portrait-genre-et-sexe

Notes du cours AS/FR 3130 6.0: Sémantique et lexicologie du français / French Semantics and Lexicology

Notes sur Aurélien Sauvageot, Portrait du vocabulaire français, «Genre et sexe» (163-174)
Résumé:

  • D’abord, il faut distinguer les termes: le genre est un concept grammatical, alors que le sexe est un terme biologique et reproductif. On parle donc du genre des substantifs et de leurs dépendants (déterminants, adjectifs, substituts), mais du sexe des êtres vivants.
  • Quant aux participes verbaux, écrit-e-s, finissant-e-s, qui s’accordent en genre et en nombre, ce ne sont pas de vrais participes mais des adjectifs ou bien des noms, selon leur fonction grammaticale, p. ex., les écrits, les finissants, une francisante, les parties prenantes, poste restante, un thé dansant. Les vrais participes verbaux ne présentent jamais cet accord (étant donné que, vu que, en chantant, voulant arriver à temps…, etc).
  • Chez les pronoms personnels, le genre est toujours neutralisé au pluriel (nous, vous, ils) — à quoi bon préciser le genre d’une pluralité de personnes? — et elle n’est pas indiqué aux personnes je et tu (pronoms qui désignent des locuteurs dont le sexe est parfaitement évident en situation de communication). Il reste la 3e personne, qui fait référence à une ou plusieurs personne(s) en dehors de la situation de communication, peut-être même à des personnes absentes: il vs.elle, ils vs.elles. Et encore, le FQ populaire limite cette opposition au singulier. Au pluriel, dans l’usage naturel qu’on fait du FQ, ils [i] «they» domine au dépens de elles [a] ou [al]. Influence anglaise? Loin d’être certain!
  • En plus, le pronom «indéfini» on (m. ou f.?, sg. on pl.?) fait abstraction du genre et neutralise le nombre: on y va (= toi et moi, tout le monde, n’importe qui, toute la bande/gang)? Même remarque pour «l’indéfini» ça, qui n’exprime pas le genre et qui peut indiquer soit le sg. «Ça braille sans arrêt» [= un seul enfant], soit le pl. «Ça braille constamment, les enfants». Nuance évidemment péjorative vis-à-vis de l’indéfini on, qui est plutôt neutre, et qui masque volontairement l’identité du sujet, p. ex., dans Ici on parle français, ou on aime bien ça aller se baigner en été.
  • Même genre de remarques pour tous les déterminants du nom. Bonne distinction de genre au sg., un:une, le:la, mon:ma, ton:sa, son:sa, ce:cette, absence de distinction de genre au pluriel: de(s), les, mes, tes, ses, ces, nos, vos, leurs. Côté déterminants possessifs, le genre est toujours celui du substantif et jamais, à la différence de l’anglais, celui du possesseur: mon cahier, ma voiture. Le genre est non marqué dans les formes où le possesseur est indiqué au pluriel et la chose possédée est exprimée au singulier: notre / votre / leur ami. Nos / vos / leurs amis. Le sexe et/ou le genre du possesseur n’est exprimé ni au singulier ni au pluriel.
  • Devant un nom commençant par une voyelle, le genre est neutralisé au détriment du féminin: mon ouvrage ~ mon école, mon ami ~ mon amie. Cela se fait sans doute pour éviter qu’un hiatus (= VV) ne se produise, p. ex., *ma école, *ma amie. Pareilles formes se résoudraient naturellement en *m’école, *m’amie.
  • Les principales marques de genre résident dans le déterminant, qui accompagne obligatoirement le nom. C’est pour cela que les jeunes francophones apprennent leur langue déterminant et nom ensemble. Cela est vrai même si le substantif porte un suffixe qui signale son genre (vendeuse, cuisinière, actrice, boulangère, maîtresse, maisonnette, garçonnet), même si le nom ou l’adjectif comporte une consonne finale audible, marque orale du genre féminin: belle, vieille, grosse, grande, courte, lourde, brune, blanche.
