Notes du cours AS/FR 3130 6.0: Sémantique et lexicologie du français / French Semantics and Lexicology
Notes sur Aurélien Sauvageot, Portrait du vocabulaire français, «Le vocabulaire d’emprunt» (Kit, 224-233)
Résumé:
- La prononciation des mots d’emprunt est influencée à la fois par leur forme écrite et par la phonétique du français. Grâce à la radiodiffusion, la télévision et le cinéma, il se peut que les mots d’origine anglaise soient de plus en plus adaptés aux habitudes de prononciation française.
- Au Québec, par contre, bien prononcer les mots d’origine anglaise signale son intelligence et son haut niveau d’instruction. En même temps, prononcer à l’anglaise les mots d’origine anglaise sert à marquer ces termes comme des éléments «étrangers».
- En France, les mots anglais en -ing subissent trois traitements: prononciation à l’anglaise (dancing m.) ou adaptée à la française (*dancine), prononciation influencée par la graphie meeting m. > *métingue. Au Québec, seuls les emprunts les plus anciens reflètent une prononciation bien adaptée aux habitudes indigènes, p. ex., poutine f. < pudding.
- Sauvageot range les emprunts en deux catégories: les emprunts nécessaires et les emprunts superflus. Les termes de la première catégorie désignent des réalités ou concepts inconnus jusque-là, majoritairement des termes reliés à la technologie. En général, il approuve ce type d’emprunts. Citez-en un autre exemple…
- Parfois, les locuteurs réagissent contre l’opacité ou la surcharge mémorielle imposée par certains termes d’emprunt. Dans ce cas, on cherche à les remplacer par des mots du cru: walkman > baladeur, data processing > traitement des données, word processing > traitement de textes. Citez un autre exemple.
- Certaines langues préfèrent naturaliser les termes étrangers. Comparez, p. ex., fr. football avec all. Fussball, russe futbol’ et hongrois futball. Pour S., le terme football est superflu (= superfétatoire, selon lui) en français, parce qu’on aurait très bien pu dire balle au pied. Il passe à côté de ce qui est évident: la terminologie française des sports anglo-américains est massivement d’origine anglo-américaine et reflète le prestige (commercial et compétitif) de l’anglo-américain dans le domaine des sports.
- De fait, l’emprunt n’est pas une question naïve du nécessaire et du superflu; sur le plan symbolique, il représente la supériorité culturelle ou l’avance technologique d’une société vis-à-vis d’une autre. Le geste d’emprunter à une langue étrangère, c’est du coup reconnaître cette supériorité ou cette avance. Refuser l’emprunt, c’est en même temps refuser l’évolution culturelle et technologique qui est en train de transformer le monde.
- Les emprunts reliés à la technologie mis de côté, on pourrait dire que pratiquement tous les emprunts à l’anglais ne sont pas nécessaires et pourraient facilement être éliminés, parce qu’il est toujours possible de leur trouver un équivalent d’origine française: weekend > fin de semaine, feeder de pétrole > conduite de pétrole, living-room > salon, check-up > mise au point ou visite médicale.
- Tout de même, certains emprunts rendent service parce qu’ils permettent d’ajouter une nouvelle nuance à la langue: un ersatz n’est ni un surrogat, ni un produit de remplacement, ni une imitation ou une contrefaçon. Demander où se trouvent les cabinets (ou encore les toilettes) paraît plus choquant que de s’informer où sont les W.C. (fam. ou pop. les vécés ou les watères) et fait plus sérieux que de chercher le petit coin. Somme toute, l’auteur ne voit l’emprunt d’un oeil favorable que lorsqu’il comble une lacune réelle ou ajoute une nuance utile à la langue.
- De plus, S. est favorable aux emprunts effectués au latin, dans la mesure où le français vient de cette source et que les emprunts au latin constituent la plus grande partie du vocabulaire savant en français. On en a toujours fait et on continue à en faire, p. ex., insolation pour ensoleillement, nébulosité pour ennuagement, superfétatoire pour superflu, vocable ou lexème pour mot. Cela donne un certain cachet à l’expression et peut même faire croire aux naïfs qu’on parle en termes nuancés, précis et scientifiques.
