1999ling12sept

Semaine du 13 septembre: Cours AS/FR 2100 Initiation à la description linguistique du français / Introduction to the Linguistic Study of French

Jacques Leclerc, chapitre 2: «Les préalables théoriques fondamentaux» 
– Différences entre langue (= mentale et abstraite), langage (= une capacité innée) et parole (= une réalisation concrète et physique de la langue)
– Caractéristiques du signe linguistique (sa forme concrète, son contenu conceptuel, sa référence à la réalité externe)
– Le signe linguistique est arbitraire (= sans fondement logique), conventionnel (= social et collectif) et linéaire (= ses composantes respectent un ordre fixe)
– Synchronie (=étude limitée dans le temps, p. ex., le FQ des années ’90) et diachronie (étude historique, par exemple, l’évolution de la langue depuis le latin jusqu’au français de l’an 2000)


Ce chapitre présente une conception de la langue selon Ferdinand de Saussure (héros des linguistes français et européens à penchant descriptiviste), certaines de ses idées de base sur la langue, le langage et la parole.

1. Différence entre la langue et le langage 
Le langage est la faculté ou la capacité innée (=inhérente), naturelle et universelle qu’a l’être humain de construire des langues, c.-à-d. des codes de communication. Ainsi, mon chat Katrina n’a ni langue ni langage et n’en aura jamais, la pauvre! Les abeilles ont un inventaire de signes visuels, paraît-il, mais ni langage ni langue articulée. Le langage serait le propre de l’espèce humaine.
La langue est un code ou un système, un ensemble structuré d’éléments et de règles, une organisation complexe dont toutes les parties se tiennent et s’imbriquent, tendant vers une même fin: la communication.  Exemples de codes particuliers: l’arabe, le chinois, le français, le cri.
Qui dit code dit système, ensemble structuré, les mots + leurs relations entre eux. La langue est abstraite, une compétence encodée qui réside dans le cerveau. La langue est aussi un ensemble de ressources communicatives. Les livres de grammaire et les dictionnaires ne font que reproduire imparfaitement la compétence qu’est la langue, et qui existe dans le cerveau des locuteurs. Ceux qui parlent reproduisent eux aussi très imparfaitement la compétence qu’est la langue. La perfection dans la performance n’est pas de ce monde.
Façons de conserver la parole: en mémoire électronique, sur papier, sur bandes audio ou vidéo, sur disque compact ou sur pellicule, sur CD-Rom ou DVD.
Si la langue est un code, la parole est la réalisation concrète de la langue, l’utilisation de la langue, typiquement ce qu’on dit ou écrit, ou ce qu’on tape sur un clavier d’ordinateur. Il n’y a pas deux personnes qui parlent ou écrivent une même langue de la même façon: les différences tiennent de la parole (qui est concrète et imparfaite).

2. La langue et la parole
Si la langue est sociale, la parole est individuelle. La parole fait la langue, mais la langue guide et contrôle la parole (sa réalisation physique). La langue est une abstraction intellectuelle, un code conceptuel, une convention sociale.
La parole, par contre, est une performance, une réalité tangible, bien souvent imparfaite. Langue et parole sont les deux faces, abstraite et concrète, d’une même réalité humaine. Normalement, l’une n’existe pas sans l’autre. On peut perdre la parole (= la capacité de parler ou d’écrire) sans pour autant perdre la langue; mais si on perd une partie de la langue (aphasie, maladie d’Alzheimer, lésions cérébrales, p. ex.), on perdra une partie de la parole aussi. Des oublis peuvent se produire aussi quand on est fatigué, quand on a trop bu, ou quand on souffre de trous de mémoire.

3. Le signe linguistique
Les mots sont des signes a deux faces, l’une conceptuelle, mentale et abstraite (= la signification), l’autre matérielle et concrète (= la forme sonore ou écrite). La première s’appelle le signifié (concept mental, idée, sens), la seconde s’appelle le signifiant (forme écrite ou sonore). Exemple du mot oiseau [wazo]. Le signe linguistique renvoie à une réalité dans le monde réel ou imaginaire, appelé référent.Dans le cas qui nous concerne, il s’agit normalement d’un volatile à plumes et à bec. On peut illustrer les trois composantes sous forme de triangle.