  • La série d’exemples présentée en pp. 165-166 montre à quel point des mots de forme similaire ou identique peuvent prendre un genre arbitraire, d’où l’obligation de se servir d’un déterminant obligatoire. Ce déterminant aide même à résoudre certains cas d’homonymie: le ou la livre? le ou la voile? le pot ou la peau, un couple ou une couple?
  • En français, la démarcation entre le masculin et le féminin ne coïncide pas toujours avec la distinction naturelle et biologique des sexes. À témoin: une sentinelle, une girafe, une ordonnance, une estafette «cavalier qui livre le courrier», une crapule «individu malhonnête», une canaille «voyou», une grenouille, une fripouille «fam. individu malhonnête, canaille». Dans certaines conditions, un nom masculin peut désigner une femme (un vrai chameau), dans d’autres, c’est un nom au féminin qui désigne un homme: Ah…, la vache! Dire d’un homme qu’il est un boeuf, c’est lui porter un compliment.
  • Dans le domaine des titres, le masculin domine par l’inertie et la force de la tradition: Madame le député, le maire, le gouverneur général, mais cette pratique s’est radicalement transformée depuis 1964, d’abord au Québec, par la suite et avec un certain retard en France. Il y aurait long à dire sur la féminisation des titres, qui reflète le mouvement social pour l’égalité des sexes. À ce sujet, je vous conseille de visiter le site de Marie-Claude Beauchamp de l’Université McGill: «La féminisation des titres et des fonctions». Un autre site qui vaut la visite, c’est celui du gouvernement de l’Ontario et qui traite du même sujet.
  • C’est surtout dans le domaine de la reproduction biologique (milieu agricole), que les distinctions de genre sont utiles et correspondent étroitement à celles du sexe biologique: taureau ~ vache, étalon ~ jument, chien ~ chienne, tigre ~ tigresse. Peu importe que la différence soit lexicale, comme dans le premier exemple, phonétique comme dans le second, ou suffixale comme dans la troisième, le principe reste le même: à distinction biologique de sexe correspond généralement une distinction de genre grammatical, du moins en français et les autres langues romanes.
  • Les animaux qui ne sont pas de la ferme, et qui ne participent pas à la vie agricole ont d’habitude un genre invariable (même s’ils ont les deux sexes): une souris, un rat, une vipère, un escargot, un crapaud, un serpent, une tortue, un hippopotame, un rhinocéros, un alligator. Si l’on tient mordicus à préciser le sexe de la bête, il faut dire un moustique mâle ou femelle, ou encore, sur un ton «bébé», un éléphant «monsieur» ou «madame» ou encore le «monsieur de l’éléphant».
  • En français contemporain, le genre grammatical est surtout arbitraire et sans justification logique ou biologique. Il ne faut pas chercher trop d’explications à l’attribution du genre même si, dans les lointaines origines des langues indo-européennes, le masculin pouvait peut-être exprimer plus de force vitale que le féminin. En quelque sorte, le féminin recevait cette force et s’en servait passivement pour produire et pour nourrir le monde (le soleil vs. la lune, le taureau vs. la vache, le ciel vs. la terre, le jour vs. la nuit). Le soleil fait vivre et fructifier les semences, alors que la lune représente une période de repos nécessaire à la vie, pendant la nuit (f.). C’est de jour (m.), que la vraie force vitale s’exprime: Le taureau fait un travail ardu dans les champs, mais la vache s’amuse à produire du lait et à nourrir les veaux!
  • Vous avez sûrement entendu parler de «vaches sacrées» de la société hindoue, qu’il fallait et qu’il faut encore traiter avec beaucoup de respect…, et des corridas espagnoles, là où l’homme mesure ses forces contre celle du taureau, animal considéré comme l’incarnation des forces de la nature. En réalité, la tauromachie est une pratique pré-chrétienne!

