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Cours AS/FR 4150 6.0: Initiation au français canadien / Introduction to Canadian French
Notes sur Denis Dumas, Nos façons de parler

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Denis Dumas, Nos façons de parler, Ch. 1 «Qu’est-ce que tsu me dzi là?»

Données de base sur /t/ et /d/

  • Devant les voyelles /i/ et /y/ à l’intérieur du mot (affrication obligatoire): petit, tulipe, type, dimanche, tu tires, tu dis, endurer, confiture, maladie, bottine, agrandir, pointu
  • Devant les semi-voyelles /j/ et /ç/ à l’intérieur du mot (affrication obligatoire): tiens, tuer, Dieu, le diable, trentième, vingtième, affectueux

Règle descriptive (Affrication):
t, d — ts, dz/ _____ i, y, j, ç (à l’intérieur du mot, règle obligatoire)

Dans des groupes syntaxiquement liés, la règle est facultative. Exemples: p. 4: petite image, grande île, Sept-Îles, la teinture d’iode, vingt-huit.

Remarques: L’affrication est l’un des traits les plus caractéristiques du FQ. Présente chez tous les Québécois, elle n’est donc pas une marque de classe sociale, de sexe, de profession ou d’âge. Origines? Peu d’indices concernant cette prononciation dans les dialectes de France. L’affrication n’est pas dûe à l’influence de l’anglais, qui n’a pas ce trait, sauf peut-être dans le groupe /tj/ [tju:zdej] ou le résultat n’est pas [tsju:zdej] mais [c&u:zdej]. Il s’agit d’une forme d’assimilation phonétique, le [s, z] étant une transition (son transitoire) entre la consonne occlusive /t, d/ et la voyelle continue /i, u/ (ou les semi-voyelles correspondantes).

La source la plus plausible de l’affrication serait donc le groupe C + semi-voyelle /tj, dj/ Gauthier, tiens, Dieu, diable, avec géneralisation de ce traitement phonétique aux groupes /ti, di/ petit, tire, dire, maudit avec, par la suite, une géneralisation étendue à tous les /t, d/ suivis d’une voyelle ou semi-voyelle de type antérieur très fermé. Le phénomène ne se rencontre jamais lorsque /t, d/ sont suivis d’une autre voyelle ou de la semi-voyelle labiovélaire [w] (voir pp. 2-3, colonne de droite).

Dumas examine ensuite le cas exceptionnel de Vient-il? Viennent-ils? ou l’affrication est obligatoire, malgré la présence d’une frontière lexicale. C’est que les pronoms sujets ne sont pas des «mots pleins» (= des mots autonomes). Ce sont des mots-outils (= des morphèmes libres) qui n’ont pas d’indépendance syntaxique, qui s’appuient obligatoirement sur un verbe, pour marquer la personne, le genre, le nombre, et qui ne sont jamais énoncés entre pauses, à l’état isolé. En voici la preuve: Qui est là? Réponse: Toujours moi, toi, lui, elle, ça, nous-autres, vous-autres, eux-autres (formes fortes, autonomes). Et jamais: je, tu, il, ce, etc. (formes faibles, dites «clitiques»). Ainsi, l’affrication est non seulement obligatoire à l’intérieur du mot, mais encore entre le verbe et les pronoms que sont il, ils, [i] ou [j], dits pronoms clitiques.

PAR CONTRE, l’affrication est facultative à travers les frontières de mot, dans les groupes faisant bloc syntaxique et/ou sémantique, dans des groupes figés ou semi-figés (des unités de sens, des unités grammaticales, comme p. ex. Sept-Îles, petite île, vingt-huit, la teinture d’iode.

Question: Que signifie l’absence de l’affrication (p. 8)?
Deux possibilités: 1) Le locuteur n’aurait pas le FQ comme langue maternelle (il est d’origine acadienne ou anglaise, par exemple), ou bien 2) c’est un Québécois qui «parle pointu», c’est-à-dire, il surveille sa langue, essayant de supprimer tout ce qui le marque comme québécois, essayant de rendre sa prononciation conforme au français normatif.

Être Québécois et ne pas faire d’affrication risque de déclencher des jugements sociolinguistiques comme les suivants: a) la personne est d’origine acadienne ou française, ou bien c’est un anglophone qui parle. Si le locuteur est bel et bien francophone, il serait peut-être pédant ou prétentieux, ou bien peut-être qu’il surveille son français pour une raison précise: Il prononce un discours de type officiel, solennel et cérémonial; il rencontre le roi de France; il assiste aux obsèques de Robert Bourassa; il est annonceur (= speaker) à Radio Canada. Par ailleurs, l’affrication peut ne pas se produire dans la chanson ou la parole chantée, qui sont toutes deux des formes de langue artistique, liturgique, soignée, ou soutenue.

