Notes du cours AS/FR 3130 6.0: Sémantique et lexicologie du français / French Semantics and Lexicology
Notes sur Aurélien Sauvageot, Portrait du vocabulaire français, «Les vocables de même prononciation: l’homophonie» (47-54)
Résumé:
- Les homophones français sont majoritairement mono- et bisyllabiques. Chose significative, la vaste majorité des mots français par évolution naturelle (non savante) sont également mono- ou bisyllabiques. Plus un mot comporte de syllabes et moins il a de chances de créer une ambiguïté: les polysyllabes ambigus sont rares ou inexistants (pouvez-vous en citez un?). Par ailleurs, le contexte linguistique fournit constamment des éléments de désambiguïsation, p. ex., nous savons, notre savon, nos savons.
- Qui dit homophonie s’intéresse à l’oral! Chez les monosyllabes, S. prétexte que le «phtonguème» [=même suite de sons, même suite de phonèmes] n’a aucune signification en soi, mais en acquiert en combinaison avec les autres mots environnants. Exemples: [vi, paR, tuR, kaR] pp. 48-49. Cela est sans doute une grosse exagération: dire qu’un mot prononcé hors contexte n’a pas de signification revient à nier l’idée que les mots sont des unités signifiantes. Pourtant, on peut affirmer sans crainte que l’homophonie a pour conséquence qu’un vocable perd son autonomie [syntaxique]. De même, les monosyllabes n’ont pas beaucoup d’autonomie syntaxique en français.
- Évidemment, l’orthographe fournit des indices de désambiguïsation, mais ils sont absents de la langue parlée. (À supposer que le sujet parlant sache épeler correctement les homophones en question: ex., saut, sot, sceau, seau; sain, sein, saint, seing, ceint; ver, vers, vair, vert, verre; sers, sert, cerf, serre (n. ou vb.). L’orthographe française conserve d’importants vestiges d’un état de langue où l’homophonie n’existait pas encore, donc l’écriture traditionnelle abolit certains de ses effets, du moins sur une page imprimée. En fait, l’orthographe entretient les Français dans l’illusion qu’ils possèdent un grand nombre d’homophones différenciés très clairement, alors qu’il n’en est rien. Ce qui explique peut-être l’attachement farouche des Français à la dictée.
- À part l’orthographe, inefficace pour contourner l’ambiguïté à l’oral, on peut: a) recourir à un synonyme ou b) porter le fardeau de la signification sur une structure syntaxique plus large. Selon l’auteur, les Français préfèrent la deuxième solution. Ainsi, dans l’exemple, L’association des maires/mères de France, où il serait difficile de trouver de simples synonymes, on peut compter sur l’amplification lexicale et syntaxique, p. ex., L’association des mères de famille françaises /L’association des maires de municipalités français.
- Pourtant, il n’est pas prouvé que les francophones refusent la synonymie, surtout pour remplacer le terme moins usité, p. ex.,
le faix (le fardeau, la charge, le somme) ~ le fait
le poids (fardeau, charge, somme) ~ le pois
il croît (il pousse, grandit) ~ il croit
un cor (une trompette, un cornet à pistons) ~ un corps
*Note: Au Québec, il existe un commerce appelé «Les petits pois» [= poids]. Il s’agit de boutiques spécialisées en vêtements et articles pour enfants.
- L’histoire du français offre bon nombre de cas où, justement, on a contourné l’ambiguïté en modifiant ou écartant l’un des termes problématiques. Soit les termes huis «porte» et hui «aujourd’hui», qui prêtaient à confusion. Faudrait-il ajouter à la liste *ui comme dans J’ui ai dit? Le premier a été remplacé par porte, sauf dans la formule à huis clos. Au moyen âge, on parlait encore de l’huis de la porte «petite porte pratiquée dans une plus grande». Le second a subi une amplification lexicale, soit aujourd’hui (neutre), soit en ce jour d’aujourd’hui (pompeux). Quant à *ui, pronom à haute fréquence, il reste inchangé et se réduit même à [i] dans le FQ populaire: j’y ai dit.
- Le chinois tolère assez bien l’homophonie parce qu’il possède un système de quatre tons qui fait que les homophones ne le sont que théoriquement. Par ailleurs la graphie chinoise a presque autant de «caractères» que de concepts, donc aucun problème d’ambiguïté du côté écrit, à condition, bien sûr, de maîtriser le système, combien visuel et complexe, d’écriture chinoise.
- Les langues riches en homophones, donc riches en ambiguïtés potentielles, sont plus ou moins obligées de recourir à des procédés de désambiguïsation: choix d’un synonyme, paraphrase ou amplification du mot obscur, ou support d’une structure syntaxique plus large.
- L’économie obtenue en théorie par le recours fréquent aux mots à syllabe unique est alors contrebalancée ou annulée par l’application de ces procédés de commutation (= substitution), d’amplification, et de contextualisation (p. 52). Tout cela, sans parler du contexte culturel, de la situation de communication, des besoins communicatifs des interlocuteurs et de toute la pragmatique de communication, que l’auteur fait passer pour des «éléments extra-linguistiques».
- En principe, la réduction de l’énonciation au minimum (donc à une série de monosyllabes) reflète le «principe du moindre effort». Cette simplification n’est possible qu’à la condition que le contexte et/ou les circonstances extra-linguistiques viennent compléter l’émission (= la production) linguistique. Sauvageot présente ce principe général sous la forme Q = É + C, ce qui veut dire qu’il y a un équilibre constant entre la quantité d’information transmise d’un côté et les éléments linguistiques et culturels de l’autre.
Q = quantité d’information transmise ou à transmettre
É = énonciation linguistique
C = toute information contextuelle et/ou extra-linguistique
Ainsi,
1) Comme abstraction, Q reste constant mais…,
2) Si É grandit, C diminue
3) Si É est réduit au minimum, C grandit au maximum
4) Si É ou C disparaît, Q devient inintelligible
- Exercice: Illustrez chacune de propositions ci-dessus par l’exemple: «Je vous tire mon chapeau!»
- Question: Est-il possible que É et C soit présents, mais que Q soit inintelligible? Réponse: Oui, si on ne comprend pas la langue dans laquelle est formulée l’énoncé, ou si on manque de connaissances culturelles nécessaires pour interpréter le sens du message.