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Jacques Leclerc, chapitre 5: «Les structures de la langue»

1 Un ensemble structuré
Ici, l’auteur décrit les composantes élémentaires d’une langue, notamment:
Les phonèmes (= les unités minimales de son, les sons qui comptent). Il y en a trois dans le mot patte [p+a+t], quatre dans oiseau[w+a+z+o], même si patte contient 5 lettres écrites, oiseau 6.
Les morphèmes (= les unités minimales de signification). Dans nous chanterions, il y en a cinq: nous, chant-, -er-, -i-, -ons.
Si jamais vous avez un doute sur la signification d’un terme, consultez vite le glossaire (p. 439).

D’habitude, on distingue les morphèmes (qui ont une fonction surtout grammaticale) des lexèmes (qui ont un sens «plein») et qu’on risque fort de trouver dans votre dictionnaire. Ainsi, je, tu, il(s), elle(s), nous, vous, on, ça, -er, -ons, -ez, -aient, trans-, re-, dé, -age, -erie, -ette, non, a-, parce que, de manière à ce que, sont des morphèmes, mais patte, chat, chien, maladie, oiseau, professeur, étudiant,sont des lexèmes (= des mots à sens plein).

Les syntagmes sont formés quand on combine des lexèmes et morphèmes pour créer de nouvelles unités de sens (linéaires) comme, p. ex., par coeur, un 33 tours, avoir froid, pomme de terre, bureau de poste, fermer boutique, un rendezvous, vaisseau spatial, le qu’en dira-t-on, les on-dits. 
Les phrases: On combine phonèmes, morphèmes, lexèmes et syntagmes de façon à obtenir des unités encore plus grandes, appelées phrases. Exemples:
J’ai cessé d’avoir faim dans un vaisseau spatial. 
Elle écoute ses 33 tours court-vêtue.

La place occupée par une composante dans la phrase a une fonction significative, comme le prouve les exemples suivants:

1)   Marie semble malade. 
2) *Semble malade Marie. 
3) *Malade Marie semble. 
4) *Marie malade semble.

Seule la première phrase est considérée correcte et acceptable par les francophones. Pourquoi?
Parce que les trois autres transgressent certaines règles syntaxiques. Conclusion: La langue est un ensemble ayant des règles d’organisation (concrètes et abstraites) régissant ses différentes composantes.

2) Les sons et les phonèmes 
D’abord, l’auteur distingue la phonétique de la phonologie.
La phonétique analyse les sons dans leur réalisation concrète, matérielle, indépendamment de leur fonction linguistique.
Exemples: Les différentes façons de prononcer un seul et même mot; la prononciation peut changer mais le sens reste le même: tu dis, du tigre, oui, moi. 
La phonologie, par contre, est la discipline qui étudie les oppositions distinctives (= les différences de prononciation qui entraînent un changement de sens). Exemples: il sont ~ ils ont, belle ~ balle, sourd ~ sûr, pou ~ bout, mou, fou, vous, toux, sous, nous, loup, tout, roue, cou, etc., ou encore si ~ ses, c’est, sa, su, ceux, sous, saut, son, sans, saint, etc. C’est ce genre de contraste et d’opposition qui permet d’isoler et d’identifier les phonèmes, unités distinctives de son (= les sons qui comptent dans la structuration d’une langue).

En résumé:
La phonétique s’intéresse à la description physique, concrète, physiologique ou articulatoire des sons (les différences de son qui ne comptent pas) tandis que…
La phonologie s’intéresse à la fonction distinctive, contrastive, ou différenciative des sons; les sons qui ont une valeur fonctionnelle s’appellent des phonèmes.

3 Les morphèmes et les lexèmes
Il s’agit d’unités minimales de signification indécomposables. Alors qu’ils s’agit d’une unité grammaticale, on parle de morphème ou de morphème grammatical. Quand il s’agit d’une unité lexicale («à sens plein»), on parle de lexème ou de morphème lexical.
Dans la phrase écrite suivante, découpez les mots en lexèmes et morphèmes. Sur les 14 unités de signification minimales, combien y a-t-il de lexèmes? De morphèmes? Les discours du maire paraissent toujours très modérés. Ensuite, transcrivez la même phrase en caractères phonétiques et découpez-la en lexèmes et morphèmes. L’analyse donne-t-elle les mêmes résultats?
Les morphèmes du français sont en nombre relativement limité (de 200 à 300 unités selon Jacques Leclerc), par rapport au nombre très élevé de lexèmes (quelques centaines de milliers). Aucun dictionnaire ne contient tous les lexèmes qui existent ou qui pourraient exister.
La discipline qui traite des lexèmes et de leur formes et significations s’appelle la lexicologie. La discipline qui traite des morphèmes et de leurs fonctions s’appelle la morphologie.

