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Cours AS/FR 4150 6.0: Initiation au français canadien / Introduction to Canadian French
Notes sur Denis Dumas, Nos façons de parler

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Denis Dumas, Nos façons de parler, Chap. 4 «Un L, deux LL ou pas de L du tout?»

Un chapitre entièrement consacré au comportement phonétique de le, la, les (articles ou pronoms, des mots outils, syntaxiquement faibles, dépendants, phonétiquement inaccentués) en FQ. L’auteur souligne le fait que le FS privilégie l’invariabilité dans la prononciation (= la maison, à la maison, je la regarde, je les ai vus), tandis que le vernaculaire québécois admet facilement de la variabilité (= la maison, à a maison, à: maison, j’a regarde, j’es ai vus, etc.), et cela dans des conditions bien précises. Cette variabilité ne touche que très rarement les «mots pleins» comme aller, calendrier, malade, Nathalie, Loulou. Petite exception très exceptionnelle en bas de la page 72: ça marche à l’électricité ou même le l du mot électricité peut tomber: [aEkt{isite].

Première catégorie: le, la les comme DÉTERMINANTS DU NOM.
La et les ne se comportent pas de la même façon que le. Pour que le l de ces troismorphèmes tombe, il faut qu’il soit situé à l’intervocalique (position phonétiquement faible). Comparez les exemples de chute avec les exemples de maintien (en p. 69). Dans bien des cas, le shwa de le disparaît, et cela depuis le moyen âge, ce qui fait que le l du le (masc.) ne se trouve plus en contexte intervocalique; dans cette situation le l ne tombe pas (ex. dans l{e} magasin, dans l{e} livre, jamais dans magasin, dans livre). À l’intervocalique, le l’ qui représente le ou la tombe régulièrement: dans {l’}avion, à {l’}ami(e), à {la} grocerie, dans «l’»église, à {l’}école.

Quelques exceptions: p. 71 (en haut). En fait, ces exemples sont parfaitement réguliers puisque l’ (forme réduite de la) est partout intervocalique; pourtant, le mot qui précède est la préposition à ou dans (qui comporte une voyelle terminale). Même quand le l du déterminant féminin tombe, il en persiste une trace, sous forme d’un léger allongement vocalique (un jour à la fois un jour à a fois un jour à: fois).

Explication géniale de la prononciation courante à pital, à partir de la forme non standard *à l’hapital (masculin en théorie), réinterprétée comme féminin *à la pital, sans doute à cause de sa consonne terminale audible. Ce syntagme se réduit à à pital. Par contre, à l’hôpital (au masculin) devrait se réduire en {à}*opital, ce qui n’est pas le cas.

Quelques cas où le mot aurait subi une resegmentation par hypercorrection dans le vernaculaire FQ: l’évier, l’antenne, l’aine le lévier, la lantenne, la laine. On peut trouver d’autres exemples dans l’histoire du français (14e-15e siècles), notamment l’endemain, l’ierre, l’uette, l’oriot dont la «correction fautive» a fini par donner: le lendemain, la lierre, la luette, le loriot (seules formes reconnues comme correctes et consignées dans les dictionnaires du français contemporain).

Bon résumé en haut de la page 73 sur le sort de le, la, les (déterminants) où l’auteur dégage l’essentiel: ce sont des mots outils, dépendants, inaccentués, dont le l (consonne phonétiquement faible, partiellement vocalique) se trouve en contexte intervocalique (faible) où il se perd. Sauf un petit nombre d’exceptions, on perd ou bien le l initial ou bien la voyelle qui suit [«, a, e], rarement les deux à la fois. Si les deux en viennent à tomber, comme c’est parfois le cas du déterminant la, il en persistera toujours une trace, sous forme d’un allongement vocalique: un jour à la fois à a fois à: fois.

Deuxième catégorie: Le, la, les en tant que PRONOMS (clitiques, inaccentués, situés devant le verbe, s’appuyant sur le verbe). Dans ces conditions, la et les sont aptes à perdre leur l (exemples en haut de 74). Cela ne se produit jamais quand le, la, les sont accentués et postverbaux: trouvez-le, trouvez-la, trouvez-les.

§2.2 Les pronoms le, la, les, dont le l persiste parce que le pronom a perdu sa voyelle par élision; ce l est régulièrement redoublé en [ll]. Comparez, par exemple, J’l’ai trouvé (le le se maintient intact, sans redoublement, parce qu’il n’est pas situé en contexte intervocalique) avec Tu ll’as trouvé, vous ll’avez trouvé (où le l intervocalique devrait tomber en principe). Par contre, il n’y a jamais de redoublement du l à l’impératif: trouvez-le, trouvez-la, trouvez-les. Ici nous avons affaire à un pronom accentué, et les pronoms accentués ne perdent jamais leur l, donc ils n’ont pas besoin de renforcement.

Dans les phrases de type: Al a trouvé ses clés; Çal a pas de bon sens! et Onl a trouvé les clés, il n’est nullement question des pronom objets le ou la, donc il n’y a pas de redoublement du l. Vraisemblablement, al représente la forme pleine elle, la forme longue utilisée devant voyelle; de même, çal est la forme pleine de ça et onl (plus rare) est la forme pleine de on, également utilisée devant une voyelle. Le même genre d’agglutination pourrait éventuellement rendre compte des formes longues de je, dans le FQ Jel sais-tu? et Jel sais pas, moi!

