Notes du cours AS/FR 2100 6.0: Initiation à la description linguistique du français / Introduction to the Linguistic Study of French
Semaine du 15 mars
Chapitre 18: L’analyse sémantique
Questions: Répondez, s.v.p, aux questions 5, 9 et 11
Nota bene (terme savant): J’ai passé beaucoup de temps cette semaine en compagnie de médecins et de copies de votre examen. Ainsi, je traîne un peu de la patte. Le reste des notes sur le chapitre 18 suivra dimanche, le soir au grand plus tard.
Commentaire: Jusqu’à présent, le cours 2100 a présenté une progression du plus concret et superficiel (= les sons, la matière phonétique) vers le plus abstrait et profond (= le sens, la matière signifiante).
Entre ces extrémités, nous avons étudié:
- la phonologie (= les 36 sons qui comptent, les phonèmes qui font partie du système)
- la morphologie (= les formes qui portent l’essentiel de la grammaire française)
- la lexicologie (= l’étude, trop rapide, de la structure du lexique et des relations entre le lexique et la morphologie)
- la syntaxe (= structures et transformations de la phrase française, phrases ambiguës, phrases acceptables ~ inacceptables, phrases impossibles)
Ce que nous avons été laissé de côté, avec regret:
- l’histoire de la langue (le français a évolué avec le passage des siècles)
- la variation régionale (les francophones ne parlent pas tous de la même façon; pensez aux Québécois, par exemple)
- la variation sociale (conditionnée par des facteurs d’âge, de classe sociale, de sexe, de profession, d’idéologie)
Verset 1: L’analyse sémantique, c’est l’étude du sens des énoncés. Le sens d’un terme se définit à trois niveaux: le sens linguistique (ou le sens strict d’un terme) qui est le noyau dur de la signification, généralement reconnu et compris de tout le monde. Ainsi, p. ex., on peut définir le mot livre de façon à ce que tout le monde le comprenne, mais….
Dès que le terme est mis en contexte, son sens peut changer selon son environnement, selon son contexte linguistique, p. ex.,
J’ai lu 36 livres ce weekend (= «books»).
J’ai acheté 36 livres de sucre (= «pounds»).
Les comptables tiennent leurs livres à jour (= «accounts»).
En Angleterre, on paie en livres puis en shillings, puis en pence (unités monétaires).
Là-bas, le sucre coûte 3 livres la livre (unité de mesure).
Dans ce cas, on parle du sens contextuel.
Finalement, le sens situationnel, qui se référe aux circonstances qui accompagnent l’acte de communication. Soit le mot glace:
Mme de Pompadour se regardaient dans la glace (= dans son boudoir)
Veux-tu prendre une glace? (= devant un vendeur de crème glacée)
La glace est-elle bonne ce soir? (= au Centre Air Canada)
Veux-tu de la glace? (= on sert du Pepsi, la boisson préférée des Yorkais)
Il y en a qui prétendent que le mot isolé n’a pas de sens, le français étant une langue qui mise beaucoup sur le contexte linguistique et le contexte situationnel pour obtenir de la précision sémantique. Ce point de vue est tout de même exagéré.
Verset 2: La signification linguistique est une relation entre le signifiant (forme sonore, forme morphologique) et le signifié («concept, idée, sens»). En général, c’est ça qu’on trouve dans un dictionnaire, un signifiant (= la forme concrète du terme) suivi de son signifié (= la définition du terme), ex., Arbre [aRbR] (=signifiant) «Plante dont la tige, ou tronc, chargée de branches, etc., etc.»
Verset 3: Le signe linguistique. Les linguistes, pour leur part, embrassent une définition (le fameux triangle d’Ogden and Richards) qui souligne la relation tripartite entre:
le signifiant: la forme sonore ou écrite [wazo]oiseau
le signifié: son sens «être animé pourvu d’ailes»
le référent: l’objet tel qu’il existe dans la nature ou dans la réalité extérieure à la langue.