En français, on peut dégager certaines généralités relatives au genre sur le plan formel.

  •  Les noms se terminant par un suffixe reconnaissable ont le genre du suffixe: -ance, -ée, -ment, – (i)té, -ard, -arde, -tion, -age, -ure, -erie, etc.
  • En l’absence de suffixe, les substantifs qui se terminent par une VOYELLE AUDIBLE sont assez souvent du masc., fou, doux, mois, pois, doigt, pied, orteil, bras, alors que ceux qui se termine par une CONSONNE AUDIBLE sont souvent du féminin, verte, blanche, vache, poule, lionne, chatte, chienne, imprimante. Sans pour autant qu’on puisse ériger cette généralité en règle absolue…
  • Sur le plan graphique, on aura vite remarqué que la consonne écrite des masculins se prononce rarement et que la voyelle finale -e des féminins ne se prononce pas non plus (sauf exceptions). Ces lettres sont là pour plaire à l’oeil, les vestiges d’une vieille prononciation datant de la période préclassique du français.
  • Côté recherche, Sauvageot aborde la question de l’incohérence du genre en allemande et en russe, qui ont trois genres: masculin, féminin et «je ne sais pas» (généralement connu sous le nom de «neutre»). Exemples: der Mann (m.), die Frau (f.) et das Kind (n.).
  •  Antoine Meillet avait constaté, concernant le vieux perse, que les qualités abstraites ou intellectuelles (= les idées poussent comme le grain dans les champs cultivés) étaient désignées au moyen de substantifs féminins, les arbres aussi (= fécondité de la nature?). Il est assez plausible que le genre grammatical des langues indo-européennes ait eu ses origines dans le sexe biologique, surtout dans une société qui prêtait attention aux conditions favorisant l’agriculture, la domestication et l’élevage des animaux. Cette distinction ne s’appliquait peut-être pas à tous les êtres, objets et concepts sans exception. Les termes qui étaient sans rapports évidents avec la reproduction biologique ou la vie vécue étaient du neutre, catégorie «fourre-tout» où l’on rangeait les substantifs «sans genre».
  •  Les mots qui avait un genre étaient sans doute des êtres vivants, ensuite des objets et des concepts conçus comme «animés» (soleil, lune, étoiles, feu, eau, air, terre), polarisation qui permettait de laisser beaucoup de substantifs sans marque de genre, donc «neutres», comme c’était bien le cas du latin et grec anciens, et comme c’est toujours le cas en allemand et en russe. Les langues romanes ont radicalement simplifié cette situation, éliminant complètement la catégorie «neutre», le genre «je ne sais pas» ou «sans importance», ce qui fait que, de nos jours, tous les substantifs sont ou bien masculins ou bien féminins dans ces langues et la catégorie «je ne sais pas» a été éliminée.
  • Certaines langues qui ne sont pas de la famille indo-européenne n’ont pas le genre grammatical: esquimau, inuit, langues mélanésiennes, une partie des langues amérindiennes, les langues samoyèdes, tongous, d’autres langues dites «paléosiériennes (youkaghir, guiliak, tchouktchi, koryak, kamtchadal), une partie des langues africaines, sans oublier l’anglais!
  • En français, le genre des mots est fixe et offre rarement de choix véritable au locuteur. Difficile, en fait, de trouver des paires comme: un orgue (m.) ~ les grandes orgues (f.), un délice ~ mes plus chères délices (f.), les gens (m.) ~ les bonnes gens (f.). Il faut conclure que, en dehors du sexe biologique, le genre est totalement arbitraire en français contemporain. Sa fonction est avant tout syntaxique; si le genre persiste, c’est surtout parce qu’il assure la cohésion des membres du groupe nominal: [Sa chère petite amie Stéphanie, blonde comme de l’or] grande comme une amazone, est partie sans que la famille s’en rende compte.

Retour au début / Back to top