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Notes du cours AS/FR 3130 6.0: Sémantique et lexicologie du français / French Semantics and Lexicology

Notes sur Aurélien Sauvageot, Portrait du vocabulaire français, «Les mots composés (101-111)
Résumé: Alors que l’allemand peut former des mots composés par simple juxtaposition, pratique courante dans la catégorie des substantifs (Luftwaffe, Seemacht, Hochschule, Sauerkraut), les mots composés français sont plutôt des syntagmes (= groupes syntaxiques).

  • Dans les syntagmes français, l’un des éléments est généralement primaire et dominant (= la «tête» du syntagme),l’autre est secondaire et descriptif (= l’élément dépendant qui qualifie ou décrit l’élément de base). En règle générale, les composés français sont soumis aux règles de la syntaxe française. Comparez, à cet égard, Zugvogel sbs. + sbs., littéralement «vol-oiseau», avec le terme français correspondant oiseau migrateur (sbs. + adj.).
  • L’auteur veut nous faire croire que les seuls composés authentiques sont les mots (généralement des substantifs) où deux bases lexicales font bloc, se soudent ensemble pour former un seul mot, comme en allemand (Autobahn, Brennstoff), ou dans la composition savante de type gréco-latine (horodateur, servofreins). Pour lui, la plupart des «composés» français ne sont que des syntagmes (pomme de terre, armée de l’air) ou bien des abrégés de syntagmes trouble-fête «personne qui trouble la fête» prix plancher «prix réduit au maximum, on ne peut plus bas…, jusqu’au plancher».
  • Un deuxième procédé français est le recours à la construction dite «complément de nom», type ciel d’été, pomme de terre, sport d’hiver (all. Sommerhimmel, Erdapfel, Wintersport), ou encore lampe à l’huile, pompe à essence. La composition allemande peut regrouper plusieurs substantifs, p. ex., Erdölgewinnung (Erd + öl + gewinnung «terre + pétrole + extraction».
  • Chaque langue forme ses mots à sa propre guise: les procédés allemands n’ont pratiquement aucune incidence sur ceux du français. Comparez, p. ex. Brennstoff «brûle + matière» avec le terme français simple combustible, Wetterkunde «temps-savoir» avec météorologie (mot composé de formation savante); météo est formé par troncation.
  • Au chapitre de la composition, le français connaît deux modèles, la composition savante, faite surtout d’éléments latino-grecs: autocritique, automobile, auto-infection, auto-école, astronaute, cosmonaute, aéroplane, physico-chimique, pseudonyme, télépathie, neurochirurgie, cardiovasculaire, radioscopie, laparoscopie,etc. Dans tous les composés savants, le second élément est primaire (équivalent d’un substantif) alors que le premier terme le qualifie (faisant ainsi fonction d’adjectif).
  • L’élément -o- qui semble relier les deux termes est en fait une trace de l’adjectif au singulier en latin ou grec. Dans d’autres cas, on remarque que l’élément connecteur est -i- ou -y-, c.-à-d. la trace de l’adjectif latin ou grec au pluriel: multicolore, omniprésent, polyvalent.
  • À la différence de la composition française, où l’adjectif suit le substantif, il précède le nom dans la composition savante. Alors que les composés d’origine savante sont contraires à la syntaxe française (servofrein, autostarter, américano-japonais), les composés français respectent l’ordre classique nom + adjectif qualificatif: station pilote, industrie clé, prix plafond, prix plancher, fil conducteur, idée-force, idée-maîtresse, mot-outil, prix choc, visite éclair, cas limite, date-limite, science-fiction.
  • Dans tous les exemples précedents, le second terme, quoique substantif de par son étymologie, est en fait un adjectif de par sa fonction. Ici, on rejoint le modèle de composition allemande, avec cette différence que l’allemand place l’adjectif devant le nom, comme c’est normal dans cette langue, comme dans la plupart des langues germaniques: eine Grosstadt «une métropole», tout comme eine grosse Stadt «une grande ville».
  • Quand le composé français comprend un verbe, ce verbe est normalement à la 3e personne du singulier (ce que Sauvageot appelle «le thème nu»… quel exotisme! Il aurait pu parler de la base lexicale du verbe) et le substantif suivant est son complément d’object direct. Le genre des composés verbe + nom est généralement du masculin: porte-avions, portefeuille, fixe-chaussettes, tire-bouchon, pause-café, fourre-tout, pare-brise, essuie-glace, protège-livre, presse-purée, etc.
  • D’autres sustantifs se forment autrement: le va-et-vient, le laissez-passer, le laissez-faire, le laissez- aller, le savoir-faire, le savoir-vivre, du jamais vu, les laissés-pour-compte, les SDF, les sans-abri, le qu’en-dira-t-on, les on-dits ces derniers toujours du genre masculin.
