Notes du cours AS/FR 3130 6.0: Sémantique et lexicologie du français / French Semantics and Lexicology
Notes sur Gilles Bibeau, «Le français québécois: évolution et état présent»
Dans ce chapitre l’auteur traite des caractéristiques du français québécois (=FQ) et de sa situation sociologuistique. Sur le plan linguistique, le FQ est nettement plus marqué dans sa phonétique, son lexique et sa sémantique que dans sa morphosyntaxe. Par ailleurs, les caractéristiques du FQ sont nettement moins marquées dans le discours public que dans le privé, dans le style formel et soigné que dans l’usage relaxe et spontané, à l’écrit par rapport à l’oral. Ce qui fait que les Québécois instruits sont «diglossiques» en Français, «triglossiques» si l’on y ajoute l’anglais.
Sur le plan lexical, Bibeau distingue différentes sortes d’anglicismes: 1) les emprunts directs, 2) les calques ou anglicismes de structure, 3) les emprunts de sens ou anglicismes de sens, 4) les emprunts naturalisés (sur le plan phonétique). Évidemment l’anglais a exercé beaucoup plus d’influence sur le français que l’inverse, du moins en milieu nord-américain. C’est à peine si l’on peut trouver une poignée de termes empruntés au français nord-américain: jazz (< jaser), poon et poontang (< putain), coon et coonass (< con ~ coune ~ connasse ~ counasse), chowder (< chaudière), shanty (< chantier), poutine (qui a son tour provient de l’anglais pudding), francophone, anglophone et allophone, ces derniers termes de création récente et encore relativement peu répandus ailleurs qu’en milieu nord-américain. En connaissez-vous d’autres? Ne me parlez pas, s.v.p, de mots comme savoir-vivre ou aide-de-camp, qui sont plutôt d’origine européenne.
À cela s’ajoute les archaïsmes, les amérindianismes et les canadianismes. Les archaïsmes ne sont archaïques qu’en ce sens que les Français de France ne s’en servent plus. Si un terme est toujours en usage au Canada, il n’est certainement pas sorti de l’usage, donc il serait faux d’affirmer qu’il est archaïque! Ce qui montre à quel point il est dangereux de tout juger à partir de ce qui se dit ou se fait en France.
L’archaïsme a ceci d’important: longtemps coupé de tout contact avec la France, les Québécois ont tout simplement conservé leur usage lexical établi, pour la simple raison qu’ils n’etaient pas au courant de ce qui se passait dans l’Hexagone. Les groupes linguistiques isolés ont ceci de particulier que leur langue manifeste à la fois des traits conservateurs et innovateurs. On garde ce qu’on a, ensuite on invente ce qui nous fait défaut.
Les amérindianismes sont plus nombreux au Québec qu’on ne le croirait, à en juger par le modeste encadré présenté en p.17. Les termes amérindiens avaient plus d’importance dans le passé, parce qu’on avait plus de contacts avec les peuples autochtones, et parce que les premières nations avaient plus d’importance dans le passé que dans le monde capitaliste d’aujourd’hui. Pour un petit récit sur Étienne Brûlé, qui a établi un poste de traite à l’embouchure de la rivière Humber, et qui a donc fondé Toronto (< lac Taranto = lac Simcoe aujourd’hui) (vous croyiez peut-être que c’était Mel Lastman?), cliquez ici.
Les canadianismes sont des néologismes de forme ou de sens, des mots créés sur le sol nord-américain ou bien qui y dominent de par leur fréquence élevée. En général, les canadianismes reflètent des réalités physiques ou culturelles qui n’existaient pas en France, et par conséquent que les Français n’avaient pas à nommer. À ce propos, le mot abatis (~ abattis) existe également en France, mais chez nous il a pris le sens habituel «terrain dont on a abattu les arbres sans en arracher les souches» ou bien «ensemble des arbres abattus». Pour être logique, il faudrait ranger fin de semaine parmi les archaïsmes. Il s’agit d’un terme français que les Français de France ont remplacé au 19e siècle par le mot anglais weekend.
Bibeau consacre une bonne partie de son texte au statut sociolinguistique des Franco-Canadiens qui, selon lui, sont tiraillés entre deux pôles d’attraction: D’un côté, ils cherchent à maintenir et à défendre leur identité socioculturelle (= leur sécurité affective et identitaire). De l’autre, tout à fait comme nous, ils courent après le dollar (= leur sécurité économique). De cette loyauté partagée, ambiguë et parfois contradictoire, s’explique tout le comportement politique et linguistique qu’on connaît chez les Québécois.
Les Québécois seraient également complexés par leurs pertes: perte de l’Amérique du Nord, perte de l’Ouest canadien, perte des Maritimes, et même la perte progressive du Québec. Est-ce étonnant qu’ils s’efforcent par tous les moyens de ne pas en perdre davantage? On pourrait même affirmer que tous les Canadiens sont complexés par la perte, puisque ils ont perdu la plupart de l’Amérique du Nord aux Américains.
Il est intéressant d’imaginer ce qu’aurait été le Canada linguistique et démographique aujourd’hui s’il n’y avait pas eu a) des saignées constantes de la population francophone vers les États-Unis, b) l’assimilation constante des populations francophones par «le reste du Canada», c) de l’immigration massive depuis le début du 19e siècle, les nouveaux-venus parlant déjà un peu l’anglais ou cherchant avant tout à s’assimiler à la société dominante, d’expression anglaise, d) de nos jours, la puissante attraction du capitalisme mondialisant, qui «parle argent».
En fin de parcours, quelques mots sur le «bilinguisme». Qui dit bilinguisme dit inégalité des langues. Qui dit bilinguisme parle d’une seule personne qui a deux langues dans la tête, mais pas nécessairement sur un pied d’égalité! Quand un terme fait défaut dans la langue A, le bilingue ira lui substituer un mot de la langue B, qu’il déguisera phonétiquement au besoin.
Normalement, le vaincu porte le fardeau du bilinguisme; pour le vainqueur, le bilinguisme est un luxe plutôt qu’une nécessité. Typiquement, c’est le vaincu apprend la langue du vainqueur, la langue de la sécurité économique, la langue de l’avancement social. Dans bien des cas, le bilingue se mariera avec un membre du groupe linguistique dominant, dans l’espoir d’améliorer son statut et favoriser sa mobilité socioéconomique. Est-ce étonnant que la majorité des Franco-Canadiens sont bilingues, à des degrés variables? Qu’une petite minorité des Anglo-Canadiens l’est?
Et la langue des métropoles économiques devient à la longue la langue du pays. Donc, le statut linguistique de Montréal est critique pour l’avenir du Québec. Ville bilingue anglaise-française? Ville francophone? Ville multilingue? Ville dont le centre commercial parle anglais, avec périphérie d’expression française? Qui vivra verra!