La langue est suffisamment abstraite pour qu’on n’ait pas besoin de l’objet concret devant soi pour qu’on puisse en parler, ou en penser… Pour cette raison, je n’ai pas apporté d’oiseau en classe aujourd’hui. Pour la même raison, on peut parler de choses qui n’existent pas, ou dont on doute de l’existence, les sorcières et le diable, par exemple.
Verset 4: Le signe linguistique et son sens contextuel. Le sens propre d’un mot cède facilement à des sens figurés, imagés ou métaphoriques, comme on le voit dans la série suivante, où tous les sens sont dérivés métaphoriquement. Normalement, c’est le contexte linguistique (= l’entourage linguistique, l’axe syntagmatique ou horizontal) qui permet d’attribuer à canard un sens précis.
canard 1) «oiseau palmipède» L’hiver, on chasse le canard dans les marais.
canard 2) «la chair du canard» Ce soir, on mange du canard à l’orange!
canard 3) «fausse note» Woups, Pavarotti a fait un canard!
canard 4) «fausse nouvelle» Savais-tu que les politiciens lancent des canards?
canard 5) «morceau d sucre trempé dans une liqueur» Je prends trois canards avec mon café.
canard 6) «journal» J’ai lu tout ça dans «Le canard enchaîné»
canard 7) «bouilloire» Il est temps de remplir le canard, on veut du thé!
canard 8) «produit de nettoyage» N’oublie pas d’acheter un canard de toilette.
Connaissez-vous d’autres exemples d’extensions de sens?
Verset 5: La valeur. Ici, on parle de nuances de sens plus fines. Le sens d’un mot dépend aussi de son opposition à d’autres termes (synonymes ou antonymes) qui constitue une liste ou un paradigme. Exemples:
Ce matin, le prof a l’air triste (son chat serait-il mort?)
Ce matin, le prof a l’air morne (il n’a pas bien dormi, il manque de vivacité)
Ce matin, le prof a l’air sombre (on l’accuse d’avoir tué son chat?)
Ce matin, le prof a l’air lugubre (il est profondément déprimé)
Ce matin, le prof a l’air content (il est très satisfait des résultats du test #4)
Ce matin, le prof a l’air gai (il a gagné au loto 6/49)
Ce matin, le prof a l’air joyeux (il a gagné 1,000,000$ U.S.)
Ainsi, le sens est défini tantôt par le syntagme (axe horizontal ou contextuel), tantôt par le paradigme (axe vertical, liste synonymique ou antonymique).
Les nuances de sens produites par la possibilité de choisir d’autres termes synonymiques ou antonymiques peuvent causer des problèmes: Dites, dans les phrases suivantes, celles qui ne sont pas acceptables, et corrigez-les. Ensuite, expliquez quelle valeur fait que la phrase est inacceptable.
Eng. I just love to eat veal (calf, cow, heifer, ox, beef, lamb, sheep, mutton, pork, pig, sow, horse, cat, dog).
Fr. J’adore manger du veau (de la vache, du taureau, du boeuf, de l’agneau, du mouton, du porc, du cochon, de la truie, du cheval, du chat, du chien).
Verset 6: Le sens contextuel en morphologie. C’est surtout en morphologie que les morphèmes prennent différentes valeurs ou nuances selon le contexte linguistique. Exemple: différentes valeurs du morphème à:
Je pense à Jean, je réponds à sa question (acte ou processus porté vers une personne ou une chose)
Je vais à Montreál (direction physique)
J’arrive à huit heures (annonce une circonstance de lieu)
Ce syndicat fait grève à tous les trois ans (annonce une circonstance de temps habituelle ou répétée).
Ce livre est à moi (indique la possession)
Une histoire à dormir debout (introduit un GP à valeur adjectivale)
J’ai une cicatrice à la jambe gauche (GP annonçant un trait caractéristique)
Un homme à la barbe blanche (GP annonçant un trait caractéristique)
Verset 7: Dénotation et connotation.
