Notes du cours AS/FR 2100 6.0: Initiation à la description linguistique du français / Introduction to the Linguistic Study of French
Semaine du 29 mars
Chapitre 20: De la sémantique de la phrase à la pragmatique
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Dans ce chapitre, on traite de facteurs qui dépassent la phonologie, la morphologie, la syntaxe, la lexicologie et la sémantique.
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Verset 1: Du mot à la phrase et au contexte
Grâce à la première série d’exemples, nous voyons que le sens du mot glace est déterminé par son contexte linguistique, par son environnement immédiat. Dans la seconde série d’exemples, nous avons affaire plutôt à des implications, des sens implicites. Comme l’ont très bien montré les auteurs, la phrase J’aurais dû prendre mon pull-over présente au moins cinq interprétations différentes selon le contexte discursif et situationnel.
Verset 2: La présupposition et le présupposé
- La présupposition est d’ordre syntaxique. La présupposition est une question de pure forme. Dire le… présuppose qu’il suivra un substantif de genre masculin. Dire ma… présuppose …. Tu présuppose qu’il s’ensuivra un verbe, p. ex., Tu sais? Dire à… laisse comprendre qu’il suivra un GN, soit: à 9H du soir. Dire euh... fait comprendre qu’on compte continuer à parler et qu’on veut conserver l’initiative de la parole.
- Par contre, le présupposé est une notion de sémantique, abstraite. Si je dis, j’ai arrêté de fumer, l’énoncé présuppose que a) je fumais avant et b) il y avait une raison pour que j’arrête.
Verset 3: Les présupposés lexicaux et grammaticaux.
Le présupposé lexical dépend d’un lexème particulier. Exemples:
- Paul continue à raconter des conneries! (continue suggère qu’il en a déjà raconté, même que c’est une habitude chez lui)
- Tu es toujours de mauvaise humeur, toi! (toujours suggère que c’est un trait de caractère durable ou permanent)
- Céline Dion chante encore! (encore suggère qu’elle a déjà chanté au moins une fois ce soir, ou bien qu’on a crié «Bis!», ou peut-être qu’on ne veut plus l’entendre chanter)
Le présupposé grammatical dépend d’un morphème lié ou d’une structure syntaxique, comme on le voit dans les exemples cité en 3):
- le morphème lié re- suppose la répétition ou la reprise: Paul repeint sa maison.
- Le superlatif crée des présupposés…. Charles est arrivé le dernier (présupposé: d’autres sont venus avant lui)
- Le comparatif suppose une qualité commune, partagée… Céline est plus intelligente qu’Angèle (présupposé: les deux sont intelligentes mais pas au même point)
- Les questions supposent un contexte connu ou sous-entendu… Où as-tu mis le cadavre? (présupposés: le cadavre existe, on l’a caché, c’est toi qui l’as fait, il y a eu un crime, ou bien ce sont des employés de cimetière ou d’école de médecine)
- Le dernier exemple est moins convaincant. Changeons un peu l’exemple.
Le posé: Notre compagnie a besoin d’un nouveau PDG.
Les présupposés possibles: a) les affaires vont plutôt mal dans l’entreprise ou b) on va remercier le PDG de ses précieux services et lui montrer la porte ou c) on trouve le directeur incompétent (ou trop «absent» ou bien qu’il passe ses grandes journées à picoler dans les bars), ou d) qu’il nous a déjà quittés pour un meilleur emploi ailleurs, ou encore e) qu’il vient de mourir (pour avoir travaillé trop dur, bien entendu!).
Verset 4: De la phrase au discours
La phrase est imbriquée dans un contexte plus large, le discours. Le discours est l’ensemble des phrases qui constitue un texte (oral ou écrit). C’est le discours total ( + le contexte situationnel) qui donne à la phrase tout son sens et toutes ses implications. Exemple:
Dans Jules César: «Et Brutus est un homme honnête…».
(sens ironique parce qu’on a d’autres informations sur le caractère de Brutus); ces infos viennent du discours total de la pièce de Shakespeare).
Verset 5: Les relations sémantiques externes
Il arrive que les relations sémantiques ne soient pas signalées par des connecteurs syntaxiques, comme dans une phrase écrite classique du type:
Puisque c’est dimanche et qu’il fait beau, je sors, car j’en ai besoin.