3.1 Le signe est arbitraire, une pure convention sociale 
Aucun rapport logique nécessaire entre le signifiant et le signifié, ni encore entre le signe linguistique et son référent. Ainsi, pour le mot cheese, on a queso en espagnol, kass en néerlandais, ost en danois, sîr en russe, teri en grec, juusto en finnois, jibna en arabe. Pourtant, tous ces mots désignent la même réalité référentielle. S’il y avait un rapport logique, direct et constant entre le signifiant et le signifié, le mot pour «cheese» serait le même dans toutes les langues du monde. De plus, tout le monde parlerait probablement une seule et même langue.
Dans les cas des onomatopées, qui se veulent des imitations directes de sons et de cris, la forme du signe (= le signifiant) varie d’une langue à l’autre. Exemple: couin-couin, quack-quack, pack-pack, rap-rap, hap-hap, etc. Pourtant, tout le monde entend crier le même canard. C’est que l’imitation des cris n’est pas la même d’une langue à l’autre. L’imitation se veut «analogique», mais elle n’est sûrement pas «logique».
Dans le cas des signes visuels, le rapport est plus direct et plus analogique.  Par exemple, un boulanger peut se servir de l’image d’un pain pour identifier son établissement, un fourreur d’un ours (rembourré bien entendu), un cordonnier d’une botte en cuir. Dans d’autres cas, le signe visuel est plus abstrait. Pensez, par exemple, aux véhicules de couleur rouge, jaune, blanche, noire, aux panneaux de signalisation routière de différentes formes et couleurs, aux feux de circulation, aux dessins conventionnels à la porte des WC. En connaissez-vous d’autres?

3.2 Le signe est conventionnel. 
Pour que la communication puisse se faire, tous les membres d’une même communauté doivent accepter et partager les mêmes conventions linguistiques. Pour cette raison, on a tendance à interpréter tout écart de la norme comme s’il s’agissait d’une «erreur».
La langue n’est pas innée chez l’individu: elle est sociale et il faut l’apprendre. Chez ceux qui maîtrisent une langue en profondeur, cet apprentissage est le travail d’une vie. La langue fait partie de l’héritage culturel transmis par la société.

3.3. Le signe est linéaire 
Les signes se suivent chronologiquement dans le temps et toute variation dans cette succession peut entraîner un changement de sens, p. ex.,
apte = [a+p+t]
tape = [t+a+p]
patte = [p+a+t]
Impossible de dire trois sons ou lire trois lettres en même temps. Et quand tout le monde parle en même temps, on ne comprend rien. Trop de signes se présentent à la fois et on est incapable de les décoder. Même chose pour l’écrit, le signe est linéaire. Dans la culture occidentale et européenne, la convention est de lire et écrire de gauche à droite et de haut en bas de la page. D’autres cultures procèdent autrement.

4. La synchronie et la diachronie
C’est Saussure qui a établi la dichotomie entre la diachronie et la synchronie.
Diachronie < gr. dia-chronos « à travers le temps». Il s’agit d’études historiques, du comment et pourquoi les langues changent de forme. Pourquoi le mot latin CAUSA a-t-il donné deux résultats en français, cause et chose, mais un seul en italien, cosa? Comment et pourquoi le latin est-il devenu le français, l’italien, l’espagnol, le portugais, le roumain? On étudie les changements linguistiques qui se sont produits au cours des siècles et on cherche à découvrir leurs raisons d’être.
Synchronie < gr. syn-chronos «en même temps». Il s’agit de l’étude d’un état de langue à un moment donné, p. ex., le français d’aujourd’hui ou bien à une période nettement délimité dans le temps (p. ex., le français du 13e siècle), ou encore la langue d’un individu célèbre (François Villon).
La synchronie a pour objet l’étude du fonctionnement d’une langue (l’importance de ses structures, ses règles et ses composantes, par exemple, le français contemporain, sans faire intervenir des considérations de type historique. La synchronie se présente donc comme une sorte d’anatomie de la langue. Analogie médicale: quelles sont les structures du corps humain et quelles sont les fonctions de chacune?
Même si l’histoire peut expliquer beaucoup et peut enrichir notre compréhension du présent, la tendance actuelle est au postmodernisme. On cherche à tout prix à faire disparaître le passé comme autant de bagages encombrants, des connaissances «inutiles» qui nous empêchent d’avancer vers la richesse et le salut, tellement on est pressé de «réussir» dans la vie…, où plutôt dans le monde de la mondialisation mondialisant (version américaine)!
Le postmodernisme met l’accent sur le présent et l’avenir. Ce n’est donc pas surprenant si le cours d’initiation à la linguistique française met en relief l’étude du français contemporain, le français d’aujourd’hui, en laissant de côté la dimension historique de cette langue. Ferdinand de Saussure a consciemment voulu libérer l’étude des langues de la mainmise de l’histoire. C’est cette profonde rupture avec le passé qui caractérise le 20e siècle, surtout dans les sociétés à dominante technologique, commercialisante et capitaliste.

Questions
– À quoi sert une langue? Pensez à des fonctions autres que la simple communication.
– Leclerc, p. 388. Préparez de courtes réponses aux questions 10, 11, 12, 13 et 14.

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