En FQ, l’affrication est considérée comme un phénomène socialement neutre, donc les locuteurs qui la font ne sont pas stigmatisés, à la différence, p. ex., de ceux qui diphtonguent leurs voyelles sous le coup de l’accent tonique, comme dans les exemples que voici:
Mon père est dans le garage. [ga{awZ]
Que c’est que je vas faire? [faj{]
Toc, toc, toc… Oui, entre! [a)wt]

Un peu d’histoire: Présence de l’affrication ailleurs en Amérique du Nord (Vieilles Mines, Missouri), mais très peu d’indices dans les dialectes français de France. Cependant, l’évolution historique du français nous offre bien des exemples du phénomène: MATTEA > matsja > matse > masse, BLETTIARE > blettsjer > blettser > blesser, CANTIONE > cantsjone > cantsone > chanson (It. canzone), FACTIONE > fatsjone > fatsone > façon, PALATIUM > palatsjo > palatso (It. palazzo) «palace» (Angl.). Sur le plan purement phonétique, l’affrication est donc un fait d’assimilation assez banal.

En FQ, les emprunts anciens (200 ans ou plus) témoignent de l’affrication: poutine, ticket, team, steam, mais les emprunts plus récents ne l’ont pas en général, du moins pas les noms portant le suffixe -ing: standing, meeting, footing, building, pouding, tous d’origine anglaise.

Il arrive que les Beaucerons prononcent [c&, ¾à] là où les Québécois n’ont que [ts, dz] (la prononciation [c&, ¾à] est la norme en français acadien pour les mots contenant [tj, dj, tç, dç], p. ex., tiens, Dieu, tuer, duel). Voir les exemples en page 12. Même chose pour les consonnes vélaires /k, g/ dans les mêmes conditions phonétiques, i. e., devant /i, y, j, ç/. En français acadien: Tchiens, c’est tchurieux! Même parfois devant les voyelles antérieures moyennes [e, E]: la guerre, la guérison, les guêpes.

  • Exemple, en beauceron, du mot

tourtière prononcé [tu{tsjEù{] ou [tu{c&jEù{] avec hypercorrection en tourquière [tu{kjEù{].

  • Exemple du mot

diable prononcé [dzjab] ou [¾àjab] avec hypercorrection en guiable [gjab].

  • Exemple du mot

tiens, tiens prononcé [tsjE), tsjE)] ou [c&jE), c&jE)], ou encore avec hypercorrection en quiens, quiens [kjE), kjE)], don’t la forme phonétiquement réduite est quens, quens [kE), kE)].

  • Note historique:

tabac donne *tabaquière prononcé [tabakjEù{], tabatsière [tabatsjEù{] ou tabatchière [tabac&jEù{]. Mais la forme consignée dans les dictionnaires est tabatière [tabatjEù{], qui représente sans doute l’erreur phonétique devenue la norme.

Tu aimes ça, peut se prononcer Tsu aimes ça (formel) ou t’aimes ça (populaire), mais *ts’aimes ça est impossible. En voici l’explication: Il y a toujours un ordre dans l’application des règles phonétiques; certaines règles ont préseance sur d’autres, autrement dit, telle règle s’applique avant telle autre, par exemple…

La règle V1V2 –> V2 s’applique toujours AVANT la règle d’affrication, ce qui donne tu aimes ça t’aimes ça, forme à partir de laquelle il est impossible de dériver *ts’aimes ça, parce que le [y] antérieur très fermé n’est plus présent. Souvent, l’ordre d’application des règles reflète l’ordre de leur occurrence historique…, mais pas inévitablement.

Autre exemple en FQ: tu les regardes. On peut entendre tsu les regardes [tsyle] (style formel) et t’es regardes [te] (populaire), mais jamais *ts’es regardes [tse]. Comme dans l’exemple précédent, l’explication réside dans l’ordre d’application des règles:
a) Chute de /l/ intervocalique: tu {l}es regardes, tu’es regardes [tye]
b) Règle V1V2 –> V2 : t{u} es regardes, t’es regardes [te]
c) L’affrication sera sans effet dans ce cas, parce que le [y] a déjà disparu et ne peut donc pas conditionner l’affrication.

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