En langue parlée, les liens logiques peuvent être suggérés par la simple juxtaposition des syntagmes avec l’appui de la prosodie (= l’intonation):
C’est dimanche. Il fait beau. Je sors. J’en ai besoin.
Verset 6: Les relations sémantiques internes: argumentation et régulation du discours
On a affaire ici à la classe de termes appelés connecteurs. Ces connecteurs peuvent jouent un rôle argumentatif en ce sens qu’il soulignent les rapports logiques entre différentes parties du discours. Exemples:
Je pense, donc je suis! (conséquence)
Cela dit, je ne pense pas souvent (concession)
Tu peux boire tout ce que tu veux, mais ne viens pas te plaindre demain (par exemple)! (restriction ou mise en garde)
Si tu continues à fumer, tu vas mourir! (Si…, condition et conséquence)
Ou bien tu vas rester ou bien tu vas partir (ou bien marque une alternative)
Non seulement qu’on a été à SeaWorld,mais encore qu’on a vu Shamu! (annonce un élargissement discursif)
Bref, c’est tout ce que j’ai à dire sur l’argumentation (bref annonce la conclusion)
Régulation du discours: D’autres connecteurs ne jouent pas un rôle logique ou argumentatif mais servent plutôt à rythmer le discours. Ces connecteurs fonctionnent comme des «virgules», des pauses qu’on remplit de mots relativement vides de sens pour…
- annoncer qu’on va ouvrir son discours: Bon ben mes amis…, il est 11H30… Alors, qu’est-ce qu’on fait ce matin…, Et bien, on arrive au dernier chapitre…
- qu’on ferme son discours: Je n’aime pas Mike… un point c’est tout! on a fini… bon! Mon Jules est un beau mec, rien à dire!
- qu’on se donne le temps de réfléchir (ou bien qu’on n’a pas assez réfléchi avant d’ouvrir la bouche: Voyons voir…, aujourd’hui, euh…,on va étudier… je crois, la régulation du discours, n’est-ce pas, c’est ça qu’on allait faire si j’ai bonne mémoire, ah oui, ah oui, c’est bien ça, la régulation du discours…, bon alors, on y va!
- qu’on vérifie l’attention de son interlocuteur: Marie vient de se marier, tu sais…; Les isotopies sont des réseaux de sens, n’est-ce pas?On n’a pas d’argent pour jeter en l’air, tu comprends?
- qu’on est fatigué ou exaspéré: wouf…, qu’est-ce que tu veux maintenant? (au cinéma, à des gens mal élevés): Taisez-vous à la fin!
- qu’on veut en venir à l’essentiel: Mais enfin, qu’est-ce que tu veux dire par là?
- pour marquer son intérêt: Ah oui? Raconte-moi donc ça!
- ou pour souligner son manque d’intérêt: Ouais, ouais, ouais…, je le savais déjà!
Verset 7: L’argumentation déguisée
Comment cacher, déguiser, ou mitiger un jugement, un point de vue, ou une conclusion?
- Par la nominalisation: Au lieu d’assumer la responsibilité de sa propre opinion (= la prise en charge) comme dans la phrase:
Monica et Bill se sont conduits d’une façon tout à fait scandaleuse!
(énoncé qui vous invite à adopter le point de vue contraire), on présente l’idée comme si c’était un simple fait, une constatation objective:
- La conduite scandaleuse de Monica et Bill a profondément choqué le public américain. (Qui est ce «public américain» au juste? Tous les Américains? Les Républicains? La «moral majority»? Les gens qui se choquent facilement?) Et qui a décidé que le choc était «profond»?
- Présenter son accusation sous une forme indirecte:
- Avez-vous arrêté de battre votre femme? Quelle est l’accusation implicite?
- Ou bien en transformant un cas particulier en généralité.
- Je déplore le fait que Louis abuse (de) sa femme.
- L’abus de la femme n’est jamais une chose admirable.
Verset 8: L’énonciation
La question pertinente: à quel point sent-on la présence directe de l’énonciateur? (ici, dans un contexte publicitaire ou radiophonique)
Comportement allocutif: l’énonciateur est présent, vous parle directement et sollicite votre attention: – Do you speak English? – Non…? Alors BERLITZ!
