d’origine gréco-latine). Préférer systématiquement la néologie à l’emprunt implique le rejet de tous les termes qui ne sont pas d’origine françaises.
- Dans le genre néologie et néologismes, S. décrit quatre modalités potentielles:
a) le calque/décalque (déguiser le terme étranger sous des apparences françaises, ex. fuel > fuelle, pipe-line > pipe-ligne
b) créer un nouveau terme motivé et transparent, p. ex., conduite de pétrole (de gaz, d’eau, d’électricité, etc.)
c) remplacer les termes empruntés et opaques par des équivalents indigènes transparents, p. ex., starter > démarreur, flasheur > clignotant, clotcher > embrayer
d) créer des termes de base ex nihilo, ex. *ber, *ler, *zer, *der. À noter que ces termes n’ont aucune motivation, à la différence des sigles (SIDA, ALÉNA, ADN, MTS, RATP) qui se laissent interpréter si l’on y tient…
Quelques questions:
- Connaissez-vous un mot d’origine française en anglais que vous aimez spécialement, ou que vous n’aimez pas du tout? Expliquez pourquoi vous l’acceptez ~ ne l’acceptez pas.
- Trouvez un mot d’origine anglaise en français que vous aimez ou que vous n’aimez pas.
- Trouvez un mot d’origine québécoise dans l’anglais canadien. Dites si vous l’aimez ou non et pourquoi.
- Peut-on remédier à l’inégalité des cultures, à l’inégalité des citoyens par une bonne dose de démocratie lexicale, de transparence sémantique ou de liens de dérivation morphologique? Force nous est de conclure que la vraie source de nos inégalités se trouve ailleurs…, dans nos systèmes sociaux, politiques et économiques. Qu’en pensez-vous?