La dénotation est le sens premier ou le sens propre, la connotation est un sens ajouté, un sens étendu ou figuré.
Mon compagnon de chambre. (= «mon co-chambreur, mon co-locataire, la personne qui partage avec moi»).
Mes compagnons syndicaux de YUFA/APUY font grève tous les trois ans (personnes solidaires avec moi dans la cause syndicale ou gauchiste).
Verset 8: Les connotations du signifié
Deux catégories qui ajoutent des connotations au sens premier d’un terme: la métonymie et la métaphore.
La métonymie consiste à prendre la partie pour le tout, le tout pour la partie, ou encore à désigner une chose par son trait caractéristique. Quel est le sens de phrases suivantes?
Toute la ville en parle.
Québec fait la moue aux offres du Canada.
On va boire une bonne bouteille.
Puis, on va prendre un verre ensemble.
Manger un plat.
Plat du jour.
Porter un castor.
Des mauvaises langues.
Manger une bonne claque.
La métaphore consiste à substituer un terme concret et imagé à un terme plus abstrait. Beaucoup de métaphores viennent de la nature, surtout de la nature animale.
le pied de la montagne.
les pattes d’un chaise
un bras d’escalier
un pied de celeri
une botte de radis
les ailes d’une voiture
le dos de l’envelope.
Le tablier d’un pont.
Je prends la part du lion.
Le feu de la passion.
Mes années vertes.
La fleur de l’âge
Allons au coeur des choses.
J’ai mal au coeur.
Il a du coeur (au ventre).
Les sanglots longs des violons de l’automne blesse mon coeur d’une langueur monotone.
Ajoutez quelques exemples de métonymie et de métaphore à ces listes.
Verset 9: Les connotations du signifiant. Ici les auteurs parle de symbolisme phonétique, de sons qui peuvent évoquer des émotions, variables selon l’individu et sa culture. Ces facteurs jouent surtout dans les poèmes et chansons. Ainsi, dans l’exemple qu’ils citent, une certaine muscalité est liée à la prédominance des voyelles nasales et consonnes nasales [m, n] et des liquides [l, R]. Cette musicalité est associée à son tour à l’idée d’une saison triste et mourante (l’automne), avec le regret de ce qui est perdu (sanglots longs), avec la notion d’une blessure mortelle (blessent mon coeur) et avec l’idée de fatigue ou léthargie (langueur monotone).
Ces connotations ou «valeurs phonétiques» peuvent parfoir tenir du stéréotype. Exemple: Les gens du nord de la France qui trouvent l’accent méridional amusant parce qu’ils pensent que les méridionaux sont tous joyeux et insouciant. Exemple: Les Anglo-Canadiens qui trouve l’accent québécois détestable parce qu’ils détestent les Québécois et leur manière de vivre.
Verset 10: Sémèmes et sèmes.
Définissons le mot oiseau. C’est «[un animal] [à plumes] [qui vole]». Les éléments qui font la signification s’appellent des sèmes, des unités minimales de sens, soit [animal] [à plumes] [qui vole] (=trois sèmes). L’ensemble de tous les sèmes du mot oiseau s’appelle le sémème du mot (comme phonème, l’ensemble de tous les traits pertinents phonétiques).
Mais, il y a des oiseaux qui n’ont pas de plumes, le pingouin, par exemple. Donc, on ferait peut-être mieux de laisser le sème [à plumes] de côté.
Il y a aussi des oiseaux qui ne volent pas, la dinde, le paon, l’autruche et le pingouin par exemple. Donc, on ferait mieux de remplacer le sème [qui vole] par le sème [à ailes]. Le sémème revu et corrigé du mot oiseau serait donc: «[animal] [à ailes]».
Vous me direz peut-être que les anges ont des ailes aussi, mais que ce ne sont pas des oiseaux. Dans ce cas, on pourrait nuancer le sémène du mot oiseau pour reconnaître ce fait. Un oiseau serait donc un «[être animé] [non humain] [à ailes]».