Comportement élocutif: l’enonciateur est présent et parle, mais pas nécessairement à vous: Vigoureux, Savoureux, Étonnant! COINTREAU!
Comportement délocutif: l’énonciateur s’efface au point même de disparaître: 108 Peugeot. Des qualités confirmées.
Verset 9: La pragmatique
Domaine qui traite de toute manifestation de sens qui échappe à la morphologie, à la syntaxe, à la lexicologie ou à la sémantique. Ainsi, la pragmatique prend en considération nos connaissances extralinguistiques et socioculturelles, nos réactions subjectives, nos croyances personnelles, etc.
Exemple 1:
Ford of Canada: «The competition is 100% behind us!»
- Nos connaissances préalables:
- Ford construit des véhicules motorisés de toutes sortes
- On sait que chez Ford, «Quality is Job #1»
- Ford est une entreprise compétitive et cherche à vendre son produit
- Il s’agit d’un slogan publicitaire
- Il y a un jeu de mots dans le slogan
- Ford ne dira rien de défavorable pour Ford, donc…
- Donc, il faut comprendre, non pas que la compétition épaule Ford à 100%, mais qu’elle traîne loin derrière Ford sur tous les plans…
Exemple 2:
«Creemore Springs: 100 years behind the times!»
- Nos connaissons préalables:
- Creemore Springs est une micro-brasserie.
- Sa bière est de très haute qualité
- Et brassée en quantité limitée sans agents de conservation
- Comme dans le bon vieux temps…
- et que tout ce qui se faisait il y a 100 ans était d’excellente qualité
- parce que les gens y mettait tout le temps nécessaire,
- pas comme aujourd’hui quand tout se fait vite et mal…
- comme chez nos compétiteurs, par exemple!
Verset 10: L’explicite et l’implicite
Ce qu’on dit explicitement n’est pas toujours ce qu’on communique implicitement. Ainsi, dire: «J’ai froid!» peut signifier:
- «Je veux que tu fermes la fenêtre»
- «Passe-moi mon pull!»
- «Mets du bois dans le poêle!»
- «Rajuste le thermostat!»
Question: Les réponses et réactions suivantes sont inappropriées. Pourquoi?
- Veux-tu répondre au téléphone? – Non, je ne veux pas!
- Où est le sel? – Dans la salière!
- Où sont mes chaussettes? – Dans le tiroir.
- Veux-tu me passer le sel? – Certainement! (mais sans rien faire)
- Est-ce que cela vous ennuierait de me passer le sel? – Oui, cela m’ennuierait terriblement!
- Prière de tenir les chiens en laisse. – On n’a pas besoin de prières dans un parc public!
Verset 11: Les actes de parole
- acte locutoire: énoncé ou constatation neutre: on est mardi aujourd’hui
- acte propositionnel: on fournit une information ou un commentaire sur un référent: ce tableau nous a coûté une petite fortune
- acte illocutoire: on formule une opinion ou un jugement par rapport à un énoncé: Michel, arrête de nous raconter des bêtises!
- acte perlocutoire: le locuteur essaie d’influencer le comportement de son interlocuteur: Veux-tu m’aider à étudier ce soir?
Verset 12: Les actes illocutoires
Parmi les intentions du locuteur par rapport à son énoncé, on distingue:
- la simple affirmation (force d’assertion): J’aime le vin rouge Magnotta.
- une promesse ou un engagement, généralement explicite (force commissive): Je promets de t’acheter du vin rouge Magnotta!
- le désir d’influencer le comportement de quelqu’un (force directive): Je te prie de m’acheter du vin rouge. Achètes-moi du vin rouge! Du vin rouge!
- le questionnement (force interrogative): Je voudrais bien savoir si tu vas m’acheter du vin rouge? Vas-tu m’acheter du vin rouge?
- l’expression d’une émotion, d’un sentiment (force expressive): Ma foi que j’aime le vin rouge! Ah… le bon vin rouge… que j’adore ça!C’est écoeurant comme j’aime le vin rouge! Comme j’aime le vin rouge!