§3 Adverbes de lieu commençant par là: là-dessus, là-dessous, là-dedans, là-bas. Curieusement, là (= adverbe) est traité de la même manière que la (déterminant ou pronom), en ce sens qu’à l’intervocalique, son l peut disparaître lui aussi, du moins dans les exemples ci-dessus. Par contre, il ne tombera pas dans les cas suivants: Cela n’arrive jamais tout seul ça là! Met-les là!, Ces enfants-là. (Exemples en p. 77). Comment expliquer la différence? Dans la première série, là est inaccentué et s’appuie sur un mot plein et autonome (dessus, desssous, dedans, bas); dans la deuxième série, là est accentué, final de groupe syntaxique et AUTONOME. Vraisemblablement, la forme faible à plus tendance à s’affaiblir que la forme forte, qui reste intacte.

§4 Traitement du pronom indéfini en. Ce pronom a plusieurs prononciations en FQ [A)], [A)n], comme en FS (J’en veux, j’en ai); une prononciation québécoise hypercorrecte, «renforcée» en quelque sorte par un [n] initial [nA)n] J’nen veux, j’nen ai) et une prononciation qui semble être la forme réduite de cette dernière, soit nen prononcé [nn]. Cette dernière s’entend à l’intervocalique, notamment dans l’expression en avoir: p. ex., pour il en a assez, on entendra: [innaase] ou bien [inna:se].

§5 L’histoire de la langue ne nous dit pas beaucoup sur la perte de l dans les pronoms sujets. La chute de l dans les pronoms il, ils date du 12e siècle ou avant (langue parlée), mais elle se fait d’abord et surtout devant consonne, non pas à l’intervocalique. Mais les formes contractées du FS (articles seulement, jamais les pronoms) au, du, au, aux, des, pour à + le/les, de + le/les, etc. suggèrent que la tendance à supprimer le l des pronoms est ancienne, du moins à l’intervocalique. La perte de l dans d’autres contextes serait un exemple de généralisation analogique.
Dumas émet une hypothèse selon laquelle le redoublement du l de la et les représenterait la persistance d’une vieille prononciation dans laquelle le l terminal de il(s), elle(s), se serait maintenu devant tout autre l qui suivait directement, p. ex., il/elle l’a vu, il/elle les a vus. Ce redoublement serait associé aujourd’hui à la prononciation des pronoms la, l’ et les, du moins à l’intervocalique. Hypothèse intéressante, mais non prouvée.

§6 On dirait que le redoublement de l est une marque de prononciation soignée; selon Dumas, il n’en est rien. Tout les Québécois font ce redoublement dans toutes les circonstances. Par contre, la perte de l est un phénomène phonétique variable. La variabilité n’est liée ni à l’âge du locuteur, ni à son niveau de scolarisation, mais plutôt au sexe (biologique) du locuteur et à son milieu social. Les hommes admettent plus facilement que les femmes la chute de l dans la, l’ et les, articles ou pronoms; et les ouvriers l’admettent plus facilement que les professionnels.

Première constatation: maintenir les l est bien vu sur le plan social, les négliger est jugé négativement par l’ensemble de la population. Deuxième constatation: selon Dumas, les femmes sont généralement plus attentives aux apparences que les hommes et cela se reflète dans leur attitude envers la langue. Les femmes penseraient donc qu’il faut être correcte, propre, polie, soignée, respectueuse envers la norme grammaticale, la contrainte linguistique, etc. Du moins, elles seraient plus sensibles que les hommes aux nuances et valeurs sociales véhiculées par la prononciation. Vrai ou faux? S’agit-il d’un stéréotype sans fondement? Est-ce vrai que les femmes préfèrent des formes linguistiques longues, les hommes des formes réduites?

Quoi qu’il en soit de cette hypothèse, la variabilité du l décrite dans le présent chapitre est une marque de statut social et économique, une marque d’appartenance à l’un ou l’autre sexe, ou encore les deux à la fois.

Remarque finale sur le traitement de il(s) et elle(s) pronoms sujets:
En FQ parlé, les formes de base seraient /i/ (m. sg. et pl.) et /a/ fém. sg. ou pl. Il n’est aucunement question de la chute de /l/; cette consonne est tout simplement absent des PRO clitiques il(s) et elle(s), du moins dans le vernaculaire québécois.

Pourtant, sous l’effet de la scolarisation et/ou du prestige de la langue écrite, les Québécois apprennent à rajouter des /l/ aux pronoms il, elle, ils, elles dans l’usage soigné ou public qu’ils font de leur langue. Ce faisant, ils tentent de se conformer au modèle de prononciation normative, standardisante, prôné par les professeurs et censeurs de la langue. Pas de différence notable entre les hommes et les femmes à ce sujet. Cette tendance «hypercorrective» (ajouter des /l/ aux pronoms sujets les plus courants) pourrait expliquer l’apparition des formes çal, jel et onl (Çal a pas de bon sens! Jel sais-tu?, Jel sais-tu?, Onl a trouvé les clés!)

Logiquement, on s’attendrait à découvrir une corrélation significative entre le niveau de scolarisation et le taux de rétablissement de l dans il(s) et elle(s), sinon dans tous les pronoms clitiques où la prononciation du l terminal est variable. Forte scolarisation = tendance à rétablir de l de il(s), elle(s)? Porter cette tendance hypercorrective et «surgénéralisante» trop loin, c’est créer de nouvelles formes comme, par exemple, çal, jel, onl. Voilà, messieurs-dames, un beau petit sujet de maîtrise en études françaises…

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