  • Une porte-fenêtre n’est qu’une exception apparente à la règle générale qui veut le masculin. Ici, porte n’est pas un verbe mais un nom. Ainsi, l’objet dont on parle est en même temps une porte et une fenêtre. D’autres diraient une porte coulissante ou une porte-patio, sinon une porte française. Pour les mini-fourgonnettes, on dira plutôt portes ou portières coulissantes.
  • Les adjectifs composés le sont par simple juxtaposition (dictionnaire français-allemand, baccalauréat latin-grec) et certains de ces adjectifs peuvent fonctionner aussi comme substantifs: le clair-obscur, le doux-amer, le gris-vert, le bleu azur, le bleu marin.
  • Ensuite, l’auteur ouvre une longue parenthèse sur l’allemand, le finnois, le hongrois et les langues scandinaves, pour affirmer en fin de parcours qu’une bonne partie des mots composés de ces langues ne sont que des calques (ou décalques) de termes d’origine allemande. L’allemand, quant à lui, aurait remplacé certains emprunts effectués à d’autres langues par des termes germaniques transparents et motivés, comme Satzlehre «syntaxe»,Vorrecht «privilège», Ohrring «boucle d’oreille», Lichtbild «photographie», Klassenkampf «lutte des classes», Sprachwissenschaft «linguistique», Sauerkraut «choucroûte», littéralement «chou aigre».
  • Si la composition savante est bien vivante en français (surtout dans les domaines médicaux et technologiques), la pratique courante réduit beaucoup de ces composés — polysyllabiques à outrance — à une ou deux syllabes, ce qui représente une importante économie d’efforts. En même temps, elle ramène les termes savants aux patrons syllabiques dominants chez les mots évolués naturellement dans la bouche des parlants français (chose, ami-e, main, tête, épaule). Trouvez donc la forme longue des mots tronqués suivants: auto, voiture, radio, pneumo, télé, car, bus, doc, omni, photo, chiro, phono, cardio, laparo, audio, vidéo, stéréo, ciné.
  • Sauvageot conclut que le procédé de fabrication de nouveaux mots par la composition authentique ne concerne en français que la langue savante, parce que le français est incapable de construire de vrais mots composés par la simple juxtaposition, comme c’est le cas de l’allemand. Ainsi, le français dit chemin de fer, là où l’allemand préfère Eisenbahn «fer-chemin, iron road», maison de pierre à la place de Steinhaus «pierre-maison, stone house». Il a tort, comme on le verra plus loin…
  • Même si c’est vrai qu’autoroute et autostrade sont des décalques du terme d’origine allemande, c.-à-d. Autobahn, il n’est pas moins vrai qu’autoroute, autostrade cadrent parfaitement avec le modèle de composition savante (téléphone, téléscope, astronaute, bibliothèque etc.).
  • Quant à la notion que la composition dite «française» n’est pas productive, il serait facile de prouver le contraire. Amusons-nous à inventer des séries telles que: pomme de terre, pomme de l’air, pomme-pomme, pomme de mer, pomme de discorde, pomme d’harmonie, pomme de péché, pomme d’Adam, pomme d’escalier, pomme de porte…; l’armée de terre, l’armée de l’air, l’armée de mer, l’armée du cosmos, l’armée du Salut, l’armée rouge, l’armée des anges, l’armée des moustiques, l’armée de Lucifer… Certaines de ces formules sont imaginaires (et faciles à imaginer), d’autres sont déjà lexicalisés et consignés dans les dictionnaires.
  • Faut-il croire que la liste de type porte-avions, portefeuille, fixe-chaussettes, tire-bouchon, pause-café, fourre-tout, pare-brise, essuie-glace, protège-livre, presse-purée est définitivement fermée?
  • Faut-il imaginer que la simple juxtaposition de termes est impossible pour les francophones, pour qui ne font aucun problème des mots de type station pilote, industrie clé, prix plafond, prix plancher, fil conducteur, idée-force, idée-maîtresse, mot-outil, prix choc, visite éclair, cas limite, science-fiction?
  • Dire que seule la composition savante (gréco-latine) est vivante et productive en français ne résume pas toute la vérité. Vouloir limiter les procédés de néologie à la seule composition savante, c’est favoriser indirectement l’emprunt à d’autres langues… et surtout le recours à l’anglais, langue de la mondialisation mondialisante, langue du capitalisme capitalisant, langue de la liberté anarchisante.
  • N’oublions pas que le latin est mort parce que des savants savantissimes l’avaient rendu si «pur et dur» que les simples mortels ne pouvaient plus le maîtriser suffisamment pour  s’en servir dans leurs communications quotidiennes.
  • Ce n’est pas en restreignant les processus de dérivation et composition qu’on rend une langue plus vivante!

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