Exception faite de la première catégorie (assertion) qui se distingue surtout par l’absence de marqueurs, il est relativement facile d’identifier les marqueurs des différents actes illocutoires, soit:
- des éléments du lexique, p. ex., les verbes promettre, s’engager, assurer (= force commissive)
- des éléments de syntaxe et de lexique, p. ex., Ma foi que…, Bon Dieu que…, C’est écoeurant comme… (= force expressive)
- des éléments de syntaxe, p. ex., Veux-tu bien… (inversion), Je voudrais bien savoir (conditionnel de politesse) (= force interrogative)
- des courbes intonatives. Cf. par exemple, Tu serais gentille de m’acheter du vin rouge avec Veux-tu bien m’acheter du vin rouge? et avec Du vin rouge que j’ai dit! (= force directive)
Les verbes dits performatifs engagent le locuteur à faire ce qu’il promet de faire: promettre, s’engager, assurer
Verset 13: L’acte perlocutoire
Il s’agit de différentes façons d’influencer le comportement de son interlocuteur. Les phrases a) et b) expriment une condition ou d’une hypothèse introduite par le marqueur si, suivie d’une conséquence (après la virgule).
- L’acte perlocutoire peut être subtil, comme on le voit dans l’exemple du mari-stéréotype qui entre dans la cuisine fatigué mort après sa longue journée de travail et s’exclame: Il est huit heures déjà! (Interprétation: Où est mon dîner?) et sa bonne femme qui enchaîne: Ben, tu peux toujours aller au restaurant! (Interprétation: Si tu n’es pas content…..??)
- Pour apprécier pleinement le sens de tels énoncés, il faut connaître les personnes en présence, leur culture, leurs intentions, leur caractère, leur sincérité, leur sens de l’humour, etc.
Et voici pour terminer…, les questions que nous aborderons en salle de classe:
D’abord, en p. 200, les Questions 2, 7, 9 et ensuite…
- J’aurais dû prendre mon pull-over présente différentes interprétations selon le contexte discursif ou situationnel. Formulez la liste des interprétations possibles.
- Donnez les présupposés possibles des phrases suivantes (en imaginant les situations auxquelles ils correspondent:
- J’ai besoin de repos.
- J’ai eu chaud.
- On cherche un nouveau PDG.
Formulez une nouvelle série d’énoncés par juxtaposition, selon le modèle suivant: C’est dimanche. Il fait beau. Je sors. J’en ai besoin.Ensuite, ajoutez à votre série d’énoncés des connecteurs (logiques ou argumentatifs lorsque c’est possible)
Donnez aux connecteurs suivants un contexte linguistique naturel. Ensuite commentez leur rôle argumentatif ou autre dans le discours: si, ainsi, tout de même, bof, woup(s), tu comprends, car, avant que, car, euh…, bon ben, ça y est. Ajoutez au moins trois autres termes à la liste.
Donnez aux connecteurs suivants un contexte linguistique naturel. Ensuite commentez leur rôle argumentatif ou autre dans le discours:Ah oui?, Ah non!, ou bien, par contre, non seulement… mais encore, bref, un point c’est tout. Ajoutez au moins trois autres termes à la liste.
À l’exemple de la phrase suivante…
- La conduite scandaleuse de Monica et Bill a profondément choqué le public américain.
… Formulez une nouvelle phrase où vous cherchez à déguiser, mitiger ou adoucir votre opinion ou point de vue. Suggestion: Commencez par une idée forte, exagérée, ou négative.
Identifiez des présupposés associés aux phrases suivantes:
- Paul continue à raconter des bêtises!
- Tu es toujours de mauvaise humeur, toi!
- Céline Dion chante mieux!
- Paul recommence sa vie.
- Charles arrive toujours le dernier
- Céline est moins abordable qu’Angèle
Au choix, illustrez par un exemple approprié les catégories suivantes:
- acte perlocutoire avec force d’assertion
- acte perlocutoire avec force commissive
- acte perlocutoire avec force directive
- acte perlocutoire avec force interrogative
- acte perlocutoire avec force expressive
Formulez une ou deux phrases qui contiennent un message oblique, caché, ou implicite (verset 10).
Qu’est-ce que la pragmatique (verset 9)?
Puis voilà, ça y est, c’est terminé! Du moins, pour ce qui est du contenu…