- L’emprunt au grec ne fait qu’élargir le domaine de l’emprunt savant, puisque la langue latine a été profondément influencée par la langue grecque (pneumonie, pneumatique, phtisie, phtonguème, lexème, lexical, lexicaliser). La culture occidentale des derniers 2000 ans et plus nous vient de Grèce et Rome, par l’intermédiaire surtout de l’Italie et la France.
- L’acceptation (ou la tolérance) traditionnelle qu’on manifeste envers les emprunts d’origine latino-grecque tient du fait que la plupart de ces termes savants comblent des lacunes conceptuelles. Peu importe que la prononciation des mots savants introduise des traits phonétiques contraires à celles de la prononciation française (vestimentaire, pneumatique, xylophone, intervalle, extra muros); on les utilise sans difficulté.
- Selon l’auteur, la réimplantation sans cesse renouvelée de mots latins en français fait que la plus grande partie du lexique actuel de la langue est constitué par l’apport latin. Toujours selon lui (p. 230), des 1,000 mots français les plus fréquents, 160 sont des emprunts à la langue latine.
- S. trouve les emprunts sémantiques (= emprunts de sens) «insidieux». Il n’aime pas beaucoup qu’on ajoute un nouveau sens à un mot français existant. À ce titre, il cite l’exemple de l’allemand Kultur «développement intellectuel et artistique», sens qui s’ajouterait au mot d’origine latine culture. Peu importe que le mot allemand Kultur est également d’origine latine! Dans la même veine, l’auteur n’aime pas que les mots français réaliser «rendre réel» et opportunité «circonstance ou occasion propice» prennent les sens anglais «realize» et «opportunity».
- À la place des emprunts directs de forme et de sens, S. se fait le champion du décalque, procédé qui consiste à reconstruire un terme étranger en se servant d’éléments français. Exemples: Mehrwert > plus-value (= valeur ajoutée, comme dans la TVA ou la TPS), Übermensch > surhomme, tracking radar > radar de poursuite.
- Chose intéressante, les termes que S. voudrait traiter de cette façon sont pratiquement tous d’origine germanique (= anglaise ou allemande), donc non romane. Pourquoi ce traitement spécial accordé aux mots d’origine germanique?
- Est-ce à cause de leur non motivation (sur le plan sémantique, ces termes sont plus opaques que transparents)?
- Est-ce refuser l’idée que les innovations technologiques et culturelles puissent venir de sources autres que françaises? Question de racisme?
- Ou bien, l’attitude de Sauvageot révèle-t-elle un profond parti pris pour la tradition française…, qui est le prolongement naturel de la tradition latino-grecque, malheureusement en perte de vitesse depuis la Révolution de 1789?
- Conclusions: Les différentes modalités d’emprunt, de décalque et de traduction servent à enrichir le vocabulaire français et à fournir plus de précision et nuance aux moyens d’expression. En principe donc, l’emprunt est un phénomène positif. Mais il n’est pas systématique. L’étude de l’emprunt révèle qu’une langue se construit de pièces et de morceaux. Certains de ces pièces et morceaux viennent d’un fonds imposé par la tradition historico-culturel, alors que d’autres sont importés de l’étranger, au gré des innovations culturelles, technologiques, commerciales et autres.
- L’auteur semble particulièrement mal à l’aise devant les emprunts aux langues germaniques. Selon lui, il faudrait intervenir pour remplacer pratiquement tous les mots anglais et allemands par des termes d’origine française.
- Il reste que l’évolution linguistique naturelle se fait plus rapidement que l’intervention artificielle des censeurs de la langue. Par ailleurs l’évolution de toute langue reflète son évolution sociohistorique. Il n’est donc pas surprenant que la langue française soit appelée à exprimer toutes sortes de concepts…, sociologiques, économiques, religieuses, idéologiques, technologiques et culturelles, ces dernières s’avérant impossibles à canaliser dans une société libre et démocratique.