Morphèmes amalgamés ou amalgames
Dans certains cas, de haute fréquence, deux ou plusieurs morphèmes se combinent dans une seule forme: des oeufs (de + les), au bureau (à + le). Dans d’autres cas, impossible de détacher le morphème du lexème: ils ont un chat. 
ont: lexème indiquant la possession ou la transitivité
ont: morphème indiquant la 3e personne, la pluralité, le temps présent et le mode indicatif (4 fonctions grammaticales dans une seule forme!)
oeufs pl. ~ oeuf sg. lexème désignant le fruit de la poule
À l’écrit, c’est facile: le pluriel porte un -s et le singulier n’a pas de -s.
À l’oral, les choses se présentent autrement:
oeufs: morphème zéro marquant le pluriel vis-à-vis du singulier (dont le [f] terminal est toujours audible)

Dans à la table [a+la], il est facile de reconnaître trois morphèmes:
[a] (morphème marquant une relation dans l’espace)
[l] ( morphème de détermination: il s’agit d’une table précise, une table qu’on connaît déjà, ou dont on a déjà parlée)
[a] (morphème marquant le genre féminin)

Par contre, dans au bureau [o byro]  où nous avons affaire à des morphèmes amalgamés, l’analyse est moins évidente:
[o] (morphème marquant une relation dans l’espace)
[o] (morphème de détermination définie)
[o] (morphème marquant le genre masculin)

>Les morphèmes (= morphèmes grammaticaux) expriment des valeurs, des fonctions et des relations grammaticales (voir en haut de la page 46).
Amplification du verset 3: Les morphèmes et les lexèmes 

Apprenons la différence entre les morphèmes (= les morphèmes  grammaticaux) et les lexèmes (=les morphèmes lexicaux). Dans l’énoncé écrit, «Les petites filles de l’école chantaient hier», il y a 5 lexèmes (= des termes à sens plein, rehaussés en rouge). On va sûrement les retrouver dans un dictionnaire. En p. 447, L. définit le terme: «Le lexème (ou morphème lexical) correspond à l’unité de base du lexique: p. ex., travaill- dans travaillons».
Dans la même phrase, toujours sous sa forme écrite, il y a jusqu’à 12 morphèmes (= des termes ayant une valeur ou une fonction surtout grammaticale, soit: Le-s petit-e-s fill-e-s de l’écol-e chant-ai-ent hier. On ne les retrouve sûrement pas tous dans un dictionnaire. L’auteur précise la valeur grammaticale de chaque morphème en p. 46.
L’analyse de la phrase sous sa forme orale donnera des résultats tout autres, comme on le verra en classe.

En p. 46, l’auteur donne un certain nombre de valeurs grammaticales portées pas les morphèmes, p. ex., sg., pl., m., f., temps et mode du verbe, personne, relations syntaxiques dans l’espace ou le temps, négation et affirmation, etc.
Touchant les préfixes et les suffixes, certains linguistes les classent parmi les «morphèmes lexicaux» parce qu’ils portent un «sens plein» plutôt qu’une valeur grammaticale, p. ex. -eur, -euse, -eure «personne qui fait ce que la base lexicale signifie…» , comme dans chant-eur, chant-euse, aut-eure 
dé(s)- «le contraire de ce que le lexème signifie» dans dé-faire, dé-mettre, dés-habiller, dés-organisé 
trans- «à travers» dans la Trans-canadienne, transmettre, transporter, etc. 
En p. 448, L. définit le morphème ainsi: «Le morphème grammatical constitue une unité minimale de signification [grammaticale] indécomposable. S’oppose à lexème.» 
À noter que l’analyse en lexèmes et morphèmes sera différente selon qu’on parle de la langue écrite ou de la langue orale.

Il est bon de saisir déjà la notion des parties du discours selon leur contexte linguistique et leur fonction grammaticale, p. ex.,

a) Les _____ filles de l’école chantaient hier. 
b) Les petites filles de l’____ chantaient hier. 
c) Les petites filles de l’école _____ hier. 
c) ___ petites filles de l’école chantaient hier.

– Dans le contexte a) ne peut figurer que…. un adjectif de genre f. (grandes, jeunes, vieilles…) 
– Dans le contexte b) ne peut figurer qu’un nom (m. ou f.) commençant par une voyelle (église, hôpital, Autriche) 
– Dans le contexte c) ne peut figurer qu’un verbe conjugué au passé  et à la 3e personne du pluriel (dansaient, étudiaient, etc.) 
– Dans le contexte d) ne peut figurer qu’un déterminant au pluriel (Ces, Des, Mes, Tes, Nos, Vos, Leurs ) ou un adjectif exprimant la quantité (Certaines, Quelques, Plusieurs, Différentes, Deux, Trois, Quatre, Beaucoup de, bon nombre de…).