Vous me direz que l’ange est lui aussi un «[être animé] [non humain] [à ailes]». Dans ce cas-là, il faudrait trouver un meilleur trait pour différencer l’ange du oiseau. Ce sera quoi…, un [être céleste], ou un [être spirituel]?
Et que ferons nous d’Icare, le jeune grec légendaire qui s’est façonné des ailes pour voler vers le soleil? Serait-il un «[être animé] [humain] [à ailes]»?
Verset 11: Vous venez de voir le genre de difficultés qui peuvent surgir lorsqu’on se met à identifier les unités minimales du sens, les traits pertinents de signification. Les sèmes s’identifient par un processus binaire du type: Quelle est la différence entre: un homme et une femme, un garçon et une fille, un oncle et une tante, un frère et une soeur, un boeuf et une vache, un crapaud et une crapaude? La réponse est évidente: mâle vs. femelle. Dans d’autres cas, la réponse est moins apparente, comme p. ex., quelle est la différence entre un cheval et une table, entre un avion et la fumée?
Verset 12: La grille d’analyse sémique. Cette analyse permet d’obtenir des définitions fiables, qui embrassent le strict essentiel de la signification. La présence d’un sème est indiqué par le +, son absence par le -. Ainsi, un homme est le mâle, d’âge adulte, de l’espèce humaine, tandis que une fille est définie comme non mâle, non adulte de l’espèce humaine. On pourrait ajouter d’autres termes à l’analyse sémique, comme coq et poule, boeuf et vache, mais il faudrait trouver d’autres sèmes différenciateurs, en se posant la question: Quelle est la différence entre un coq et un homme, entre une poule et une fille? Au lieu de faire cela, construisons la grille sémique des termes: bateau, kayak, sous-marin et aéro-glisseur (p. 180).
Verset 13: Les limites de l’analyse sémique. Certains termes résistent à l’analyse sémique, comme par exemple:
les mots composés (= groupes figés) bureau de poste, eau de vie, trouble-fête
les termes plus ou moins vides de sens: Comment ça va? Alors?
les métaphores: On m’a posé un lapin. Je donne ma langue au chat!
les comparaisons: Je m’en fous comme de l’an 40!
Verset 14: La syntaxe et l’interprétation sémantique
Les règles syntaxiques sont capables de produire des phrases parfaitement bien formées sur le plan grammatical, mais parfaitement inacceptables sur le plan sémantique, p. ex.,
a) Le mur parle lentement.
b) Les murs ont des oreilles.
c) Mange ton Pepsi!
d) Mange cette table!
e) Bois ton steack!
f) Les idées vertes dorment furieusement.
g) Les chats planifient leur avenir.
h) Philippe donne la philosophie à son grille-pain.
Dans la plupart des cas, on a affaire à un conflit de sèmes ou une incompatibilité sémantique.
En a), le verbe parler exige un sujet [+humain].
En b), un sujet [- animé] ne peut pas prendre un attribut [+animé], surtout si le verbe est un verbe d’état, comme avoir ou être.
En c) et d), le verbe manger exige un objet direct qui est [+mangeable]
En e), le verbe boire exige un objet direct qui est [+buvable].
En f) le verbe dormir exige un sujet [+animé] et, des adverbes signifiant l’absence d’activité, comme tranquillement.
En f), un nom [+abstrait] comme idées exige un adjectif [+abstrait]. Pourtant, on pourrait interpréter l’adjectif vertes comme ayant le sens abstrait «originales» ou «géniales».
En g), le verbe planifier exige un sujet capable de réfléchir sur son avenir, donc d’un ordre d’intelligence supérieure.
En h), le verbe donner exige normalement un objet direct [+concret] alors que la philosophie est [+ abstrait]. De plus, le verbe donner exige un objet indirect capable de recevoir, donc un être [+animé], sinon un être [+humain].
Bref, pour être à la fois correcte et acceptable, une phrase:
a) doit être bien formée selon les règles de syntaxe et…
b) respecter les règles de combinaison sémique.