Morphologie: Nom de la discipline qui traite de la forme des mots, notamment des morphèmes.
Lexicologie: Nom de la discipline qui traite de la forme de lexèmes et de leurs relations entre eux (dérivation et composition, par exemple), lave, laver, lavais, lavage, laverie, lavement, laveuse, lave-auto, etc., pomme de terre, bureau de poste, le qu’en dira-t-on…

4 Le mot 
Le morphème et le lexème ne correspondent pas nécessairement à un «mot» (au sens de la grammaire traditionnelle), mais plutôt à unité minimale de signification indécomposable en unités plus petites. Quant au mot, on peut distinguer plusieurs catégories:
Type simple: oiseau, ours, garçon, gentil, petit 
Type complexe, composé d’un lexème et d’un ou plusieurs morphèmes: in-décor-able-s, petit-e-s, a-normal-ité, un «au revoir», le «Cesoir» 
Type complexe, composé de plusieurs morphèmes: parce que, de manière à ce que, avant que, au dessus de 
Syntagmes: une combinaison de morphèmes et de lexèmes composée d’unités minimales de sens formant une nouvelle unité significative plus large. Parfois, on peut remplacer un syntagme par un lexème simple. Ainsi, par exemple, pomme de terre = patate, tout de suite = immédiatement,comme il faut = correctement, faire pipi = uriner.
Un syntagme est dit lexicalisé lorsqu’il forme une nouvelle unité lexicale autonome, une nouvelle unité de sens. À ce moment-là, le syntagme risque de figurer dans un bon dictionnaire. Changer les éléments du syntagme, en modifier l’ordre, ou bien y insérer un nouvelélément, c’est en détruire le sens. Comparez les unités lexicalisées à gauche avec les suites non lexicalisées à droite.

Bureau de poste          bureau de Noël Corbett 
sucre en poudre          sucre en désordre 
pomme de terre          pomme sur terre, pomme de mer 
33 tours                          23 tours 
par coeur                       par petit coeur 
avec plaisir                   avec frites 
gros plan                       petit plan 
faire pipi                       faire la salade

5 La phrase
Une phrase est considérée grammaticale lorsqu’elle est composée d’un groupe nominal sujet (GN) suivi d’un groupe verbal. Ainsi,Pauline (= GN) // étudie le français (= GV) est une phrasegrammaticale, mais Hé, toi là!, Mince alors! et Ah Seigneur! ne le sont pas. On dit que les trois derniers sont tout simplement des énoncés.

6 La non-grammaticalité 
Une phrase est dite non grammaticale si elle est considérée comme telle par tout locuteur ou toute locutrice possédant la langue comme langue maternelle.
Une phrase peut avoir du sens mais être agrammaticale parce qu’il lui manque des élémentsgrammaticaux (= les mots outils): Partie hockey diffusée canal deux samedi soir.
Une phrase peut être agrammaticale parce que’elle ne respecte pas les règles de syntaxe:
Diffuser deux samedi canal de hockey au partie la soir.
Mais tout francophone de naissance trouvera grammaticale la phrase:
La partie de hockey sera diffusée au canal deux samedi soir.

Certains énoncés ont du sens mais sont jugées inacceptables pour des raisons grammaticales ou sociales (ou pour les deux à la fois):

Moi Tarzan toi Jane 
Moi pas aimer ça! 
La fille que je sors avec. 
Un gars que j’ai confiance dedans. 
Voilà un sujet qu’on peut parler. 
Maudite salope!

5.2 La grammaticalité et le sens 
Une phase peut être grammaticale mais ne pas être dotée de sens évident:
Mes vertes idées intempestives mangent ligneusement (P qui respecte la syntaxe française).
Manger intempestives des ligneusement idées vertes (énoncé qui n’est qu’un «tas de mots»).
D’autres phrases sont grammaticalement acceptables mais pas sur le plan du sens (= la sémantique). Au minimum, elles sont ambiguës:
Après avoir tué sa femme, il l’a enterrée vivante. 
Sa main était froide comme celle d’un serpent. 
Il tenait ses culottes d’une main et courait de l’autre 
Prendre une pilule cinq minutes avant de s’endormir et une autre cinq minutes avant de se réveiller.

5.3 La grammaticalité et la norme
Au minimum, une phrase doit (1) avoir du sens et (2) respecter les règles de syntaxe de la langue. Mais…, pour être jugée à la fois «correcte» et «acceptable», elle doit aussi respecter les normes du «bon usage» telles qu’élaborées et exposées dans les ouvrages de grammaire normative. Parmi les énoncés suivants, identifiez ceux que vous jugez «corrects». Expliquez pourquoi vous jugez les autres «incorrects» ou «inacceptables».

Où va-t-il? 
Où-ce qu’il va? 
Où c’est qu’il va? 
Où est-ce qu’il va? 
Où il va? 
Où qu’il va? 
Iousqu’i va? 
Il va où? 
I va où? 

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